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L’érosion à Loango, un avis d’expert

A l’heure où le Port de Pointe-Noire envisage un nouveau dragage, il serait sans douute avisé de prendre en compte les avis d’experts. Voici un papier que nous gardions en réserve. Que les autorités en fassent bon usage.

Diagnostic

La cause principale de l’érosion actuelle par la houle est due selon toute probabilité au blocage du transit sédimentaire du sable du Sud vers le Nord par le port de Pointe Noire et les activités de dragage qui y sont menées.

La côte de Loango est constituée de terrains sablo-limoneux très peu cohésifs et très fins et donc très fragiles à l’érosion, au contraire de la pointe Indienne où un substratum rocheux relativement solide protège le littoral de l’érosion. La côte s’érode actuellement sous l’effet de la houle atlantique qui se réfracte / diffracte au niveau de la pointe et rentre en tournant vers Loango. Ces houles résiduelles perdent une grande partie de leur énergie mais gardent une orientation très oblique qui engendrent un fort courant littoral dirigé vers le fond de la baie.

Pour une houle de 2,5m au large, les vagues responsables de l’érosion à Loango ont une hauteur inférieure à 1m qui viennent saper à marée haute la microfalaise en sol très meuble présente au droit du village et du cimetière. Le recul observé dépasserait les 10m par an !

Autrefois, la baie était protégée par une langue de sable marin qui s’appuyait sur le platier de la pointe Indienne et se déployait vers l’intérieur de la baie
Le transit du sable à la côte passait alors localement de l’orientation Sud-Nord à Ouest -Est . L’équilibre était assuré par l’arrivée continue du sable dont la source se situe au niveau des estuaires des fleuves au Sud, et dont le transit vers le Nord est assuré par les houles obliques provenant de l’Atlantique Sud.

L’analyse des contours bathymétriques présents sur la carte IGN de 1960 montre la présence d’un chapelet de bancs de sables qui prolonge la pointe du port de Pointe Noire vers le Nord ce qui renseigne sur le trajet du cheminement du sable depuis la côte sauvage vers Loango avant 1960.

Depuis, suite à l’extension du port de Pointe Noire, le transit du sable par l’effet des houles est stoppé à Pointe Noire : Le chenal du port est constamment menacé d’ensablement du fait du transit du sable venant de la côte sauvage. Pour rester opérationnel, le chenal du port et les zones d’accumulation de sable en "amont" doit impérativement être dragués régulièrement.
A priori, lors de ces opérations de dragage, le sable est rejeté au large ou est utilisé pour des travaux de terrassement... Il ne revient plus à la côte au Nord comme il le faisait avant l’extension du Port.
Une bonne gestion serait (ou plutôt aurait été) de réinjecter le sable dragué vers la côte au Nord où il reprendrait son cheminement vers Loango pour recréer l’équilibre existant antérieurement.

On peut estimer grossièrement (par référence à d’autres régions du monde au climat de houle et aux sables similaires) que le transport solide littoral sud- nord est de l’ordre de 300 000 m3 par an ; pour estimer cela finement à partir des formules classiques il faudrait :
  les statistiques de houles au large que possèdent les pétroliers
  quelques données bathymétriques
  faire une petite analyse granulométrique sur le sable.

Pour mémoire, pour combler la zone marécageuse de Pointe Noire à l’Est du Port avec les sables dragués autour du port, au moins 2 millions de m3 ont été utilisés (soit 6 à 7 années de transport solide), avec des dragues et des tubes de refoulement flottants. L’opération a été effectuée en moins de 10 jours...

L’origine de l’érosion actuelle date de très longtemps, au moins 50 ans : la même carte IGN de 1960 montre l’existence du banc de sable qui protégeait la lagune et la côte au droit de Loango. Mais les documents plus anciens indiquait que ces bancs étaient encore plus importants.

On peut supposer que jusqu’à 1970 les dragages étaient moins violents qu’aujourd’hui et que peut être les sables étaient réinjectés dans une zone de reprise du transit ; On supposera donc que le déficit sédimentaire sur Loango est de 40 années soit environ 40 x 300 000 soit 12 M m3 ...

Les solutions envisageables

Solution 1 : Rétablir les conditions antérieures

La solution la plus évidente (et pas forcément la plus coûteuse si elle était possible) serait donc de "réinjecter" de façon bien étudiée et en une seule opération 10 à 15 M de m3 de sable, en suivant l’axe depuis la Pointe indienne jusque devant le village et au-delà.. On rétablirait ainsi la situation existante il y a 40 ans.

Une fois réalisée cette opération il faudra rétablir le transit littoral à partir du Port de Pte Noire en réinjectant les sables dragués au niveau du port (tous les ans ou tous les deux ans) dans une zone de reprise du sable au Nord.

Il s’agit d’opérations courantes pour les spécialistes du dragage (sociétés hollandaises en général ; cf le comblement de la zone marécageuse citée plus haut)

Seulement, où trouver des stocks de sable disponibles susceptibles d’être utilisés pour ce faire ?

Les moyens existent (cf plus haut pour le remblai de la zone lagunaire de pointe Noire) mais peut-être pas le sable, du moins à proximité : Il y a 20 km environ entre le port et la Pointe indienne. Utiliser les stocks en amont du port ou au niveau du port rendrait le transfert mécanique de sable très coûteux (il faudrait au moins 20 km de pipes et plusieurs stations de reprise pour transférer le sable en suspension dans l’eau).

Donc cette solution ne peut être considérée que si des bathysondages montrent la présence de stocks de sables en quantité suffisante et disponibles au large de la pointe Indienne. Leur extraction et le refoulement vers la côte ne doivent pas induire de nouveaux déséquilibres : pour cela, il suffirait que ces stocks se trouvent par plus de 20m de fond et à plus d’un km au large. Par ailleurs, si des stocks se trouvent à proximité de la Pointe Indienne on peut avoir quelques soucis techniques pour les navires de dragage en raison des récifs qui s’étendent au large de la pointe. Cette solution est donc délicate à mettre en œuvre et nécessite des études préalables relativement coûteuses.

Autres solutions : les protections artificielles

Si cette solution n’est pas envisageable, il faut alors considérer la mise en place de protections artificielles, ce qui n’empêche en rien le rétablissement du transit Sud - Nord au niveau du Port :

A : On peut se borner à protéger le littoral par des enrochements tout le long de la baie. A mon avis ce n’est pas une solution acceptable ni pérenne. Elle aura une efficacité certaine pendant quelques années, mais par affouillement les blocs vont s’enfoncer et perdre leur efficacité. Esthétiquement ce serait plutôt malvenu. De plus le coût de mise en œuvre serait très important (coût de transport et de mise en place, manque d’infrastructures locales pour les engins etc..). Dans l’urgence, on peut préconiser plutôt d’utiliser des sacs de toile plastique remplis d’alluvions pris sur place et bloqués par deux rangées de pieux plantés dans la zone intertidale : cette option, provisoire également, peut être mise en œuvre assez rapidement avec la main d’œuvre locale à moindre coût et avec un minimum de moyens.

B : Mise en place d’épis perpendiculaires : épis de 50m de long tous les 250m entre deux rangées de pieux chargés d’enrochements ou de sacs de sable ou alluvions : Certes ils vont freiner l’érosion mais pas la stopper : le littoral est trop limoneux et les sables très fins ne pourront pas être emprisonnés entre les défenses. Les particules fines vont continuer à être emportées au large dans le courant littoral.

C : Des défenses longitudinales parallèles au rivage à 200-300m au large de la ligne de côte où se trouve à l’évidence une structure de hauts fonds : Ce type de protection qui reviendrait à créer un récif artificiel serait certainement la plus efficace car elle bloquerait l’impact des houles à la côte, et la plus intéressante, car elle recréerait la morphologie lagunaire qui prévalait jusque durant les années 1970. Dans la mesure où les hauts fonds auraient une bathymétrie assez régulière, (ce qui impose un campagne de mesures bathymétrique légère) on peut mettre en œuvre ces défenses de la façon suivante (technique déjà éprouvée ailleurs) :
• Construction de coques en béton parallélépipédiques flottantes à Pointe Noire
• Remorquage des structures flottantes jusque sur le site par une barge
• Coulage des structures en ouvrant une brêche sur le fond et remplissage avec des sacs de limon remplis à terre ou des blocs de pierre

Si au niveau du port de pointe Noire le transit littoral sableux était rétabli, ainsi que cela est préconisé plus haut, le sable viendrait renforcer et pérenniser en une dizaine d’années ces défenses.

D : On peut également constituer un récif en utilisant toute sorte de débris suffisamment lourds et denses qui résisteraient par leur masse à la houle sur les hauts fonds ; Pneux lestés de ciment, carcasses de voitures ou de bateaux métalliques en évitant les objets polluants, etc...
Le problème est de trouver les matériaux correspondant et de trouver les moyens pour les immerger sur place (barge avec grue ...)

E : Enfin il existe une solution novatrice, coûteuse en terme d’investissement mais qui peut être économiquement rentable sur du moyen-long terme et qui peut favoriser le développement économique de la zone : La mise en place de structures mixtes couplant la protection du littoral et la génération d’énergie par les houles : en effet le site est à mon avis favorable à la mise en place de telles structures : le climat de houle qui existe au Congo semble très régulier et, a priori, à part quelques grains équatoriaux on n’a pas de risque de tempêtes sur le site. La baie même de Loango, a de nombreux atouts pour des systèmes flottants, même si les houles qui y pénètrent sont très diminuées en taille.
On pourrait néanmoins préférer mettre en place une longue digue dans le prolongement de la pointe indienne sur la ligne de récifs du platier qui protègerait la baie des houles et intercepterait l’énergie de celles ci en l’utilisant pour générer de l’énergie électrique avec des techniques désormais éprouvées.

JM Roques,
Ingénieur civil , spécialité : Hydraulique et Ingénierie côtière
20 Avril 2006

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