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Diplômés africains au secours de l’Afrique ?

Depuis la loi Gaston Defferre de 1956 qui avait posé le principe de l’africanisation des cadres, le retour sur le continent des futures élites africaines n’a jamais été aussi problématique. Si la situation chaotique du Continent y est pour quelque chose, ceux qui se considèrent désormais comme des sacrifiés de la mal gouvernance semblent avoir tourné le dos à l’Afrique en se muant en opportunistes préoccupés par leur propre survie.

Au moment où les étudiants français reprennent le chemin des amphithéâtres restés bloqués pendant 4 mois pour cause de grève, on apprend dans le même temps que cette grève a été particulièrement préjudiciable pour les étudiants sud-sahariens selon l’Association des stagiaires et étudiants africains en France (ASEAF). Dans une lettre envoyée au Premier ministre français, François Fillon, cette association a demandé réparation pour le temps perdu et a menacé de saisir la justice au cas où le gouvernement n’assume pas le préjudice financier subi par les étudiants africains. C’est dans ce contexte que l’on apprend également que ces mêmes étudiants sont les plus mobiles au monde très loin devant les américains et juste après les chinois, selon un rapport publié fin mai par l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU).
Au-delà de ces faits, c’est une réalité de l’étudiant africain qui est brusquement mise en évidence. Préoccupé d’une part par les problèmes de coût de la formation et de l’autre par l’exode quasi compulsif auquel le contraint la situation critique des universités africaines, l’étudiant africain est devenu un symbole de la mal gouvernance. Quant à sa situation, c’est peu dire qu’il s’agit d’un symptôme affligeant des désastres dans lesquels pataugent nombre de pays africains mal gouvernés qui compromettent encore plus le retour improbable des cerveaux exilés.

Les étudiants de l’enseignement supérieur originaires d’Afrique subsaharienne sont les plus mobiles au monde : un sur 16 (soit 5,6 %) part étudier à l’étranger, selon un rapport publié par l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU). Toutefois, si l’étudiant africain est le plus mobile, il a du mal en revanche à retrouver le chemin du retour comparé à son collègue chinois dont le pays envoie le plus grand contingent d’étudiants à l’étranger (14% du total des étrangers dans le monde). En 2007, quelque 44 000 chinois ayant fait leurs études à l’étranger sont revenus en Chine, un chiffre en hausse de 4% par rapport à 2006 [1]. De 1978 à 2007, environ 1, 21 millions de chinois ont fait leurs études à l’étranger et 319 700 sont revenus en Chine. Au regard de ces chiffres, on peut aisément deviner le savoir-faire dont a pu bénéficier l’Empire du milieu dans le rattrapage des économies occidentales, en comparaison avec certains pays africains qui affichaient les mêmes symptômes de sous-développement et parfois un PIB supérieur dans les années 60-70. Avec 657 200 étudiants effectuant actuellement leur scolarité dans les écoles et universités étrangères, la Chine, aujourd’hui première puissance économique mondiale, semble avoir placé au cœur de sa stratégie de croissance, la formation des ressources humaines. Le B. A. BA pour tout pays qui veut s’en sortir. Hélas, cela a du mal à être assimilé par les potentats sud-sahariens.

Dans l’enfer de jobs de survie : de l’exode scolaire à l’exil économique

Il n’existe pas de statistiques officielles sur les diplômés africains de l’étranger qui ont choisi soit de rentrer dans le pays d’origine ou de rester dans le pays d’accueil. Outre l’inexistence de statistiques officielles, il y a des disparités entre pays. D’un côté ceux qui ont plus ou moins la maîtrise de leurs flux estudiantins et de l’autre ceux qui n’en ont point. D’une façon générale, en dehors de quelques contrats passés entre certaines universités du Nord et certains Etats africains, la formation semble relever d’un choix individuel plutôt que d’un choix d’ordre étatique de planification des besoins futurs du pays. Dans de telles conditions on comprend l’exil économique du jeune diplômé africain qui a vite fait le choix entre réussite sociale garantie dans le pays d’étude et la précarité dans son propre pays. Les raisons du « ventre » s’avérant plus fortes que la « Raison d’Etat ». Mais ce choix s’apparente aussi à un saut à l’élastique dans l’inconnu pour certains, tant cet exil prend parfois l’allure d’un véritable calvaire de canaan. Résultat des courses, ils sont nombreux à revoir à la baisse leurs ambitions professionnelles dans un marché de l’emploi très sélectif, qui plus est, soutenu par des pratiques discriminatoires. Stages non rémunérés, petits boulots, l’exil devenant un chemin parsemé d’embûches avec au final le risque d’une dévaluation des compétences. Dans ce marché de dupes, il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus. La débrouillardise et la reconversion guettent le diplômé africain qui n’a pas réussi à s’insérer dans le circuit économique du pays d’étude. C’est ainsi que l’on passe allègrement de BAC+5 à manœuvrier, vigile ou encore livreur.

Un énorme gâchis : « vaut mieux être utile quelque part qu’inutile dans son propre pays »

Le sentiment général est celui d’un énorme gâchis. Les meilleurs universitaires africains sont employés dans les universités occidentales. Mais ils ne sont pas les seuls concernés. D’autres professions comme les médecins, les informaticiens ont eux aussi posé leurs valises dans les pays du Nord. Tous semblent avoir en tout cas intégré cette devise « il vaut mieux être utile quelque part que raser les mûrs sous les tropiques ». Ainsi, les cadres continentaux ne se bousculent pas au portillon pour mettre leur savoir faire au service du développement de l’Afrique. Pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui manquent. Les « bureaucraties claniques », de la « formation sur le tas », « la politique du ventre », le népotisme éloignent les bons élèves souvent d’ailleurs perçus par les pouvoirs locaux comme des « empêcheurs de détourner en rond » lorsqu’ils ne collaborent pas aux régimes corrompus en place.

Rescapés de la mal gouvernance ou opportunistes attirés par l’appât du gain

La fuite des cerveaux est un fléau que les jeunes états africains devraient éradiquer dans un proche avenir s’ils ne veulent pas annihiler tous les espoirs de dévéloppement. Si les Etats sont les principaux responsables de ce gaspillage de ressources humaines, les intéressés eux mêmes les ont largement aidé par manque de culture du sacrifice. Au lieu de se poser en bâtisseurs de l’Afrique, les élites fraîches et émoulues des universités occidentales ont préféré le mutisme dans le confort économique qu’octroie un poste à l’étranger, plutôt que la lutte sur le terrain contre les résistances au changement. A l’instar du savant sénégalais Cheikh Anta Diop qui n’hésita pas à rentrer dans son pays, malgré l’hostilité du président de l’époque. Si les aînés ont échoué à redresser l’Afrique, il incombe aux jeunes générations de relever ce défi.

Publié sur http://identitenegre.blogspot.com

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