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Congo-Bzv : Fête du 15 Août ou l’illusion d’une Indépendance

Depuis son accession à l’indépendance, on a une nette impression que le colonisateur est toujours là, mais par congolais interposés. Ses traces sont partout. Quand elles ne sont pas purement et simplement rétablies, les survivances coloniales sont mêmes renforcées, surtout en termes économiques et culturels, nous confinant dans le rôle éternel de pourvoyeurs de matières premières ou de soutien indispensable au rayonnement de la France grâce à l’impérialisme culturel de la francophonie. Tout est fait comme si le seul domaine où l’indépendance est effective, est celui de la prédation et du pillage des ressources par les autorités congolaises.

Tous les 15 Août, le Congo fête son indépendance. Le président de la république se présente en « le père de la nation ». Le temps se veut solennel, revue des troupes par le Chef de l’Etat, hymne national, parades militaires, défilé des différents corps de la société face au Chef de l’Etat, à son gouvernement, aux corps constitués, aux diplomates… En apparence, nous avons la traduction d’une indépendance juridique et politique reconnue par l’ONU. Le peuple y croit d’autant que cette journée est considérée comme chômée et payée.

Diogène Senny

Or, une indépendance ne se limite pas à la reconnaissance juridique par l’ONU, mais par la capacité du souverain premier, c’est-à-dire le Peuple à s’autodéterminer en s’emparant des attributs qui lui sont attachés afin de devenir maître de soin destin. Les attributs de l’indépendance sont d’ordre politique, économique, culturel... et n’ont un sens que lorsque le Peuple s’en sert concrètement avec souveraineté en élisant librement ses représentants, qui sont chargés de mettre en application des politiques économiques et culturels conformes à leur mandat.

Au regard de son évolution politique, peut-on honnêtement reconnaître que l’indépendance du Congo est une réalité ou bien le rituel du 15 Août n’est qu’un leurre de plus fait au Peuple, ce souverain premier tant méprisé ?

Depuis son accession à l’indépendance, on a une nette impression que le colonisateur est toujours là, mais par congolais interposés. Ses traces sont partout. Quand elles ne sont pas purement et simplement rétablies, les survivances coloniales sont mêmes renforcées, surtout en termes économiques et culturels, nous confinant dans le rôle éternel de pourvoyeurs de matières premières ou de soutien indispensable au rayonnement de la France grâce à l’impérialisme culturel de la francophonie. Tout est fait comme si le seul domaine où l’indépendance est effective, est celui de la prédation et du pillage des ressources par les autorités congolaises.

L’indépendance politique du Congo

Nous prendrons juste quelques exemples pour illustrer cette indépendance illusoire tant chantée par les autorités de Brazzaville. Il est aujourd’hui une évidence au Congo-Brazzaville, même lorsqu’on a la faveur du suffrage universel, sans une onction de l’Elysée, que l’on ne pourra jamais gouverner le pays en paix. Des antécédents existent, et le cas le plus symptomatique est l’effondrement du régime Lissouba, même si ce dernier n’est pas pour rien dans sa propre chute alors qu’il a été élu avec une majorité plus que confortable.

A l’occasion des dernières élections présidentielles françaises, on a vu le pouvoir de Brazzaville s’inquiéter tant que le nouveau locataire de l’Elysée n’avait pas précisé ses véritables intentions sur ce qu’on appelle : la Françafrique. Depuis l’apaisement est revenu, puisque le nouveau président français a juré de continuer dans la ligne tracée par ses prédécesseurs, dont le plus célèbre, le général de Gaulle.

En général, les autorités politiques congolaises sont inquiètes quand elles apprennent qu’un opposant à leur pouvoir bénéficie de l’attention de certains responsables politiques français. Mais cette croyance est bien ancrée même au-delà des autorités politiques en place. Tout dernièrement quand le général Ngouélondélé a tenu sa réunion à Versailles, dite « Conclave de Versailles », dans le milieu congolais, le bruit a couru dans le sens de la préparation d’un éventuel successeur à Sassou Nguesso par Paris. En revanche, si le général Ngouelondélé avait tenu la même réunion en Allemagne ou en Italie, elle n’aurait pas eu le même impact psychologique chez les congolais.

C’est dire que 48 ans après cette fameuse indépendance, les intérêts du colonisateur passent toujours avant la volonté du souverain premier, le Peuple. Même durant la période de la parenthèse « révolutionnaire », malgré une phraséologie démagogique anticolonialiste, on sait aujourd’hui que l’ombre du colonisateur n’a jamais été loin du pouvoir politique. Ainsi, aurait-on reconnu dans le long traquage et l’assassinat de Pierre Anga, une aide militaire de Paris, dépêchée par Jaques Chirac, premier ministre à cette époque.


L’indépendance économique du Congo

La structure économique héritée de la colonisation était basée sur le ravitaillement exclusif de l’hexagone : chemin de fer, bois, café, ports…, réduisant ainsi le Congo dans une économie de rente, dans la mono-culture… Or le sens même de l’indépendance économique est non seulement de briser cette structure de subordination ou de la réorienter, mais surtout de doter le pays d’un tissu économique susceptible de répondre aux besoins des populations avant de penser à ravitailler le colonisateur.

Le constat est là, notre économie est demeurée particulièrement rentière. De surcroît, dominée par le colonisateur, capable de faire la pluie et le beau temps. Secteur agro-alimentaire inexistant, même les produits de première nécessité sont importés au prix fort chez le colonisateur. En fait, la structure coloniale est demeurée intacte.

Quant à la monnaie, attribut de la souveraineté, là aussi notre irresponsabilité a été complètement consacrée. Sous prétexte de la garantir, sa gestion a été complètement cédée au colonisateur, subissant ainsi des dévaluations sans que notre avis soit demandé. En 48 ans, nous n’avons pas mis en place une politique, même dans le cadre sous-régional et continental plus tard, qui nous aurait permis progressivement de recouvrer notre souveraineté.

Par conséquent, au sein de la banque centrale, le colonisateur a le droit de blocage conféré par les statuts de l’établissement, c’est-à-dire avec notre plein accord. Ce qui revient à dire même pour mettre en place une politique ponctuelle de crédit afin d’inciter les opérateurs économiques à contracter des crédits d’investissement, nous avons besoin de la voix du colonisateur, qui peut, en effet, tout boycotter ne serait-ce qu’avec une politique de la chaise vide.

L’indépendance culturelle du Congo

L’une des fonctions de la colonisation a été de tuer la personnalité culturelle en nous. En commençant par nous donner un prénom chrétien obligatoire, tout en prenant soin de déformer à sa guise nos noms de famille, en leur donnant une consonance typiquement occidentale. Ainsi beaucoup ne savent même plus ce que veut dire leur nom. Or, l’ultime liberté, celle qui vient avant toutes les autres, est la capacité de se nommer soi-même, nommer sa propre réalité. Ce n’est pas pour rien que chaque fois que le colon prend possession d’un lieu, son premier acte, est de le renommer, ainsi il prend l’ascendance sur son environnement. Le film « ROOTS » est édifiant sur cette question.

Vu les dégâts dans le domaine culturel, on aurait pu s’attendre de la part de nos dirigeants à une véritable révolution culturelle, en matières linguistique, artistique, musical, coutumière... Alors même que le président se présente comme « père de la nation », aucune politique culturelle consistant à renforcer la « conscience nationale » afin que le congolais sorte du ghetto culturel dans lequel il est enfermé et qui nourrit malheureusement les préjugés et autres méfiances. L’absence d’éducation culturelle chez les congolais, est telle qu’ils confondent « le sentiment ethnique » qui est noble en soi avec « le tribalisme ».

Du coup, à part le Fespam qui est un événement particulier, les seuls moments où l’on parle du Congo dans la Culture, c’est dans le cadre de la francophonie. En l’absence de véritables politiques culturelles, nos artistes, nos écrivains, nos musiciens se dirigent vers l’ancien colonisateur pour servir de soutiens à son rayonnement culturel. Et derrière le faux dialogue des culturels, les CCF (centre culturel français) à Pointe-Noire et à Brazzaville, sont les espaces créés par le colonisateur pour maintenir sa présence même dans le monde culturel.

Le Mausolée de la HONTE : le summum de l’oxymore de l’indépendance est dans la symbolique

La visite du Mausolée de Brazza fait partie intégrante désormais du protocole d’Etat. Certains visiteurs de marque, de passage au Congo, sont conduits directement en ces lieux pour admirer la reconnaissance nègre à la bienfaisante colonisation française, en saluant là, à cet endroit, l’homme par qui le bonheur serait arrivé.

La question qui triture les méninges tout de suite est celle de savoir, comment Sassou Nguesso, arrive à résoudre l’oxymore c’est-à-dire le méga-paradoxe face à ses invités de marque ? Pourquoi fêter alors l’indépendance si de Brazza nous avait apporté du bonheur ?

Franchement, c’est inconcevable. Jamais le Congo n’a mis autant de moyens pour rendre hommage à nos anciens qui ont versé le sang en combattant la colonisation, ce cancer apporté par de Brazza. Aucun musée national, aucun lieu historique significatif, aucun centre culturel digne, mais on a trouvé quand même le moyen d’élever au rang de pharaon, d’ailleurs un autre de nos ancêtres inconnus des congolais, un explorateur colonial. Il fallait le vivre pour le croire.

Les dirigeants politiques parlent beaucoup de la nation, mais ne font rien pour rendre effective cette idée dans la tête des congolais. Quel autre moyen efficace, dans un pays où la conscience nationale, déjà tenue, a été si gravement atteinte avec les guerres civiles, que de réunir dans un grand musée national, toute l’histoire nationale depuis la préhistoire jusqu’à aujourd’hui ? En faisant travailler tous les historiens afin qu’aucune partie du pays ne se sente lésée et en faisant de ce lieu le passage obligatoire, comme un pèlerinage, à tous les élèves et surtout de réitérer en miniature le même lieu dans tous les chefs lieux du pays ?

En plus, de Brazza n’a jamais été ignoré des congolais. Non seulement, la ville porte son nom, l’un des espaces publics le plus important, mais aussi le lycée S. de Brazza, après avoir été débaptisé, porte toujours son nom. Mais pourquoi ce Mausolée de la honte ? Pourquoi cette provocation ?

Il y a là, dans cette sur-adoration de l’étranger au détriment des siens, quelque chose d’anormal, de pathologique même, chez les congolais.

Conclusion

L’état d’esprit actuel qui prédomine au Congo en ce jour d’indépendance, ne saurait être mieux analysé que par cet extrait ci-dessous du discours du Pr Cheikh Anta Diop en 1984, en réponse aux questions des étudiants du Niger :

L’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme et quand on croit s’en être débarrassée, on ne l’a pas encore fait complètement.

Souvent le colonisé ressemble un peu, ou l’ex-colonisé lui-même, à cet esclave du XIXème siècle qui libéré, va jusqu ’au pas de la porte et puis revient à la maison, parce qu’il ne sait plus où aller. Il ne sait plus où aller... Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a apprit des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a apprit à penser à travers son maître (...)

Panafricainement,

Diogène Senny

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