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La justice selon Pierre Mabiala, ministre populiste congolais

Le voleur n’aime pas être volé. Nous allons vous le prouver dans le récit qui suit.

Un homme bâti comme Goliath est en train de passer un interrogatoire musclé à un autre homme dont il a solidement ligoté les mains dans le dos. Non, vous ne rêvez pas. La scène est filmée par les caméras de Télécongo.

L’armoire à glace, un certain Pierre Mabiala, est, paraît-il, ministre de Sassou chargé des affaires foncières et du domaine public. Le voilà donc métamorphosé en procureur de la République en train de soumettre à la question un certain Médard Mouloki auquel le prétendu secrétaire d’Etat reproche d’avoir vendu à plusieurs personnes un même terrain nu et multiplié dans la ceinture maraîchère de Talangaï (Brazzaville) la même opération. L’insensé ! Un multirécidiviste qui fait de l’ombre aux professionnels de la haute délinquance, en l’occurrence les agents de ce que la taxinomie politique congolaise désigne sous le vocable de "clan d’Oyo". Il y a de l’arbitraire dans l’air.
Ca n’augure rien de bon pour notre spéculateur terrien.

La vidéo est visible sur le site de notre confrère Zenga-Mambu.

Les droits de l’accusé foulés par terre

« Est-ce que tu veux parler à un avocat ? »

Jamais cette question ne traverse l’esprit de l’ancien avocat Pierre Mabiala lorsqu’il s’acharne sur le malheureux Mouloki.

Pierre Mabiala, sosie de Pierre Oba, du haut de sa masse musculaire s’érige en juge campant dans un tribunal populaire typique des purges nord-coréennes ou soviétiques pos-léninistes :

« C’est une zone marécageuse, non constructible. L’Etat a des projets ici. Qui vous a permis de vendre ? »

Pendant qu’il cuisine le vendeur foncier, notre soi-disant ministre s’en réfère à un complice (un prétendu Directeur général).

En passant, la formule « L’Etat a des projets  » signifie en clair : "des professionnels des biens mal acquis vont y faire pousser des villas comme des champignons). Autrement dit : honnêtes gens s’abstenir. Dégagez, allez voir (nulle part) ailleurs. "

Le simili D.G confirme avoir reçu un jour monsieur Médard Mouloki qui lui aurait proposé du pognon.

A ces mots le procureur Pierre Mabiala rebondit ; la charge est plus véhémente. "En plus vous êtes corrupteur".

S’ensuit un déluge de questions :
«  Est-ce que vous avez un plan cadastrai d’ici ? Avez-vous le quitus du service technique ? Avez-vous cette pièce technique ? »

Mouloki (à l’attention du directeur général) : « Monsieur je ne vous connais même pas »

Conclusion : "Si je ne vous connais pas, par quel miracle me reconnaissez-vous ?! "

C’est que le faux témoignage et le parjure font partie du "minimum syndical" dans les régimes de terreur quand le témoin vise la promotion sociale ou si tout simplement il tient à sa peau.

Oiseau rare

La farce judiciaire de Talangaï sous la conduite de Mabiala est, bien entendu, truffée de faux témoignages. Le Directeur général, témoin à charge, serait donc un incorruptible ( oiseau rare au pays de Sassou). Mais notre Ponce Pilate du droit foncier ne s’en offusque pas. Sa tactique est aussi vieille que la terre : condamner avant de juger.

De toute façon, l’échange est inégal. Mabiala n’écoute même pas les réponses à la cascade des questions qu’il pose à l’infortuné chef terrien. Ce procurateur de Kimpila ( "Mpila" étant une corruption sémantique, la formulation téké authentique est KIMPILA), ce procurateur le coupe systématiquement :

Mouloki décidé à se battre comme un diable : « Il ne faut pas m’intimider. Laissez-moi parler  »

Mabiala, très terre à terre : « Je ne vous intimide pas  »

Comme figure de style il s’agit d’antinomie. On dit exactement le contraire de ce que disent les actes.

Mabiala possède un modèle dans les Fables. C’est le loup de La Fontaine sur le point de déchirer l’agneau qui ose boire dans la rivière.

« Alors laissez-moi parler  » : la répartie est un sursaut de révolte face à la coalition militaro-politique présidée par Pierre Mabiala. Certes la loi du plus fort et du plus fou est toujours la meilleure. Mouloki le sait. Son injonction n’a que plus de mérite. Ce n’est pas donné à tout le monde de tenir tête à un ministre de Sassou. Mais chaque chose a un début. Stéphane Hessel qui vient de publier à 93 ans "Indignez-vous" ne dira pas le contraire.

Humiliation

Or aux yeux des spectateurs de ce drame juridique, Mabiala ne fait que ça. Il instruit son "procès" sous la pression des caméras de Télécongo et en présence des militaires non sans avoir pris soin de ligoter la victime comme un saucisson. C’est pire qu’une intimidation. C’est de la violation primaire des Droits de l’homme, de l’abus de pouvoir, du terrorisme politique. De l’humiliation. Dans les régimes dictatoriaux, la domination fait partie de l’humiliation. On commence par jeter le sujet par terre avant de lui signifier les règles du jeu de soumission. Dans cette triste vidéo, Mabiala est en train de lancer un message machiavélique à tous les sujets de la cour du roi d’Oyo, à savoir : "Les droits de l’homme, nous chions dessus."

Ce rapport de force et cette barbarie font partie de la routine depuis que les vainqueurs de la guerre du 5 juin 1997 contrôlent les richesses de la Nation.

Interrogatoire giratoire

Cependant, le misérable spéculateur foncier ne se laisse pas démonter par ce supposé ministre entouré de membres de son cabinet et de bérets rouges.

Mabiala : « Qui vous a autorisé de vendre ? Avez-vous le plan cadastral ? Montrez-le moi.  »

Mabiala coupe Mouloki quand celui-ci tente de répondre à sa bordée de questions.

Mouloki avec bon sens « C’est vous qui devez l’avoir (le plan cadastral) »

Mabiala, redondant : « Présentez le plan cadastral  »

Mouloki : « Et vous, l’avez-vous (le fameux plan cadastral - NDLR) ? »

Mabiala, triomphal : « Il n’a pas le plan cadastral ! »

Mabiala : « Le lotissement a été fait par qui ?  »

Les questions du ministre/justicier sont aussi tordues que hors de propos.

Mabiala : « Vous ne savez pas que c’est du ressort de l’Etat ?  » (de vendre la zone marécageuse de Talangaï)

Mabiala : "Il n’y a rien de tout ça. Anarchiste ! Allez me montrer les zones que vous avez vendues "

Mouloki : « Détachez-moi (d’abord) »

Mabiala : « Non vous restez comme ça  »

Bien que ne montrant pas des signes d’agitation, le bonhomme est menotté. Comble de transgression, l’accusé est crédité d’une incroyable force d’organisation. Selon Pierre Mabiala, Mouloki, invite généralement sur les lieux de ses spéculations foncières des militaires pour semer des troubles chez les clients auxquels il vient de vendre illégalement des parcelles. Une vraie canaille !

Mais qui sont donc ces militaires que Mouloki, un civil, peut manipuler et terroriser à sa guise ? Des cobras déguisés en soldats ?

Mabiala : « Votre place est en prison  »

A noter que Mabiala est ministre dans un gouvernement dont le chef est poursuivi en France dans l’affaire des biens mal acquis.

Mabiala : « Montrez-nous où vous avez vendu et à qui vous avez vendu »

Mabiala : « A qui avez-vous vendu ?  »

Mouloki (réponse du berger à la bergère) : « J’ai vendu à tout le peuple congolais, aussi bien aux civils qu’aux militaires  »

Ici, le visage du spéculateur terrien prend les traits de Robespierre quand il s’attaqua aux privilèges de la monarchie. "J’ai vendu à tout le peuple congolais" -
"Tout pour le peuple rien que pour le peuple " avait pourtant décrété le cousin Marien Ngouabi.

Mabios : « Allez-me montrer les parcelles vendues »

Mouloki : « Détachez-moi »

Mabiala : « Vous restez comme ça »

Il maintient les fers. Et pourtant son prisonnier ne donne pas des signes d’agitation.

Présomption d’innocence

Mabiala « Vous avez vendu alors que vous n’avez pas le droit »

Mabiala, probable transfuge de l’Upads, entérine désormais les actes de l’autre dictateur avec le zèle des traîtres.

Pourtant Mabiala et le gouvernement qui l’emploient vendent de la délinquance politique et de la prostitution morale sans que le ciel ne leur tombe sur la tête. A qui rendent-ils compte ? Ils sont persuadés que personne ne compte un jour leur demander des comptes.

Mabiala : « Votre place est en prison. Vous l’amenez au commissariat. Votre place est en prison  »

Un réquisitoire sans autre forme de procès, dans la pure tradition expéditive stalino-maoïste.

Sûr de son autorité, le justicier de la République pétrolière, Pierre Mabiala, a déjà décidé du sort de Monsieur Mouloki : la taule. Avocat de formation, Pierre Mabiala passe outre la présomption d’innocence. Pourquoi s’embarrasser de procédures et se perdre en conjectures juridiques ? C’est une perte de temps. C’est tout jugé, la cause est entendue. Cet homme doit croupir en prison, sans jugement, puisque c’est tout jugé. Les droits de l’accusé sont-ils respectés ? Vous voulez rire ? Il y a flagrant délire, alors plus il y a du désordre, plus ils adorent commander.

Si cet homme doit croupir en prison, la justice, la vraie, aurait voulu qu’il ait pour codétenus des kleptomanes comme Edgar et autres Willy Nguesso. N’est-ce pas cher Mabios ?

Une racaille s’est accaparée du centre-ville de Brazzaville et de la propriété privée du CFCO à Kimpila. Si ce n’est pas de l’anarchie comment qualifier ces occupations du sol sans bourse délier ?

Grain de sable

Le crime de Médard Mouloki n’est pas tant d’avoir vendu des terres que d’avoir usurpé une fonction devenue régalienne : le monopole commercial. Il a osé extorquer des sous à des militaires, fer de lance de la dictature du PCT-parti unique. Depuis le retour de la dictature du couple infernal Lissouba/Sassou les nervis de la République bananière du Congo n’achètent plus de concessions nues ou construites. Ils squattent les domaines de l’Etat sans même débourser un franc symbolique. Demandez aux véreux barons qui occupent le bord de mer à Pointe-Noire s’ils ont un « plan cadastral  » ou un titre de propriété. Combien de Pierre Mabiala vont leur chercher des poux sur la tête ? Eux peuvent voler des bœufs. Ils ne supportent pas l’action des voleurs d’œufs comme Médard Moussoki. Eux peuvent voler, pas les autres. C’est le minimum dans une République fruitière. Hier on chantait "Youlou a tout volé". Aujourd’hui qui va-t-on conspué dans les chansons populaires ?

Médard Mouloki a usurpé le métier de voleur réservé aux membres du clan et au réseau de leurs clients politiques. Mouloki passe pour un grain de sable qui pourrait gripper la magouille foncière que l’Etat d’Oyo a mis en place sur toute l’étendue du territoire, de Pointe-Noire à Bétou. C’est insupportable aux yeux de Mabiala.

Vous voyez ; notre thèse de départ se confirme : les voleurs n’aiment pas qu’on les vole.

http://zenga-mambu.com/fiche.php?id=2325

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