email

La justice diplomate avec les « crimes contre l’humanité » ?

Par Christophe AYAD et Renaud LECADRE

lundi 27 septembre 2004 (Liberation - 06:00)- La justice française peut-elle enquêter librement sur des crimes contre l’humanité commis par des dignitaires étrangers ?

La chambre de l’instruction de Paris examine aujourd’hui une requête du parquet qui vise à réduire à sa plus simple expression l’information judiciaire ouverte à Meaux (Seine-et-Marne) sur le massacre présumé au « Beach » (point de passage entre Kinshasa et Brazzaville sur le fleuve Congo) de quelque 350 réfugiés, au printemps 1999. Saisie par des familles de victimes (86 parties civiles), la justice française a ouvert une procédure en janvier 2002 pour « crimes contre l’humanité », « torture » et « actes inhumains ». Elle est diligentée contre X, c’est-à-dire contre tout responsable congolais ayant pu participer au massacre, même si les plaignants visent quelques noms en particulier. Par ordre protocolaire : Denis Sassou Nguesso, président de la République, Pierre Oba, ministre de l’Intérieur, Blaise Adoua, commandant de la garde présidentielle, et Norbert Dabira, inspecteur des armées.

Rétropédalage. Dans un curieux rétropédalage procédural, le parquet, pourtant à l’origine du réquisitoire introductif contre X, soutient aujourd’hui qu’il ne viserait que le seul général Dabira. Ce dernier possède une résidence secondaire en Seine-et-Marne, « détail » qui fonde la compétence du tribunal de Meaux. Mais la procédure ouverte contre X permet d’élargir l’affaire. Les actuels représentants du parquet soutiennent désormais que « le réquisitoire introductif fut improprement pris contre X »... Prière de ne s’intéresser qu’au seul général Dabira, lequel, entendu une première fois en garde à vue, a pris la poudre d’escampette dès réception d’une convocation pour sa mise en examen pour crime contre l’humanité. Un mandat d’arrêt international a été lancé en janvier ; le ministre de la Défense congolais a fait savoir qu’il avait interdiction de se rendre à toute convocation.

Le parquet a trouvé l’occasion de justifier son revirement avec l’« affaire Ndengue », en avril. Le chef de la police congolaise n’était pas visé initialement. Mais, après avoir pisté en vain le ministre de l’Intérieur dans un hôtel parisien ou le chef de la garde présidentielle à Roissy, les gendarmes chargés de l’enquête se rabattent sur lui, faute de mieux.

Jean-François Ndengue arrive en France le 19 mars pour se faire soigner. Un séjour privé, puisque Ndengue n’a rencontré aucun officiel français, d’après les enquêteurs qui le filent depuis son arrivée. Le 1er avril, le juge Gervillié l’arrête et le met en examen le lendemain. Entretemps, il s’assure que Ndengue ne bénéficie d’aucune accréditation diplomatique auprès du Quai d’Orsay. La direction du protocole le lui confirme verbalement, avant de se rétracter par écrit : « Selon les informations recueillies auprès de l’ambassade de la république du Congo en France », Ndengue est bien en « mission officielle ». Arguant de cette immunité, la chambre de l’instruction décide dans la nuit du 2 au 3 avril, avec une célérité tout à fait inhabituelle, de remettre Ndengue en liberté, qui saute dans le premier avion.

« A l’africaine ». Pourtant, « l’ordre de mission » signé Nguesso était vierge. Pour son avocat Jean-Marc Florand, « c’est un grand classique. La mission est discrète, secrète. A l’africaine, joignant l’utile à l’agréable ». Durant sa garde à vue, Ndengue a prétexté un rendez-vous diplomatique devant se tenir trois jours plus tard. Mais une écoute téléphonique laisse entendre que son retour à Brazzaville était prévu avant cette réunion...

« Si l’on accepte l’immunité diplomatique de Ndengue, n’importe quel bourreau va pouvoir se balader en toute impunité à Paris avec une lettre de son chef d’Etat en poche », assure Patrick Baudouin, un des avocats de la partie civile. Si la cour épouse la volonté du parquet de s’en tenir aux seuls faits dénoncés par les plaintes initiales, s’alarme son confrère William Bourdon, « les victimes devront désormais savoir par anticipation les noms de leurs bourreaux, qui, en général, sont peu diserts sur leur identité, et connaître à l’heure près leur présence sur le territoire français »

www.liberation.fr

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.