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Exégèse

Les écrits d’Ambroise Noumazalaye

Que faut-il prendre en considération chez un homme politique ? Ce qu’il dit, écrit ou ses non-dits ? Ambroise Noumazalaye qui vient de disparaître a légué à la réflexion un ouvrage de 28 pages. Notre hypothèse est que ce qui y est écrit ne reflète pas l’intime conviction de l’auteur quant à sa façon de mener la politique, la vraie, celle du pouvoir qui se situe au bout du canon, celle, florentine, du meilleur moyen de le conserver, quitte à casser des oeufs, c’est-à-dire à répandre du sang.

Ambroise Noumazalaye, idéologue de la Nouvelle Espérance

Nos hommes politiques n’ayant pas la particularité d’écrire leurs mémoires ou de consigner dans des ouvrages leur pensée idéologique, il est difficile, après leur mort de les cerner. Ambroise Noumazalaye ne fait évidemment pas exception à la règle. Noumaz n’est pas De Gaulle dont les mémoires sont un modèle du genre.

Il ne reste pas moins que cet homme, grâce à son passé d’universitaire, a sauvé tout de même la mise en léguant à la postérité un écrit ( un tout petit écrit) un obscur opuscule de 28 pages qu’il publia en 2006 (ou peut-être en 2005).
On ne peut donc pas dire, sans être de mauvaise foi, que l’idéologue Noumazalaye fut un « désert culturel ».

Tant pis si le discours brille par une superbe langue de bois mort. Le problème n’est pas là. Ce qui compte c’est l’articulation des idées.
Le livret s’intitule « De la chenille au papillon ». Il a comme sous-titre « Contribution au débat sur la refondation du Parti Congolais du Travail »

C’est, justement sur le thème de la « refondation » que Noumazlaye a consacré son dernier combat, usant de la métaphore zoologique pour illustrer sa vision du changement politique.
On peut même dire que cet ouvrage a été son chant de cygne, une mélodie qu’il a esquissée en dernière instance avec, comme qui dirait, l’énergie du désespoir. En tout cas, ce pourquoi l’honorable Noumazalaye s’est battu avec une terrible hargne ce fut la refondation de son cher enfant, nourri à la sauce maoïste de la fin des années 60, son beau joujou, le PCT, parti fondé par l’immortel Marien Ngouabi que lui, l’un des compagnons de la première heure, traite de « dialecticien », un bébé que certains, selon l’expression consacrée voulaient « jeter avec l’eau du bain ».

Dans La chenille et le papillon, son « Mein Kampf », ce mathématicien/marxiste de formation use à fond de la méthode historique, appuyant son argumentaire sur une conception évolutionniste du monde, allant jusqu’à convoquer Darwin, le père de la théorie de l’évolution des espèces.

Pour A. Noumazalaye, « la seule possibilité de survie dans un monde qui change sans cesse et perpétuellement est dans la métamorphose » (p.3) un changement que les nostalgiques de la trempe de Lékoundzou ont eu du mal à admettre, s’employant à « s’accrocher à des choses comme la dénomination du parti, le logo, ainsi que toute l’iconographie alentour, escamotant ainsi l’essentiel du débat qui porte sur l’adéquation des signifiants avec les signifiés ou si vous préférez , des contenants avec les contenus… » (p.14)

Se considérant libéral à jamais, notre penseur estimait que « toute la symbolique sous-jacente à notre communication doit renvoyer au champ culturel de la démocratie ; une démocratie a fortiori pluraliste, soucieuse de la réalité de l’Etat de droit, et donc en rupture avec la tradition moniste tant dans sa lettre que (…) de son esprit » (p.14)
Autrement dit, dans la lutte pour le leadership opposant Denis Sassou-Nguesso à Lékoundzou Iti Ossétoumba, notre vieux loup de la politique, Ambroise Noumaz, avait choisi son camp, flairant le parti qu’il pouvait tirer pour la suite de sa carrière en s’alliant plutôt à un militaire qu’à un civil.

Aussi, ce dernier (Lékoudzou ) chef de file des Conservateurs en prendra férocement pour son grade lorsque le camarade Noumazalaye ajoute, au sujet des vieux symboles du Parti, que « continuer à les brandir en dehors du contexte qui fut les leurs a quelque chose d’illogique voire de suranné » p.14
En somme la chenille doit devenir papillon, selon la loi de l’évolution des espèces.
Et d’accuser ses adversaires de « vouloir perpétuer contre l’avis du peuple un régime dépassé. »
C’est-à-dire de continuer à faire le culte de Ngouabi. Les Conservateurs reprocheraient aux Rénovateurs de "tuer une seconde fois Marien Ngouabi" ! Le pire des sacrilèges.
Réponse cinglante des Refondateurs : de toute manière, Marien Ngouabi "pour ses mérites et par notre volonté, sans pression d’aucune sorte, a accédé à l’immortalité définitivement" (p.2)
A noter que cette métaphysique de la vie dans la mort a longtemps servi de refuge à ceux qui tuèrent le même Ngouabi.
Donc, pour Noumazalaye, hors de question de ressasser le passé, par conséquent, le PCT devrait « épouser son époque, comme l’eau, son récipient »
Mao dans son Livre rouge aurait dit "comme un poisson dans l’eau", métaphore piscivore que le penseur chinois utilisait pour qualifier l’armée du peuple.

Les sources de ses écrits

Pour défendre sa vision du parti et sa foi en la métamorphose des choses, Noumaz s’appuie bien entendu sur la pensée soviétique, notamment sur l’homme politique russe Mikhael Gorbatchov pour qui « perestroïka égale refondation. » .
Perestroïka et Glasnost étant des concepts encore à la mode lors de la chute du Mur de Berlin, on pensait qu’ils avaient disparu de la circulation après la mort politique de Gorbatchov. C’était compter sans la vigilance intellectuelle du sénateur Noumaz, homme de gauche de la première heure (avec, certes, le porte-feuille à droite comme la plupart des marxistes congolais).
Flatterie ou objectivité ? En tout cas Sassou-Nguesso, auteur du Manguier, le fleuve et la souris servira également de source argumentaire dans la volonté de Noumaz de changer le PCT.
De façon innatendue, Abraham Lincoln est également convoqué. Le Président américain, Lincoln, assassiné comme Ngouabi, Noumaz s’en "approprie les mots" (p.22) On ne pouvait pas être plus hétéroclite dans ses choix bibliographiques.

Malgré ses références aux auteurs communistes de l’ancien bloc de l’Est, Ambroise Noumazalye n’a pas moins étudié les Mathématiques et les Sciences Economiques à Toulouse, une université du bloc de l’Ouest. Il illustre ainsi le paradoxe qu’il n’y a pas pire anti-libéraux que les étudiants formés en France et pire anticommunistes que ceux formés à l’Est.

Cela dit, il n’y a que les langues de vipère (que nous sommes) pour prétendre que ce haut fonctionnaire de l’Etat ne décrocha aucun titre universitaire de sa vie. Qui donc ne sait pas que les maths c’est dur ! Et puis, à l’époque, à Toulouse, qui ne sait pas que les étudiants, les militants de la FEANF passaient plus leur temps à organiser des A.G. politiques qu’à lire leurs cours ? Pas évident tout ça !
A défaut donc de jouer avec les concepts scientifiques, Noumazalaye résolut de jongler avec les idéologies, parvenant à conserver son métier d’homme politique durant près de 45 ans, avec (on vous le concède) quelques brefs (mais très brefs séjours) en prison.
Après avoir exigé de ne pas s’attacher aux symboles, aux icônes, Nouzalaye poursuit sa pensée en la truffant de savoureuses métaphores de traque animalière. Jugez-en : « Pour utiliser une allégorie, le PCT a compris très tôt dans l’organisation de la lutte politique, lutte perpétuelle, que la chasse au moineau et celle à l’antilope ne peuvent se faire avec les mêmes armes ». p.14

Ses adversaires lui ont souvent reproché, en sa qualité de Premier Ministre, d’avoir été incapable d’afficher un bilan positif à son actif. Sans doute. Mais personne ne peut lui contester d’être une bête politique au sens machiavélique du terme. Sur les conseils de Sassou (ou sur ses propres conseils) il prétend avoir jugé nécessaire dès 1989, année de la chute du Mur de Berlin, de restructurer le PCT afin de parer les vents du changement qui allaient souffler sur le monde.
En tout cas, il résume cette vision prophétique en ces termes :
« L’évolution des espèces tant que réaction de survie est, dans chacune de ses séquences, une réponse adaptée à cette dynamique qui soumet l’environnement physique à un changement ininterrompu. »
A cet effet, malheur à ceux qui ne sont pas en phase avec le changement car « la redéfinition de la carte géopolitique du monde en fonction des nouveaux enjeux, était devenu un impératif catégorique pour quiconque ne voulait pas se retrouver en divergence avec le cours de l’histoire. Aussi les partis politiques qui se réclamaient du marxisme-léninisme devaient forcément opérer en leur sein, une mutation en profondeur » p.9

Bref, la rénovation est un vieux combat. Résultat, en décembre 1990, après le sommet de la Beaule, après en avoir discuté avec Sassou, on convoque le IV Congrès extraordinaire, histoire de mettre fin au monopartisme pour « suivre la marche irréversible de l’histoire vers une démocratie pluraliste » p.10
La perestroïka à la congolaise était plus que nécessaire.
« Le Parti Congolais du Travail, créé au siècle dernier, dans un contexte de lutte de libération se trouve aujourd’hui devant la nécessité de se métamorphoser s’il veut continuer à être le bouclier protecteur de la jeunesse, des paysans, des travailleurs et de tous les défavorisés dans la situation post-guerre froide où l’injustice, la domination, les conflits sociaux, la lutte des classes etc. ont changé de forme et parfois de logique » (p13)
Telle fut la pensée du politicien qui vient de nous quitter, un penseur qui faisait exactement le contraire de ce qu’il disait en public et écrivait officiellement. Du machiavélisme à l’état pur et dur.
Voilà pour la langue de bois.

Comme chacun a pu constater, plus conservateur que Noumazalaye, on ne pouvait trouver mieux. Du reste le débat conservateurs/rénovateurs auquel se livrent les partisans du PCT fait penser à deux personnes discutant sur la meilleure manière de définir un verre d’eau rempli de moitié : est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Autant dire que c’est une farce, une perte de temps. On voudrait amuser la galerie comme des singes au zoo qu’on ne s’y prendrait pas autrement. A qui veut-on faire croire que le PCT, qu’il soit dirigé par les ngouabistes ou par les sassouistes, n’est pas un parti du passé ? Un parti fossile ?

La vraie pensée de Noumazalaye

Cet idéologue réputé être un dur des durs passait pour l’homme des coups bas, à l’image de son patron Sassou
Autant dire aussi que le discours consigné dans "De la chenille au papillon" n’est qu’un leurre. La vraie pensée de Noumazalaye n’y est pas consignée. C’est la langue de bois qui y est présentée. La langue verte de Noumaz n’a jamais écrite nulle part. Elle s’est simplement vérifée dans la pratique. Cruellement d’ailleurs.

C’est un forumier de Congopage, fervent admirateur du sénateur , réagissant à l’article sur la mort de Noumazalaye paru sur notre site Congopage qui nous donne un échantillon de la violence que pouvait manifester ce saint homme dans sa pratique politique.

Ecoutons-ça :
"M. Noumazalaye a bel et bien été ce premier ministre d’Alphonse Massamba Debat. Vous l’avez pas dit Webmaster " reproche notre internaute.
"Prenez au moins le soin d’enrichir la biographie d’un homme d’Etat. J’ai personnellement apprécié l’éloquence d’Ambroise Noumazalaye." avoue avec délice notre lecteur.
« Lors de la guerre du 5 juin 1997, il avait annonce sur Rfi "la déconfiture de plusieurs délinquants Cocoyes nettoyés par les forces armées congolaises a hauteur de l’école nationale d’administration et de magistrature, un total de 44."
"Qu’ils viennent chercher leurs corps" dit cyniquement Noumaz.

"Noumazalay c’est aussi celui la même qui avait annoncé "l’offensive généralisée" des armées congolaises qui avait mis fin aux fonctions de Pascal Lissouba."
« C’est encore lui » poursuit notre forumier « qui avait prévenu les populations de Bacongo et de Makelekele d’être le plus loin possible des zones de combat. »
A ce sujet, Noumazalaye fit cette mise en garde : « (...)Ils seront responsables de ce qui pourra leur arriver. »
Puis, notre forumier/informateur de commenter fièrement :
« Nous sommes toujours en fin sept. début oct. de l’an 1997, la meilleure année des armées congolaises »

Conclusion : personne, mieux que ce forumier/militant, n’a résumé Ambroise Noumazalaye.

Aussi, c’est très choquant de lire ailleurs que même ses amis politiques à Tâ Kombo (quartier nord deBrazzaville) rient à gorges déployées et organisent "le bal de ndinga" autour du cadavre de ce fidèle serviteur de l’Etat.

Bibliographie :
"De la chenille au papillon. Contribution au débat sur la refondation du Parti Congolais du Travail", 28 p. Préface de Dominique M’Bango. Brazzaville (année d’édition illisible)

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