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Le passeport congolais : un parcours du combattant (2)

Le passeport congolais est un document très difficile à obtenir surtout pour les congolais d’origine. Connaître un haut fonctionnaire de la police ou de l’armée et offrir des pots-de-vin peuvent s’avérer indispensable.

Il suffit d’un bref séjour au Congo pour se rendre compte à quel point la corruption et l’abus de pouvoir sont devenus des réalités normales et banales. C’est celui qui refuse de s’y soumettre qui est considéré comme anormal et compliqué.

C’est le cas de le dire, obtenir un passeport au Congo relève d’un exploit. Chaque fois qu’un congolais "ordinaire" vivant au Congo ou à l’étranger reçois un passeport il pousse un ouf de soulagement tellement il aura souffert, dépensé de l’argent et supporté des humiliations. Il est parfois plus facile à un congolais naturalisé de recevoir son passeport congolais parce qu’il peut largement offrir des pots-de-vin.

Officiellement, le passeport congolais coûte 36000 FCFA (environ 55.50 Euros). En pratique, il peut coûter jusqu’à 150 Euros et plus. La durée pour obtenir ce passeport étant très aléatoire, ceux qui sont pressés sont souvent mis devant le fait accompli et pris en otage par certains officiers de l’armée et de la police.

Un autre cas typiques, celui d’un jeune homme qui, lui aurait failli ne plus revenir en Europe à la date souhaitée.

H., un jeune congolais vivant en Europe et en vacances au Congo cet été à l’instar de la jeune dame, a voulu profiter de son séjour pour changer son passeport. Comme cela se fait maintenant, au lieu de passer par les services de l’immigration directement, on lui aurait conseillé de passer par un officier O. connu de ses proches parents. Pour cela, il a dû ajouter 10000 FCFA sur les 36000 FCFA que l’on exige normalement afin de "graisser la patte" au dit officier.

Ce dernier va lui promettre de sortir le passeport en un jour, mais une semaine après, H. n’avait toujours pas son passeport. Il devait repartir à Pointe-Noire avant de reprendre son avion pour l’Europe, car son séjour arrivait à son terme. Inquiet, il s’est décidé d’aller voir l’officier O., accompagné de son parent afin de prendre des nouvelles de ce passeport.

Comble de malheur et de manière inattendue, l’officier O. lui apprend qu’il venait de se faire cambrioler et parmi les objets volés, se trouvait l’ancien passeport de H. Cette nouvelle va semer le doute et la désolation chez ce dernier qui se trouve pris en otage parce qu’il a perdu son ancien passeport et il n’a toujours pas le nouveau, alors qu’il devait repartir à Pointe-Noire ce jour là. Il exprime son inquiétude et son doute à l’officier en lui disant qu’il ne comprend pas pourquoi il attendu une semaine avant de lui annoncer cette nouvelle. Pourtant la veille au téléphone ils s’étaient convenus que si le nouveau passeport n’était pas prêt, il pouvait se contenter de reprendre l’ancien et de laisser préparer le nouveau tranquillement, ainsi il pouvait avoir un document de voyage qui lui permettait de sortir du Congo.

Contre toute attente, ces paroles vont mettre l’officier O. hors de lui, au point de se mettre à vociférer comme pour intimider le jeune homme qui lui ne comprend pas pourquoi il s’emporte de cette façon. O. s’indigne de ne trouver qu’ingratitude auprès des gens à qui il rend des services. Accuse H. de le soupçonner d’avoir caché ce passeport, etc.

H. sidéré lui fait comprendre que dans l’affaire la victime c’est lui et que si on était dans un pays où les choses se passent normalement, cet officier devait s’excuser d’avoir laissé voler des documents de ce genre dans son bureau et il devait le rassurer en lui promettant de lui établir rapidement un nouveau passeport. Or, comble d’ironie, O. s’attendait à ce que H. le supplie de lui sortir un nouveau passeport. Parce que comme vous pouvez ne pas l’imaginer, au Congo-Brazzaville si vous n’avez pas votre passeport, vous ne pouvez pas quitter le pays avec votre seule carte de séjour qui vous permet de rentrer dans le pays étranger où vous vivez. Donc, O. se sentait tout puissant pour avoir fait perdre l’ancien passeport et pour ne pas avoir établi le nouveau. Quoiqu’il en soit H. était pris au piège, il devait négocier.

Cependant H., ayant vécu dans des pays où les choses se passent autrement était loin d’imaginer que dans une telle situation s’était encore à lui de faire des pieds et des mains pour obtenir gain de cause. Si bien que pour en finir, c’est le parent qui l’accompagnait qui se mit à présenter des excuses au Colonel O. et même à lui proposer plus d’argent afin de rayer l’affront qu’il venait de subir.

Bref, H., a pu recevoir son passeport le jour de son voyage, heureusement. Sans ce passeport, il aurait eu des problèmes pour rentrer en Europe.

Mais ce n’était pas tout ! Quand H. se présente devant la police de l’aéroport de Pointe-Noire, le jour de son retour, celui-ci est interpellé parce qu’il n’a qu’un passeport neuf. Les policiers lui demandent de justifier ce fait alors qu’il dit être rentré au Congo par le même aéroport. Il explique à ces derniers qu’il a été victime d’un vol dans les services de la police chargés de lui établir ce nouveau passeport et il en profite pour faire une déposition. Comme vous pouvez l’imaginer, personne ne prend en compte ce vol, qui n’est qu’un détail au Congo. Mais il subit un contrôle qui va jusqu’à rechercher son identité dans les registres de l’aéroport à la date que H. a bien été obligé de leur indiquer. C’est seulement après cette vérification et des minutes d’attentes qu’on a pu lui donner l’autorisation de monter dans l’avion.

Comme vous pouvez le constater, désormais il y aura une ou de nombreuses personnes qui vont voyager sous la même identité que H. Mais c’est lui qui risquera souvent d’avoir des problèmes pour justifier son identité.

Nous, nous sommes rapprochés du Colonel O. afin de l’écouter aussi. Ce dernier n’a même pas daigné nous répondre, car il ne pouvait pas donner des détails sur le cambriolage dont il avait été victime. Il avait le devoir de laisser la police mener son enquête.

Pour ce qui concerne ce cambriolage, nous avons constaté que sur les lieux, des ouvriers étaient à l’œuvre pour changer la porte qui avait été forcée. Nous avons aussi noté trois faits qui peuvent nous conduire à nous poser des questions :

  le bureau du Colonel O. qui a été cambriolé se trouve en face d’une grande Direction de la sécurité à Brazzaville ;
  pendant que nous y étions, ses collègues disaient ne jamais avoir connu un fait similaire depuis qu’ils y travaillent. Or, à leur grand regret, le pauvre Colonel O. a souvent été victime de ce genre de coup, deux fois au paravent dans des bureaux situés dans les quartiers de Brazzaville. Comme qui dirait, le Colonel O. n’a pas de chance, c’est chaque fois la même chose ;
  l’ancien passeport de H. possédait de nombreux visa (suisse et schenghen).

Les questions qu’on peut se poser sont celles de savoir :

  dans le climat de terreur sous lequel vivent les populations de Brazzaville, sans vouloir nier le fait qu’il y ait encore et toujours des voleurs dans cette ville, quel voleur inconscient oserait aller voler en face d’une telle structure en prenant tout son temps. Puisque à part ce passeport, on aurait volé un ordinateur, un réfrigérateur et bien d’autres documents comme des passeports déjà établis ?
  pourquoi se Colonel serait-il tout le temps victime de vols dans ses différents bureaux ?
  pourquoi avoir gardé des dossiers en vue de l’obtention de passeports dans son bureau alors que les services de l’immigration se trouvent loin de ce lieu ?
  pourquoi avoir gardé durant des jours cette demande de passeport de H., alors qu’il avait promis en établir un au bout d’un jour ?
  cet ancien passeport de H. ne serait-il pas attrayant grâce à ces anciens visas ?
  il est pourtant possible d’obtenir son passeport en un jour, d’après les promesses du Colonel O., mais pourquoi cela reste-t-il un privilège ? Qui doit-on être pour avoir ce privilège ?

De nombreuses questions qui restent en suspens et dont nous ne pourront certainement pas apporter des réponses, comme c’est la coutume au regard d’autres affaires qui touchent ce pays.

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