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Argentine

La rue obtient la démission du président argentin De la Rua

BUENOS AIRES (Reuters) - Le président argentin Fernando de la Rua a démissionné, cédant à la pression populaire au terme de quatre jours de pillages et d’émeutes provoquées par la politique d’austérité, qui ont fait au moins 22 morts et entraîné la démission du gouvernement.

La démission du chef de l’Etat a été annoncée officiellement par le secrétaire général de la présidence, Nicolas Gallo, et accueillie par des cris de joie par des Argentins descendus dans les rues de Buenos Aires pour l’occasion.

Des témoins ont ensuite rapporté que le président démissionnaire avait quitté son palais à bord d’un hélicoptère.

De la Rua, 64 ans, a expliqué sa décision par le refus de l’opposition péroniste de prendre part à un gouvernement d’"union nationale", comme il le lui avait demandé auparavant.

"Je fais appel aux péronistes avec beaucoup de générosité (...). Je suis prêt à tous les changements qui s’avèreront nécessaires", avait-il assuré lors d’une allocution télévisée.

La réponse de l’opposition ne s’est pas faite attendre : moins d’une heure après l’intervention présidentielle, les élus péronistes à la chambre basse du parlement ont rejeté l’offre de De la Rua. "Le péronisme va continuer d’exercer son rôle d’opposition et ne participera à aucun gouvernement de coalition", ont annoncé les députés dans un communiqué.

La vague d’émeutes soudaines avait déjà provoqué la démission du ministre de l’Economie, Domingo Cavallo, aussitôt imité par le gouvernement en bloc. Le chef de l’Etat avait toutefois uniquement accepté le départ de Cavallo - auquel un magistrat a interdit de quitter le pays.

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Appel à la grève générale

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Mais des centaines de manifestants pacifiques, mécontents des baisses des salaires et des retraites destinées à permettre le remboursement de la dette publique, se sont rassemblés sur la Place de mai, devant le palais présidentiel de Buenos Aires, afin de demander la démission de De la Rua en personne.

"Le plus beau cadeau de Noël que le président pourrait nous apporter serait sa démission", déclarait un manifestant.

La pression s’est encore accrue lorsque plusieurs syndicats, dont la Confédération générale des travailleurs (CGT), la principale centrale syndicale argentine, ont appelé jeudi à une grève générale pour obtenir la levée de l’état de siège. Cette grève, lancée à 18h00 (21h00 GMT), devait se poursuivre vendredi.

De la Rua a proclamé mercredi soir l’état de siège pour une période de 30 jours afin de mettre fin à quatre jours d’émeutes et pillages.

Mais les incidents se sont poursuivis jeudi. Dans le centre de la capitale, des émeutiers ont notamment mis le feu à deux grandes banques.

L’Argentine traverse sa pire crise politique depuis la fin de la dernière dictature, en 1983, et sa pire crise économique depuis plusieurs décennies.

A Washington, le président George W. Bush a fait part de son inquiétude face à la crise argentine.

"Le président est préoccupé par les événements en Argentine et suit la situation de près", a déclaré le porte-parole de la Maison blanche, Ari Fleischer. Il a ensuite fait savoir que Washington "observait" de près la situation.

La Grande-Bretagne a pour sa part appelé à une solution "démocratique" à cette crise.

Le FMI s’est dit prêt à collaborer avec le futur gouvernement argentin pour élaborer un programme économique viable, et le chef de la diplomatie espagnole Josep Piqué, dont le pays assumera la présidence de l’Union européenne à compter du 1er janvier, a affirmé jeudi que les Quinze apporteraient eux aussi leur soutien à l’Argentine.

La colère populaire face aux baisses de salaires et de pensions de retraite a dégénéré en violences au cours du week-end. On dénombrait jeudi au moins 22 morts, dont une grande partie dans la banlieue et le centre de Buenos Aires, et la police et les services ambulanciers ne cessaient de revoir ce bilan à la hausse. Nombre des victimes ont été abattues par des commerçants cherchant à protéger leur boutique.

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Un péroniste à la présidence ?

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La police estime que quelque 20.000 personnes ont pris part aux pillages, et plus de 1.200 personnes ont été arrêtées dans la banlieue de Buenos Aires en raison des exactions.

Confrontés à la vague de pillages, les groupes de distribution Carrefour et Casino ont fermé leurs magasins argentins. Carrefour compte dans ce pays 22 hypermarchés et 132 supermarchés, de même que 227 Dia (hard discount) et Casino un total de 43 magasins.

La démission de De la Rua, dont le mandat n’arrive normalement à son terme que dans deux ans, laisse la voie libre aux péronistes, qui ont dirigé le pays de 1989 à 1999. La Constitution argentine prévoit en effet que le président du Sénat prenne la tête du gouvernement si le président et le vice-président démissionnent ou ne peuvent plus exercer le pouvoir.

Or, le pays n’a pas de vice-président actuellement, et le Sénat est dirigé par Ramon Puerat, un péroniste. La succession doit toutefois être approuvée par le Congrès - dont la chambre basse est contrôlée par les péronistes, qui sont aussi la principale minorité de la chambre basse.

Les péronistes s’étaient dit prêts dans la journée à assumer le pouvoir.

"Soit le président change, soit nous changerons de président", avait déclaré Eduardo Duhalde, l’un des dirigeants du Parti péroniste.

Les émeutes signent l’échec de Cavallo, ancien ministre sous les péronistes dans les années 90, qui avait été rappelé en mars dernier à l’Economie pour imposer aux 36 millions d’Argentins une cure d’austérité destinée à permettre au pays d’honorer le service d’une dette de 132 milliards de dollars.

Pour les investisseurs étrangers, le départ de Cavallo pourrait bien signifier la fin du régime monétariste et une dévaluation du peso.

A la bourse de Buenos Aires, l’indice MerVal a pris 17,48% après l’annonce de la démission de Cavallo.

Le chômage touche actuellement 18,3% de la population active et le pays est en récession pour la quatrième année consécutive. En moyenne, 2.000 personnes passent chaque jour en dessous du seuil de pauvreté

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