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Le système de retraites congolais, de la faillite au sauvetage ?

Au moment où l’actualité sociale et politique en France est dominée par les réformes du système de retraites, une réflexion s’impose sur l’avenir du système congolais. En effet, le modèle de retraite congolais est hérité du passé colonial et de ce fait est l’équivalent du système français : le système de retraite par répartition. Les systèmes de retraite par répartition dans l’ensemble connaissent à de degrés divers des difficultés. La France a entrepris depuis une dizaine d’années des reformes de son système et semble aujourd’hui sauvée d’un naufrage annoncé. Au Congo par contre les pensions de retraites sont versées de façon aléatoire et ce grâce à la rente, les caisses de sécurité sociale étant en déséquilibre chronique. Comment peut-on expliquer cette situation ? Peut-on sauver le système de retraite congolais ?

Nous allons dans un premier temps examiner les raisons de la faillite du système congolais ensuite dans un deuxième temps nous explorerons une piste de réflexion susceptible de sauver nos retraites.

La faillite d’un système

Les principes des retraites par répartition

Deux modèles de financement des retraites sont en théorie possibles, la répartition (solidarité) et la capitalisation (épargne). Au Congo, c’est le système par répartition qui est en vigueur.

Dans la doctrine officielle, le système de retraites par répartition est fondé sur une double solidarité, collective et intergénérationnelle. Tous les actifs cotisent quelque soit leurs revenus en outre, les actifs d’aujourd’hui cotisent pour les retraités d’aujourd’hui via des prélèvements obligatoires sur leurs revenus. La pension du retraité n’est donc pas des fonds qu’il aura épargnés tout au long de sa vie active comme le laisserait penser l’imaginaire collectif, mais des retraits effectués sur les revenus de ceux qui sont encore actifs. Ainsi, plus il y a d’actifs mieux seront garanties les pensions des retraités.

Les causes de la faillite

Au Congo, tous les actifs –personnes ayant un emploi ou à la recherche d’un emploi- n’ont pas droit à la retraite et ceux qui en ont droit, perçoivent leurs pensions de façon aléatoire (jusqu’à quand ?), d’où la qualification des « maltraités » infligés à nos retraités. La situation est donc dramatique pour nos concitoyens retraités en dépit de leur contribution à la l’enrichissement du pays. Comment sommes-nous arrivés là ?
Au delà de la mauvaise gestion, notre système de retraite connait des difficultés essentiellement d’autre structurelle qui se résument par la détérioration du ratio retraités / cotisants. En effet, on compte de moins en moins d’actifs (cotisants) du fait :
 Des restructurations dans le secteur moderne (économique capitaliste). Les entreprises de ce secteur marchand ont connu de profondes transformations, exigées par les programmes d’ajustement structurels si elles n’ont pas simplement subi la dure réalité de la mondialisation. Ainsi, la plupart des fleurons de notre économie ont disparu à l’instar d’Hydro-Congo, de l’ONPT, de la STPN, de la RNTP, de Lina-Congo, de la BCC, de Manu-Congo, de Huilka, de Sidetra, Socobois,... Parallèlement à ces disparitions d’entreprises, des nouvelles créations sont rares. Les actifs qui perdent leur emploi le retrouvent difficilement dans le secteur capitaliste, ils vont par conséquent grossir (dans la majorité de cas) le secteur « informel-traditionnel ».
 Du dégraissage de la fonction publique. La fonction publique, premier employeur du secteur moderne va connaitre une restructuration à partir des années 1980. En effet, contraint par la Banque mondiale et le FMI, le Congo mettait fin au recrutement systématique des diplômés dans la fonction publique. La voie qui conduit au marché du travail devient alors une impasse pour les jeunes diplômés et le renouvellement du personnel, un des moyens de perpétuer le système de retraite par répartition se révèle irréalisable. Tout comme leurs ainés ou parents ayant perdu leur emploi dans le secteur moderne capitaliste, les jeunes diplômés vont grossir le secteur informel (chauffeurs de taxis ou de bus, enseignants et infirmiers dans le privé) s’ils n’ont pas réussi à émigrer. Ce sont donc des potentiels cotisants qui vont manquer à notre système de retraite.

En somme, avec les multiples liquidations d’entreprises, l’incapacité endémique pour notre pays d’élargir le secteur moderne capitaliste, le non renouvellement des fonctionnaires et l’expansion du secteur informel, il est difficile voire impossible pour les caisses de retraite à s’autofinancer. Des solutions radicales s’imposent, si l’on ne veut pas se retrouver dans un futur proche avec une population sénile totalement démunie.

Comment sauver notre système de retraite ?

Il y a quelques mois, le gouvernement a décidé d’allonger la durée des cotisations c’est-à-dire de retarder l’âge de départ à la retraite. Bien entendu cette mesure s’imposait, seulement elle est insuffisante pour garantir les paiements des pensions et mettre un terme à l’inégalité de traitement entre les actifs des secteurs moderne et ceux de l’informel. L’ampleur du problème nécessite une restructuration en profondeur. Combiner l’allongement des cotisations et l’augmentation des cotisants par la « formalisation » de certaines activités de l’informel, est notre axe de réflexion pour sauver notre système de retraite.

Qui a droit à la retraite ?

Tous les actifs congolais – ceux qui produisent de la richesse- n’ont pas droit à la retraite. Pour cause, la structure économique de notre pays composée de deux grands secteurs : un secteur moderne protégé qui accueille les fonctionnaires, les salariés des entreprises capitalistes (publiques et privées) et un secteur informel-traditionnel qui rassemble les paysans, les vendeurs, les chauffeurs de taxis et de bus, les actifs de l’enseignement et cliniques privés (de plus en plus nombreux) …
Les actifs du secteur informel ne cotisent pas pour la retraite, alors que ceux du secteur moderne, alimentent les caisses de retraite par des prélèvements effectués sur leurs revenus. Si les actifs du secteur moderne peuvent prétendre à la retraite, ceux de l’informel-traditionnel sont laissés à leur triste sort au cours de leur vieillesse. Or nous constatons depuis les libéralisations des secteurs de l’enseignement et de la santé, depuis le non renouvellement des fonctionnaires et depuis les restructurations des entreprises du secteur marchand, une explosion de « l’informel » devenant ainsi le premier employeur du pays.
Cette situation met en lumière un paradoxe saisissant, entre d’un coté l’essoufflement des cotisations pour les retraites (les actifs du secteur moderne sont de moins en moins nombreux) et de l’autre coté, des actifs « non-cotisants » de plus en plus nombreux. Refuser de prendre en compte l’expansion et le dynamisme de « l’informel » serait faire preuve d’aveuglement intellectuel préjudiciable pour l’avenir de notre pays. On peut donc se servir du secteur informel pour augmenter le nombre des cotisants et ainsi sauver nos retraites.

Augmenter le nombre des cotisants

Ceux qui ne cotisent pas (les actifs de l’informel) doivent participer à l’effojavascript:barre_raccourci(’’,’’,document.formulaire.texte)rt de solidarité, c’est-à-dire apporter leurs contributions au financement des retraites - à condition que ces cotisations supplémentaires n’aillent pas directement dans les poches des responsables -. Le secteur informel-traditionnel n’est pas homogène, il regroupe en son sein diverses activités qui n’ont rien de commun si ce n’est d’échapper à toute évaluation ou à toute comptabilité.
Il serait donc intéressant de répertorier les activités pouvant faire l’objet d’évaluation et ou de modernisation ; procéder en quelque sorte à leur « formalisation ». Il s’agit des activités proches du secteur moderne-capitaliste comme celles relatives aux transports en commun (taxis, bus), aux écoles et cliniques privées, aux hôtels des quartiers populaires et bien tant d’autres qui dynamisent notre économie.

Ces activités pourvoyeuses d’emplois, étaient longtemps considérées comme l’antichambre du secteur moderne ou le tremplin pour un emploi « moderne ». Les salariés de ces activités n’ont aucun droit, ils ne s’en préoccupaient d’ailleurs pas puisqu’ils y étaient juste le temps de trouver un « vrai » emploi. Aujourd’hui ils y sont et y resteront en majorité toute leur vie active.
En effet, avec le recul on constate qu’un certain nombre d’actifs –aujourd’hui gagnés par l’âge- n’ont jamais franchi le seuil de l’informel ; le pont entre l’informel et le secteur moderne devenant infranchissable voire coupé pour un bon nombre des congolais. Ces actifs ont donc passé toute leur vie active dans les activités informelles. N’ayant pas cotisé ils n’ont pas droit à la retraite. La société doit-elle les laisser sans assistance sous prétexte qu’ils n’ont pas cotisé ? N’ont-ils pas droit, à l’instar des actifs du secteur moderne à la rente pétrolière ? N’Y aurait-il pas un moyen de les faire participer à l’effort de solidarité ?

De la solidarité partielle à la solidarité totale

Le système de retraite par répartition est fondé sur une solidarité collective et intergénérationnelle. Au Congo la retraite ne concerne qu’une partie de la population active, en cela nous la qualifions de solidarité partielle. Nous estimons que la prise en compte de certaines activités informelles dans le financement des retraites a le mérite de permettre la réalisation d’une solidarité plus large. L’augmentation des cotisants par l’apport de l’informel, va permettre de relever le ratio cotisants/retraités qui permettra l’autofinancement des retraites. Les caisses de retraites ayant retrouvé leur équilibre financier, l’Etat pourra ensuite orienter les ressources (la rente) jusqu’ici destinées aux paiements des retraites du secteur moderne, vers la prise en charge des retraites de nos paysans, vendeuses, …et la solidarité deviendrait alors totale.

Maboula-Ngounga Gaston
socio-économiste (Bordeaux France).

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