email
La terre promise ?

La France, première destination des demandeurs d’asile en Europe

Après plusieurs années de forte hausse, le nombre de dossiers déposés a encore augmenté, de 2,1 % en 2003. Il place désormais la France devant l’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui vient de prendre des mesures drastiques pour réduire l’afflux de demandes.

LE MONDE | 29.04.04 | 13h51 . MIS A JOUR LE 29.04.04 | 15h54

Le nombre de demandeurs d’asile en France a augmenté de 2,1 % en 2003. Avec 52 204 demandes formulées sur le territoire, l’Hexagone se place ainsi au deuxième rang des pays d’accueil en Europe, certainement même le premier si l’on tient compte d’une part des demandeurs d’asile territorial.

Quatre mois après le vote de la loi sur le droit d’asile, le rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) montre que, malgré les efforts budgétaires déployés, les autorités ont du mal à enrayer un flux qui progresse depuis 1999.

Avec 52 204 premières demandes enregistrées en 2003 (contre 51 087 en 2002), auxquelles s’ajoutent 2 225 réexamens, la France se situe juste derrière la Grande-Bretagne dans le palmarès européen. Si, comme le fait le ministère des affaires étrangères, on ajoute à ces chiffres les dossiers d’asile territorial (statut réservé aux victimes de persécutions non étatiques), la demande d’asile atteint près de 77 200 dossiers et place la France largement au premier rang.

Le calcul est cependant récusé tant par les associations que par le ministère de la cohésion sociale qui souligne, dans un rapport, rendu public mi-avril et rédigé par André Lebon, de la direction de la population et des migrations (DPM), que les "deux séries se recoupent partiellement", certains étrangers déposant deux demandes simultanément ou successivement.

ENGORGEMENT COMPLET

Les autres pays de l’Union européenne ont tous enregistré une baisse importante du nombre de demandes d’asile. Particulièrement sensible en Grande-Bretagne et en Allemagne, cette diminution atteint en moyenne 20 % sur l’ensemble de l’UE. La plupart des gouvernements ont en effet adopté des législations plus sévères cherchant à restreindre l’accès à leur territoire. La situation française fait exception mais la hausse des demandes d’asile s’y est "fortement ralentie", relate le rapport de l’Ofpra. Son directeur, Pierre Viaux, explique ainsi que l’Hexagone a connu une "poursuite modérée de la demande d’asile". "L’accroissement constitue une rupture par rapport aux fortes augmentations enregistrées depuis 1999", insiste l’office.

La hausse du nombre de dossiers avait en effet connu un pic en 2000 avec une augmentation de + 24,8 %, puis de + 22,3 % en 2001 avant de ralentir à + 8,7 % en 2002. Cette poussée avait entraîné un engorgement complet des instances chargées de l’instruction des demandes - préfectures, Ofpra et Commission de recours des réfugiés (CRR). Les délais de traitement des dossiers s’étaient allongés à une moyenne de deux ans, rendant pratiquement impossible toute reconduite à la frontière des étrangers déboutés qui entre-temps s’étaient installés.

La situation avait atteint une telle thrombose que le président de la République avait enjoint, le 14 juillet lors de son discours télévisé, le gouvernement à réformer "immédiatement" le droit d’asile. Jacques Chirac avait fixé un objectif : mettre en oeuvre les moyens permettant de répondre à toute demande dans un délai inférieur à un mois. La nouvelle loi, votée le 10 décembre 2003, visait à raccourcir les délais d’instruction en confiant à l’Ofpra l’ensemble des demandes d’asile et en tentant de rationaliser les procédures.

L’Ofpra semble avoir partiellement rempli la mission qui lui avait été assignée. En portant à 67 030 le nombre de décisions rendues en 2003, les officiers de protection ont accru leur rendement de 33,5 % par rapport à 2002. Le stock de dossiers non encore traités serait en train de se résorber : les demandes de plus d’un an sont au nombre de 2 200 contre 8 200 en 2002 et le total des dossiers en attente est passé de 35 200 en 2002 à 22 900. Le délai d’instruction des dossiers par l’office aurait atteint une moyenne de quatre mois. "Nous serons dans les délais fixés avant la fin de l’année 2004", assure le cabinet de Michel Barnier, ministre des affaires étrangères.

L’affirmation semble un peu optimiste. Si les délais de dépôt de dossiers se sont visiblement raccourcis dans les préfectures, il n’en est pas de même des procédures d’appel à la commission des recours. La CRR aurait un stock de 35 000 dossiers en attente. De plus en plus sollicitée, mais avec des moyens qui ne suivent pas, la commission mettrait entre huit mois et un an avant de rendre sa décision.

"54 DOSSIERS PAR MOIS"

"La commission est en retard de 4 000 dossiers chaque mois", reconnaît le cabinet de M. Barnier. Autant de demandeurs d’asile attendant une réponse que l’Etat doit partiellement prendre en charge en leur allouant une allocation d’insertion et en prenant en charge, pour un grand nombre d’entre eux, une place en centre d’accueil ou en hôtel. L’Etat débourserait ainsi 30 millions d’euros chaque année. Un audit du cabinet Cap Gemini, remis au Quai d’Orsay en décembre, avait préconisé le recrutement urgent d’une trentaine d’agents, réunis dans une structure ad hocpour traiter les dossiers en attente. Son coût, estimé à 8 millions d’euros, a été jugé trop élevé par Bercy.

La course contre les stocks a, semble-t-il, entraîné quelques dérapages dans le traitement des dossiers. "Chaque officier de protection s’est vu assigner un objectif de 54 dossiers à traiter par mois", raconte Gérard Sadik, de la Cimade, qui craint que la qualité de l’instruction ne se dégrade. Le taux moyen d’octroi du statut de réfugié a baissé en passant de 12,6 % à 9,8 %. Ce taux atteindrait même 8 % au premier trimestre 2004, selon le cabinet de M. Barnier. "Une baisse de quatre points, c’est énorme", s’alarme Patrick Delouvin d’Amnesty International.

Les associations dénoncent l’usage plus fréquent des procédures prioritaires utilisées par l’Ofpra pour les demandes jugées "manifestement infondées". La loi prévoit que, dans ces cas-là, les dossiers sont traités plus rapidement, le candidat à l’asile ne perçoit aucune indemnité et n’a pas droit à un titre de séjour. Cette procédure, testée en zone d’attente, aurait connu une progression de 19 % en 2003. La pression au rendement et à la baisse du nombre de réfugiés atteindrait aujourd’hui la commission des recours. "On fait de l’abattage", constate Gilles Piquois, avocat. Pourtant, remarque Amnesty International, même si le nombre de demandes d’asile augmente, il n’est pas démesuré. "Nous avons quelque 100 000 réfugiés en France. La Tanzanie en accueille plus de 500 000."

Sylvia Zappi


Turcs et Chinois en tête

Origine. Les Turcs représentent le flux de demandes d’asile le plus important, avec 7 776 dossiers en 2003. Les Chinois ont déposé 5 343 dossiers et les ressortissants de la République démocratique du Congo 5 311. Viennent ensuite les Russes, les Algériens, les Serbes et Monténégrins. Fait notable en 2003 : la demande malienne s’est effondrée en chutant de moitié, les arrivées d’Africains étant globalement en baisse de 12 %.

Statut. Les taux d’admission les plus élevés ont concerné en 2003 le Rwanda (66,4 %), l’Ethiopie, la Bosnie (autour de 50 %), la Tunisie, la Russie et le Burundi. Les taux les plus faibles touchent les demandeurs originaires de Chine, d’Inde, du Nigeria, de la Moldavie et du Mali.

Loi. La loi du 10 décembre 2003 a instauré un "guichet unique" pour toute demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Elle a réformé les procédures : l’asile territorial réservé aux victimes de persécutions non étatiques, géré par les préfectures, a disparu. Parallèlement à l’asile conventionnel régi par la Convention de Genève, une "protection subsidiaire" a été créée, pour tous ceux qui font la preuve de menaces contre leur vie, valable un an, renouvelable. Des mesures restreignant la possibilité d’obtention du statut de réfugié sont également entrées en vigueur. L’asile peut être refusé à tout demandeur qui peut trouver protection "sur une partie du territoire de son pays". ou qui vient d’un pays "considéré comme sûr", c’est-à-dire où les autorités estiment que les droits de l’homme sont respectés. Enfin, des procédures prioritaires sont instaurées pour tenter de réduire le flux ! des demandeurs.


Une liste commune de "pays sûrs"

Le conseil des ministres Justice et affaires intérieures (JAI) devait se réunir jeudi 29 avril à Luxembourg pour examiner le projet de directive relative aux procédures de détermination du statut de réfugié. Ce projet prévoit l’adoption d’une liste commune minimale de "pays sûrs", c’est-à-dire de pays considérés comme stables, disposant de structures démocratiques et respectant les droits de l’homme. Seraient inclus dans cette première liste le Bénin, le Botswana, le Ghana, le Mali, le Sénégal, le Chili, l’Uruguay, Costa Rica, l’île Maurice et le Cap-Vert. Les ressortissants de ces pays se verraient appliquer une procédure prioritaire d’examen de leur demande d’asile. La loi du 10 décembre a instauré cette procédure prioritaire qui prévoit que le dossier est examiné en urgence, sans recours suspensif en cas de reconduite à la frontière. L’étranger n’a alors pas droit à l’allocation d’insertion ni à un titre de séjour. Pour les demandes émanant de personnes retenues ! avant leur éloignement, ce délai sera même ramené à 96 heures.

. ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 30.04.04


Proposé par : niaou

ebonga ebonga te...

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.