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"Culture et municipalisation accélérée du Pool" : le poids des mots

Dans une tribune du 20 septembre dernier, parue sur un site d’opinion congolais, Noel Kodia, critique littéraire, estime que "le Pool a cette spécificité d’être un "Quartier latin" par sa richesse culturelle" ; que "cela doit être mis en exergue au cours des festivités du 52 éme anniversaire de l’indépendance du pays avec la municipalisation du Pool." ; enfin, selon l’hommes des lettres, il serait souhaitable d’ : "honorer le président de la République, initiateur des municipalisations départementales".

Amusement ou conviction ?

La raison et l’amour sont ennemis jurés. Noel Kodia aurait-il perdu la raison par amour du Pool ? Nul ne le sait. Toujours est-il que son article, un tantinet bâclé, détonne par sa clarté liturgique mais, surtout, par le sentimentalisme débridé qu’il dissimule.

Antonomase

En homme de Lettres, Noel Kodia sait pertinemment le poids des mots, des figures de style ou de rhétorique. Qualifier le Pool de "Quartier latin" revient à dire que la région abrite des dizaines d’universités et de grandes écoles. Et, cela, seul un extraterrestre peut l’admettre. Il s’agit-là, en fait, de la défaite de la raison. L’antonomase qu’emploie Noel Kodia ne tient pas debout : si le "Quartier latin" parisien est très célèbre, c’est du fait de sa pléthore d’universités et de grandes écoles. Un quartier, depuis des lustres, fréquenté par les étudiants et les intellectuels. Or le Pool, à l’image d’autres régions du Congo, demeure un paléolithique éducatif, un désert d’universités et d’écoles. Pas de salles de spectacles ou de théâtre non plus. Mais peut-être que Noel Kodia a-t-il voulu ironiser sur l’incurie des différents gouvernements qui se sont succédé au Congo. Dans ce cas, c’est une paire de manches.

Meilleure figure de style

En l’espèce, il eût sans doute fallu employer une autre figure, une allitération imagée par exemple :" le Pool, le poulailler des artistes congolais." Ce qui eût tout changé. Oui, plusieurs hommes et femmes de culture au Congo sont originaires du Pool : Jean Malonga, Sylvain Mbemba, Soni Labou Tansi, Youlou Mabiala, Jacques Loubelo, Nganga Edo, Rapha Boundzéki, Eveline Mankou, Liss Kihindou, Rhode Makoumbou, etc.

Mais ce demi-berceau des artistes congolais ne fait pas du Pool un "Quartier latin" de l’Afrique centrale". Autrement, il y aurait des étudiants venus du Gabon, du Cameroun, etc. s’y balader à satiété, tel Sédar Senghor se rendant chez André Gide dans la rue Vaneau, à la rencontre des mots et de lui-même. Y-a-t-il à Kinkala un "Café de Flore" ou un "Deux Magots" où les intellectuels se retrouvent ? Non.

Imparfait du présent

C’est acquis, le 15/08/2012 à Kinkala, le président de la République sera honoré, très honoré, comme l’espère Noel Kodia. Les écrivains, les musiciens, les comédiens, jetteront des fleurs à "l’initiateur des municipalisations départementales". Mais, Dieu merci, l’honneur n’est pas le mérite. Le MERITE se décline en majuscules. Il subodore actions concrètes, volonté, humanisme. Le président peut décider la construction d’une grande université et des dizaines de lycées, alors son honneur sera mérité. Pour l’instant, sa "municipalisation accélérée" reste un imparfait du présent, une arnaque au vocabulaire, l’aqueduc des illusions perdues, des milliards qui se volatilisent... Quelle région peut se targuer de profiter de la "municipalisation accélérée" ? Les chantiers restent en berne.

Depuis que le livre Indignez-vous fait fureur, les mouvements se multiplient partout dans le monde, même aux USA. Bouder le défilé du 15/08/2012 à Kinkala sera le commencement de l’indignation. L’intellectuel congolais, quel qu’il soit, devrait peut-être épouser le mouvement, afin de casser la coquille de son enfermement.

Métaphore organique

Noel Kodia prend en exemple la France, pays qui doit sa célébrité à "l’esprit des Lumières". Mais ce qu’il ne dit pas, c’est que les penseurs et philosophes des Lumières n’étaient tous pas originaires d’une même région. Ils venaient d’horizons divers. Michelet écrivait : "La France est une personne." Une façon poétique d’affirmer une interaction de fonctions organiques, une unité systémique, une identité, résultat d’une longue histoire, d’une totalité géographique. Eh bien le Congo est aussi une personne. Du nord au sud, de l’ouest à l’est, on acclame Tchicaya U’Tamsi, Soni Labou Tansi ; on écoute à satiété Youlou Mabiala, Michel Boyibanda, chacun avec sa singularité.

Mais avant d’être un Quartier Latin, le Congo ne ferait-il pas mieux d’être un Quartier Grec en se dotant de toutes les infrastructures de la démocratie comme jadis Athènes, Corinthe, Sparte ?

Bedel Baouna

Ecole à ciel ouvert dans le Pool
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