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Jean-Marc Zyttha-Allony : « La Sape est une grâce d’exister, une stupeur d’être »

Cet article a été d’abord publié dans le magazine Afrique Azur

Jubilations morales et philosophiques

Que ce soit au Congo-Brazzaville ou en France, la Sape concerne les Congolais de tous âges et de tous statuts. Même les hommes politiques de premier plan s’y mettent. Il vaut mieux être Sapeur que sportif de haut niveau ou artiste. Snobisme, passion ou philosophie ? Pour Jean-Marc Zyttha-Allony, 58 ans, Congolais installé en France depuis trois décennies, la Sape est tout sauf un snobisme. C’est un « contentement de soi », « une joie née de ce que l’homme se considère lui-même et sa puissance d’agir  », pour citer Spinoza. Entretien.

Afrique Azur  : Vous citez Spinoza pour définir la Sape. Mais pour le philosophe, il faut être dans le dénuement pour apprécier pleinement « la grâce d’exister, la stupeur d’être  »…

JMZA : Connaissez-vous un Sapeur riche ? Nous sommes tous ruinés par cette envie perpétuelle de veiller à cette merveilleuse « grâce d’exister » qu’est la Sape. Tout homme, au Congo, qui vous dira qu’il est riche et Sapeur, ment.

AA : Plusieurs hommes politiques congolais sont riches, du moins ils ne sont pas dans le dénuement, pourtant ils se réclament de la Sape…

JMZA : C’est une fantaisie ! Ils ne sont pas dans le besoin, c’est certain. Mais sont-ils dans la Sape ? J’aimerais qu’ils me le prouvent. Vous savez, la Sape et la politique sont deux domaines incompatibles. Et pour cause : le premier est un cheminement et le second, une mission. La politique tolère le mensonge, la magouille, etc. La Sape, elle, constitue une recherche constante de la perfection. La Sape ne tolère donc ni le mensonge, ni la magouille. Toutefois, la communauté élégante congolaise a donné à l’élite politique quelques-uns de ses meilleurs adeptes. Pour d’autres mérites bien entendu !

AA : Expliquez-nous !

JMZA : Aux abords de l’indépendance, il a existé des Clubs, lesquels n’étaient pas que de jouissance, l’esprit ayant fait florès dans certains d’entre eux. Sinon que voudrait dire le Club « les Existants », si ce n’était un clin d’œil aux «  Existentialistes  » ? Même si l’Existentialisme n’était pas un courant politique mais philosophique. Avec l’intrusion du marxisme-léninisme comme mode de gestion dans les années 70, au Congo, la Politique et la Sape (ce Dandysme à la mode au Congo) ont définitivement divorcé, l’appétit pour l’élégance passant pour suspect. Heureusement, cette défiance, aujourd’hui, a disparu, au point que la Sape est quasiment intégrée dans l’ADN culturel du Congo. En tout cas, tel est le sentiment qu’entrevoit la volonté politique actuelle, si ce n’est un objectif occulte de la part du pouvoir, à en croire quelques esprits chagrins…

AA : Est-ce le rôle d’un homme politique de parler de la Sape ?

JMZA  : Je ne suis pas politologue ni professeur de science politique ou de sociologie, mais les hommes politiques congolais qui se réclament de la Sape se trompent de mission. Bien sûr, il ne leur est pas interdit d’épouser l’élégance ! Mais, parce qu’ils assument une mission au service du peuple, ils devraient se garder d’en parler… Sinon, quel exemple donnent-ils à la jeunesse ?

AA  : Beaucoup de Congolais vous considèrent, vous Jean-Marc Zyttha-Allony, comme l’un des meilleurs Sapeurs congolais. Qu’en pensez-vous ?

JMZA : Merci beaucoup ! Mais, vous comprendrez qu’à 58 ans, j’ai vogué pas mal de temps dans cet océan que sont la vie et l’amitié. Des hommes de goût, j’en ai croisés. Des moins jeunes que moi, des promotionnaires dont des amis et des aînés qui m’ont inspiré. Ne pouvant tous les citer sans faire de jaloux, je ne retiendrai post-mortem que l’ami Gondet Maléba, quelques aînés tels Basile Bigeni, Martin Koloko, Trudel Bikoumou. Et puis le grand François Nkodia, alias Francos. Ce dernier, encore en vie, à mon grand bonheur, restera à jamais une figure tutélaire. C’est dire à quel point les meilleurs Sapeurs congolais sont pléthoriques.

AA  : Que vous procure la Sape, sur le plan personnel ?

JMZA : Le gain est multiple. Pour exemple, je citerai aisément la fraternité, du moins l’amitié. Permettez-moi une digression, la Sape, c’est aussi une « amitié que chacun se doit », pour paraphraser Montaigne. Je veux dire : on ne peut se faire d’amis si l’on ne s’aime pas soi-même.

AA  : Revenons sur votre amitié avec les autres Sapeurs…

JMZA  : L’amitié constitue, en effet, le premier des gains de la Sape. Deux sur cinq de mes amis ne le sont que parce que notre intérêt pour la Sape aura été un critère de sélectivité déterminant et, par conséquent, un vecteur d’estime. Nous ne choisissons pas nos parents, en revanche nous choisissons nos amis, nos femmes… La Sape exige une consanguinité culturelle, morale et philosophique sans faille. Soit dit en passant, ma passion pour l’histoire de l’art, ou l’art en général, ne se justifie que par cela également, au-delà de tout intérêt cognitif. La Sape a contribué à une culture du Beau qui a émoussé dans un tel enthousiasme ma quête du Bonheur.

AA : On peut dire que la Sape n’est pas qu’une simple manière d’être, c’est aussi un ensemble de valeurs ?

JMZA : Vous avez tout compris ! Entre nous, nous ne transigeons pas sur le respect de soi-même et de l’autre ; nous avons un goût immodéré pour le verbe. Nous chérissons, entre autres, l’imparfait du subjonctif. Et, surtout, les trois points de suspension, indicateurs d’une lecture infinie de l’esthétique.

AA : La Sape est donc pour vous une philosophie et une passion ?

JMZA : Une philosophie, en effet, dans la mesure où je me découvre au jour le jour par le doute permanent de ce que je vaux. Je me pense aussi à la fameuse question de Sédar Senghor : « Qui suis-je ? » Et, sans prétendre jouer les censeurs ou les guides éclairés, la Sape est une règle de vie, très stricte, qui s’est imposée à moi, avec cet équilibre entre l’esprit qui invite à la sociabilité, la civilité qui me prédispose à une supériorité aristocratique tout sauf matérielle. Elle est autant une quête permanente dans ma mise de la meilleure pièce, à chaque fois que je dois me vêtir, me chausser. La passion est donc là aussi, pour expliquer que j’accomplis, en fait, un geste ordinaire, mais de manière extraordinaire. Ce qui, bien sûr, ne va pas à l’encontre d’un dandysme que je voudrais actif, aux contraintes et goût d’aujourd’hui. Tout cela, sans verser dans une vanité satisfaite de moi ou une quelconque satisfaction gourmande pour l’épicurien tenu dans son goût de l’exceptionnel. Toute la philosophie de l’être qui le laisse transparaître, bien malgré lui.

Par principe, je n’aime pas parler de moi. Et c’est la raison pour laquelle je ne suis pas friand des estrades ou des podiums pour attirer la lumière. Et pourtant, quel est cet initié qui ne saurait me reconnaître dans ce cercle de « Chiffonistas » ? Au reste, la passion pour la Sape, qui a influé tendancieusement sur mon destin, n’a pas enfreint ma curiosité intellectuelle qui m’a doté d’une pensée raisonnée. Je pratique la Sape comme une plaisanterie, mais une plaisanterie sérieuse m’invitant à la réflexion pour comprendre et justifier le rapport des Congolais à la mode et cet engouement pour l’élégance.

AA  : Qu’est-ce que vous lisez en ce moment ?

JMZA  : Discours sur le bonheur d’Emilie du Châtelet, un livre acheté à une brocante. Ce livre fut écrit par un esprit libre et éclairé, une grand hédoniste. Délaissée par Voltaire après dix ans de vie commune, blessée, elle s’interoge sur la fatalité de l’amour et écrit ce livre, en prônant par exemple qu’"on n’est heureux que par les goûts et les passions satisfaites". Je vous recommande ce livre.

Propos recueillis par Bedel Baouna

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