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Le viol constitue parfois un crime de génocide

Par Jim Fisher-Thompson Rédacteur du « Washington File »

Conférence à l’American University de M. Pierre-Richard Prosper, ambassadeur extraordinaire chargé des questions liées aux crimes de guerre

Washington - Pour M. Pierre-Richard Prosper, ambassadeur extraordinaire des États-Unis pour les questions liées aux crimes de guerre, qui a eu l’occasion d’affiner ses compétences en servant auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le fait d’avoir apporté sa contribution à l’élargissement de la définition du mot génocide pour qu’elle comprenne la violence organisée contre les femmes, notamment le viol, est un sujet de grande fierté car cette nouvelle définition constitue un précédent légal qui est toujours pertinent pour les conflits ethniques actuels.

Récemment, à l’occasion d’une conférence organisée à la Faculté de droit de l’American University, à Washington, M. Prosper a fait part de ses expériences en qualité de procureur chargé des procès des personnes accusées d’avoir perpétré le génocide au Rwanda, qu’avait organisés l’ONU à Arusha. Quelques jours auparavant, il avait conduit une délégation américaine à Kigali afin de marquer le dixième anniversaire du massacre de 500.000 à 800.000 Tutsis et Hutus modérés, massacre qui avait commencé en avril 1994.

« Mon travail auprès du tribunal sur le Rwanda a véritablement changé ma vie », a expliqué le responsable du département d’État à son auditoire, ajoutant que le procès avait changé sa perception de la notion de génocide. Lorsqu’il est arrivé à Arusha, en 1996, le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda venaient d’être créés et « il n’existait tout simplement pas de précédents légaux sur lesquels baser nos débats » hormis les procès de Nuremberg de la Deuxième Guerre mondiale.

Un génocide, pour beaucoup, c’est le massacre d’un grand nombre de personnes, mais en ce qui concerne le Rwanda, les choses ne se sont pas arrêtées à cela. Après s’être penché sur les dossiers rwandais, a indiqué M. Prosper, « J’ai compris que la notion de génocide, ce n’était pas seulement la tuerie. Il nous fallait prendre en compte d’autres actions telles que la violence sexuelle et la mutilation. »

Les femmes victimes de viols à répétition qui ont apporté leurs témoignages aux procès d’Arusha étaient tellement traumatisées qu’on avait l’impression qu’elles avaient en partie perdu leur humanité. « Lorsque les procureurs les ont observées, ils ont eu le sentiment qu’une partie de la population féminine tutsie avait été sciemment anéantie malgré qu’elle soit encore vivante. Ces femmes, en fin de compte, avaient été détruites car elles ne pouvaient plus contribuer à l’humanité.

« Nous avons donc examiné la Convention sur le génocide (Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide) et sommes arrivés à la conclusion qu’elle concernait clairement des actes qui n’aboutissaient pas nécessairement à la mort, mais qui causaient une ’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres d’un groupe’. Le viol systématique de Tutsies entre dans cette catégorie, car le but était d’éliminer la contribution normale des femmes à la société », a expliqué M. Prosper.

« C’est ce point que nous avons fait valoir à Arusha, et le tribunal a trouvé que le viol faisait partie de l’acte de génocide », a-t-il déclaré, ajoutant cependant : « Il est important de noter qu’il n’a pas été dit que le viol en lui-même pouvait être considéré comme génocide. Il faut considérer l’ensemble des circonstances. » Les juges se sont accordés à dire que la violence sexuelle, au Rwanda, avait été organisée et utilisée comme une arme contre un groupe particulier : les Tutsies.

Il a fait remarquer que les spécialistes n’étaient pas tous d’accord à propos des sites de tribunaux pénaux internationaux pour la tenue de procès. Dans les affaires de crimes contre l’humanité, a-t-il dit, « Nous estimons qu’il vaut mieux encourager des procès locaux » plutôt que de tenir des procès dans un lieu central tel qu’à La Haye. « Je fonde fermement cette conviction sur mes expériences des affaires relevant de tribunaux internationaux (...) Je l’ai constaté au Rwanda, en Sierra Leone, dans les Balkans, au Cambodge, au Soudan, en Afghanistan et en Irak. Les gens veulent que la justice se tienne aussi près d’eux que possible. Ils veulent la sentir. Ils veulent avoir le sentiment d’y jouer un rôle. Ils veulent en être responsables. Si ce sont des étrangers qui font le procès, les gens peuvent toujours dire que le verdict leur a été imposé et qu’ils en rejettent l’issue. »

« C’est ce genre de tribunaux qui est nécessaire, mais ils doivent faire du meilleur travail lorsqu’il s’agit de s’ouvrir à la communauté, de lui faire sentir qu’elle participe au processus. Il est essentiel d’assumer ses responsabilité et nous ne voulons pas que les pays abdiquent leurs responsabilités lorsqu’il s’agit d’administrer la justice parce que c’est difficile au plan politique et qu’ils préféreraient ne pas le faire.

« Si l’on veut vraiment que la primauté du droit se généralise, il faut à notre avis que les pays commencent à prendre les décisions fondamentales pour l’appliquer chez eux au lieu de compter sur une institution des Pays-Bas pour le faire », a-t-il conclu.

mercredi 5 mai 2004


Proposé par : niaou
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