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Gestion de la forêt congolaise

Interminable polémique sur l’exploitation de la forêt congolaise

C’est par l’intermédiaire de l’excellent blog [1] de notre collaborateur Mouélé Kibaya que nous avons fait la connaissance du site maux-en-mots.com [2] que Pépin Boulou anime courageusement à visage découvert depuis Pointe-Noire. Nous y avons trouvé cette enquête qui devrait interpeler tous ceux qui se préoccupent d’environnement et d’économie au Congo. Nous avons appelé Pépin pour lui demander l’autorisation d’emprunter son texte, c’est donc avec l’assentiment de l’auteur que nous vous livrons cet article.

(A mon Ami Bioka Bongo Bernard)

« Mentez, mentez. Il restera toujours quelque chose. » Voltaire.

Une ressource longtemps masquée.

De même qu’un train peut en cacher un autre, de même une ressource peut en cacher une autre…

Au Congo Brazza, l’immense succès de l’or noir a presque fait oublier, pendant longtemps, l’existence de l’or vert, la deuxième ressource du pays. [3]

Ressource renouvelable et inépuisable s’il est bien géré, le bois a été la première richesse du Congo Brazzaville jusqu’en 1972. A partir de cette date qui marque simultanément la fin de la suprématie du bois et le début du premier boom pétrolier Congolais, le secteur de l’économie forestière fut non seulement relégué au second plan ; mais manifestement négligé. Dès lors, les regards des Congolais, toutes catégories confondues, furent tous braqués sur l’exploitation pétrolière, et surtout les colossales recettes qu’elle a souvent générées.

Une prise de conscience soudaine

A partir de l’an 2000, la vigilance des Congolais, longtemps chloroformée par les miasmes des hydrocarbures, se réveilla brusquement.
Tout d’un coup, leurs regards s’orientèrent vers les cimes des arbres majestueux de leur forêt tropicale. Celle-ci couvre 65% de la superficie de leur territoire. Spontanément, leurs langues se délièrent pour dénoncer l’exploitation sauvage de la forêt Congolaise. Ipso facto, une palpitante polémique sur la gestion des forêts Congolaises prit naissance et ne cesse de s’amplifier.

Le gouvernement congolais mis en cause

Sans nul doute, ce débat public national au sujet de la forêt, avait été déclenché par l’hebdomadaire frondeur "l’Observateur" en fin décembre 2002. Ce journal Congolais titrait à la une : "Forêts Congolaises ; la maffia bazarde et massacre en silence" . [4]
En effet, dans un article à caractère documentaire, "l’Observateur" mettait ouvertement en cause le régime en place.
Principal accusé : Henri Djombo, le ministre de l’économie forestière et de l’environnement [5] Cet article provocateur avait été inspiré par des propos peu convaincants de Mr Henri Djombo sur les antennes de RFI.
En effet, interpellé le 12 Décembre 2002 par RFI, au sujet du « scandale du bois au Congo », Henri Djombo avait déclaré grosso modo ceci : "Les opérateurs, qui arrivent dans le cadre légal, sont tenus de déclarer correctement les volumes annuels…et sur le terrain, nous procédons au contrôle des diamètres de base, des volumes sortis … et tout ce qui déroge à la loi, bien sûr, est sanctionné.".
Le même jour, Jean Pierre Edin, Président de l’O.N.G. Robin de bois, avait battu en brèche l’argumentation apparemment fallacieuse du ministre Henri Djombo.
Cette réplique fut évidemment rapportée par l’observateur. Selon cet organe de presse Congolais, Jean Pierre Edin avait rétorqué en ces termes : « La forêt congolaise est surexploitée…les opérateurs asiatiques qui s’intéressent de plus en plus aux forêts guinéo-congolaises, pratiquent vraiment des coupes terribles. Ils prennent sur la surface tout le bois, y compris des bois très jeunes pour être coupés… l’Etat Congolais récolte rarement les taxes forestières… il y a énormément des détournements quand elles sont payées ; il y en a beaucoup qui ne sont jamais payées. Donc, les revenus pour les pays sont assez faibles par rapport au bois extrait… tout se passe dans l’opacité. ».

Cerise sur le gâteau, l’observateur avait révélé en prime, les "pots-de-vin, les petits cadeaux et autres gâteries" que le ministre Henri Djombo aurait reçu de la part des exploitants forestiers lors de ses visites de travail, en particulier à Pokola dans la Sangha (département du Nord-ouest frontalier du Gabon et du Cameroun). Pour suggérer une idée claire du bradage de la sylve naturelle et artificielle du Congo, "l’Observateur" avait recouru à une saisissante métaphore, empruntée à l’histoire précoloniale du pays : ’’c’est la déforestation des forêts congolaises contre l’entretien des pistes agricoles, comme hier on vendait un homme contre un peu de sel ou un fusil de chasse" [6]
Enfin, "l’Observateur" terminait ce dossier par un précieux avertissement aux congolais : "Le ministère de l’économie forestière et de l’environnement est une mine d’or. Il faut y ouvrir un œil" [7]

Force est de constater que ce conseil demeure bien suivi. Par conséquent la polémique pouvait se poursuivre.

Démenti d’un ministre morveux

Blessé dans son amour-propre, le ministre Henri Djombo ne tarda pas à réagir. Une semaine après l’apparition de cette livraison de l’Observateur, il contre-attaqua « démocratiquement » par l’entremise d’un déjeuner de presse qui eut lieu le 28 Décembre 2002 à Brazzaville. D’un ton énergique, il avait déclaré : "… Les organismes internationaux ont décerné au Congo le prix le plus élevé dans la gestion durable du secteur forestier du bassin du Congo. Notre pays a été le premier à réaliser le clonage de l’eucalyptus. Les contrôles de chantier et la disparition des permis se font selon les normes légales. Il n’y a pas d’opacité dans la gestion de la forêt congolaise…Au Congo, il y a des garde-fous pour contrôler la coupe du bois…, la forêt primaire est quasi-intacte, malgré de nombreux passages de coupes opérées dans la zone sud …" [8]
.
Au cours de ce déjeuner de presse, Henri Djombo avait fustigé l’altitude des propagateurs de mensonges qui agissaient de la sorte pour déstabiliser l’opinion publique nationale et internationale afin que le Congo soit discrédité sur le marché du bois. Selon lui, ces propagateurs de mensonges étaient à la solde des convoiteurs des exploitants actuels dans le secteur forestier au Congo.
Réfutant les accusations de Jean Pierre Edin (sans le citer), Henri Djombo soutenait mordicus que les malaisiens n’opéraient pas de coupes sauvages du bois congolais, mais plutôt en conformité à la législation en vigueur. Dans la foulée, il avait ajouté : "Les malaisiens ont installé des usines de transformation de bois sur place. Ce que certains ne font pas". Enfin, Henri Djombo a indiqué les perspectives de développement du secteur forestier au Congo ; notamment la promotion du reboisement en forêt dense, l’agroforesterie et de la foresterie villageoise, l’implication des populations et de la société civile dans la gestion des terrains et le contrôle de la circulation des produits de la chasse.
Ce vibrant démenti avait semé le doute dans les esprits des congolais. Ces citoyens se demandaient alors : qui de Henri Djombo et de Jean Pierre Edin disait la vérité sur la gestion de l’or vert au Congo ? Nul ne pouvait trancher pour mettre un terme à cette polémique.

Malgré le déficit démocratique notoire au Congo, la salive et l’encre ne pouvaient que continuer de couler à flots à propos de ce sujet à la fois économique et écologique.

Fin momentanée du suspense

La rigueur audacieuse et appréciable du nouveau ministre de l’économie et des finances Rigobert Andely, doublée d’un excès de zèle, mit vite un terme au suspense sur le sujet.

En critiquant publiquement le code forestier, pourtant adopté par le C.N.T [9] qui accordait, selon lui, trop de pouvoirs au ministère de l’économie forestière et de l’environnement, notamment en ce qui concerne les recouvrements, Rigobert Andély avait fragilisé l’argumentation de son collègue, le cacique Henri Djombo. De plus, à l’hémicycle, Rigobert Andély avait promis de corriger les lacunes constatées dans ce code forestier, de telle sorte que la majeure partie des revenus de l’exploitation forestière puisse désormais atterrir dans les escarcelles du Trésor Public. [10]
Quelques jours auparavant, en visite de travail dans la Sangha à l’occasion de l’inauguration d’une succursale de la banque COFIPA de Ouesso en mi-décembre 2002, l’intrépide ministre des finances avait exigé à la SOCALIB (une société libyenne d’exploitation forestière au Congo, réputée championne de l’esquive en matière d’impôts de payer ses impôts dans un bref délai. [11]
Ces mesures courageuses d’assainissement des finances publiques entreprises par Rigobert Andély, vinrent confirmer la gestion opaque des revenus dans le secteur forestier. Elles furent considérées comme des coups de poignard dans le dos des membres du gouvernement ; en particulier d’Henri Djombo qui était sur la défensive.

Une mégestion vite confirmée

Un nouvel épisode de cette polémique nationale, par médias interposés, commença lorsque l’Observatoire Congolais des droits de l’Homme [12] vint apporter de l’eau au moulin aux troublantes accusations de l’Observateur. Par le biais de son bulletin trimestriel d’information "Lumière", paru au cours du premier semestre 2003, L’O.C.D.H fit le compte-rendu de leurs missions d’enquête sur l’exploitation forestière dans les départements administratifs du Niari, de la Lékoumou et de la Sangha.
A travers l’article intitulé : « Man Fai Tai, un exemple de mauvaise gouvernance », L’O.C.D.H incrimina les autorités nationales. En effet, dans cet article, L’O.C.D.H dénonça sans détour l’exploitation intense du bois, la coupe des bois hors normes, la destruction des routes existantes, l’opacité dans la gestion des redevances forestières, la non-publication et le non-respect des cahiers de charges, enfin la violation des droits des travailleurs.
Selon L’O.C.D.H, tous ces méfaits et abus, inacceptables dans un Etat qui se respecte, auraient été commis avec l’aval des autorités congolaises. Celles-ci préféreraient garder le silence lorsqu’on les interroge au sujet des questions relatives à l’économie forestière. Le même article de l’O.C.D.H n’épargna pas le Chef de l’Etat Congolais. Véritable crime de lèse-majesté, le Président de la République du Congo fut éclaboussé par les enquêteurs de l’O.C.D.H. selon ces limiers, à la question de savoir à combien s’élevaient les redevances imputables à Man Fai Tai et comment étaient-elles payées, M. Chen, responsable chinois de Man Fai Tai du chantier de Ngoua II répondit : « Je n’ai rien à vous dire ; moi je ne traite qu’avec Sassou. ». [13]

Pour ces enquêteurs de l’O.C.D.H, l’assurance dont M. Chen avait fait montre et le ton familier avec lequel il désignait le président de la République du Congo constituaient des preuves suffisantes de l’implication de ce dernier dans ces crimes économiques et écologiques. Contre son propre pays !

Ultime démenti du gouvernement

A partir du moment où le Chef de l’Etat avait été directement mis en cause, dans ce scandale, l’affaire ne pouvait que prendre une autre tournure. Dès lors, la palabre quitta la cité et les médias pour aboutir à l’Assemblée Nationale où le ministre incriminé fut interpellé.
Quelques mois plus tard le gouvernement diligenta une mission d’enquête dans le département du Niari où les ressortissants redoutaient sérieusement une savanisation précoce et irréversible de leur terroir. La commission d’enquête fut composite. Elle comprenait douze journalistes (toutes presses confondues), trois parlementaires du Niari, et bien sûr, un représentant de la présidence de la république.

Parmi les douze journalistes, se trouvait Thiam Kissita Fatou, envoyé spécial de l’hebdomadaire "les Echos du Congo" [14].
Voici un fragment du compte-rendu de sa mission d’enquête :
« ... D’ une manière générale, le constat fait sur le terrain fait ressortir que les deux principales Sociétés opérant dans les massif du Chaillu respectent le volume maximum annuel (VMA) prévu dans le code forestier. En clair, cela veut dire que toutes les sociétés ou presque sortent de la forêt le nombre de mètres cubes de grumes prévus par les textes.
Les informations sur la surexploitation de la forêt et sur les coupes de bois sous dimensionnés et jeté dans les ravins pour ne pas être récupérés, n’étaient que pure spéculation. En réalité, le problème est né de la sous information des autochtones, habitués à voir, jusqu’il y a quelques années, des exploitants forestiers nationaux, nantis de très peu de moyens, et donc n’exploitant pas au maximum les permis qui leur étaient attribués, devant des mastodontes comme la société Man Fai Tai, qui, à elle seule possède entre 200 à 250 véhicules grumiers et a besoin de 15.000m3 pour faire fonctionner ses deux usines de Pointe-Noire. Voila qui donne l’illusion d’un abattage sauvage du bois.
Les seuls points restent le respect du cahier de charges, la fiscalité jugée trop élevée par les entreprises forestières, mais surtout le non-respect de la disposition qui stipule que 85% du bois exploité doit être transformé dans le pays, les 15% [restants] étant destinés à l’exploitation.
Et, sur ce point, les députés du Niari élèvent une protestation pour dénoncer le fait qu’aucune usine de transformation n’ait été implantée dans le département du Niari, qui ne bénéficie nullement des bienfaits de sa forêt…
… au niveau des entreprises forestières, il leur est fait le reproche de la part des populations de détruire outrancièrement la forêt sans la replanter…
…avec un personnel faible de 362 agents, il est difficile à l’administration forestière de contrôler les 20 millions d’hectares que compte le Congo… » [15]
Les conclusions de ce rapport d’enquête, tant attendu, ne firent pas l’unanimité. Une partie de l’opinion estima que la commission d’enquête était partisane, corrompue et lâche… en un mot inféodée au pouvoir en place.
Ainsi, lors de la tenue du deuxième sommet des pays du bassin du Congo qui eut lieu du 04 au 05 février 2005 à Brazzaville, il était fort prévisible que la polémique allait être relancée.

Affaire toujours à suivre !!!

Pépin BOULOU
©Pépin Boulou Août 2007

Certes on nous fera encore le reproche de faire ici un copié/collé. Nous répondrons à ces détracteurs que nous n’avons aucune honte à reprendre un article de qualité tant bien même nous n’en ayons pas l’exclusivité.

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