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Les paradis fiscaux en question en 2009

Les membres du G20, au sommet de Londres, ont insisté sur le renforcement de la régulation internationale sur les paradis fiscaux et sur les hedge funds (fonds spéculatifs). La chasse aux paradis fiscaux se heurte souvent à un problème de définitions, elles-mêmes brouillées par des enjeux politiques.

Généralement, on appelle paradis fiscal tout pays où on ne paie pas ou on paie très peu d’impôts. Ces pays sont également des paradis bancaires et réglementaires : ce sont des Etats où on peut mettre de l’argent sans le déclarer dans son pays d’origine et, surtout, des pays qui ne posent aucune question sur la provenance des fonds. C’est ici qu’apparaît la notion de secret bancaire, qui attire également l’« argent sale » de toutes origines – crime, prostitution, corruption, drogue, détournement de fonds, prise d’otages…– et permet de le blanchir. Les paradis fiscaux constituent une perte pour le budget de l’Etat [1].

La définition des paradis fiscaux varie d’un organisme à un autre. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a une vision assez restrictive du paradis fiscal tandis que l’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens (ATTAC) a une vision plus large [2]… Mais, à l’échelle mondiale, la définition qui compte est celle de l’OCDE. C’est le Centre de politique et d’administration fiscale de cette institution qui définit un paradis fiscal comme étant un Etat ou une entité remplissant les quatre critères suivants :
1 – des impôts insignifiants ou inexistants ;
2 – l’absence de transparence sur le régime fiscal ;
3 – l’absence d’échanges de renseignements fiscaux avec d’autres Etats ;
4 – le fait d’attirer des sociétés écrans ayant une activité plus fictive qu’économique.

Listes des paradis fiscaux dans le monde en 2009

En général, on distingue plusieurs listes dans la lutte contre les paradis fiscaux :
 liste noire : les paradis fiscaux qui refusent de s’engager à respecter les critères internationaux en matière de transparence bancaire et fiscale ;
 liste grise : les paradis fiscaux qui font des efforts en matière d’assouplissement bancaire ;
 liste blanche : les Etats qui jouent le jeu et luttent activement contre le blanchiment d’argent.

Les spécialistes s’accordent autour de 70 voire une centaine de paradis fiscaux dans le monde, dont la majorité se sont engagés plus ou moins à coopérer avec les autorités judiciaires. Mais, le 2 avril 2009, l’OCDE a, à la demande du G20, actualisé sa liste de paradis fiscaux, sa liste étant la seule qui compte :
 une liste noire comprenant 4 pays (le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay) ;
 une liste grise comprenant 37 pays (Autriche, Andorre, Anguilla, Antigua et Barbuda, Aruba, Bahamas, Bahreïn, Belgique, Belize, Bermudes, Brunei, Les îles Caïmans, Chili, Les îles Cook, République dominicaine, Gibraltar, Grenade, Guatemala, Libéria, Liechtenstein, Les îles Marshall, Luxembourg, Monaco, Montserrat, Nauru, Antilles néerlandaises, Niue, Panama, Saint-Kitts et Nevis, Sainte-Lucie, Saint Vincent et les Grenadines, Samoa, Saint-Marin, Singapour, Suisse, Îles Turques et Caïques, Vanuatu, Les îles Vierges).

Après la publication des deux listes, le président uruguayen, Tabaré Ramón Vázquez Rosas, a réagi, par l’intermédiaire de son ministre des Finances, Alvaro Garcia, en s’engageant à respecter les critères internationaux, donc à coopérer avec l’OCDE, et son pays a été retiré de la liste. Les trois autres pays ont fait de même. Depuis le 7 avril 2009, aucun pays ne figure sur la liste noire des paradis fiscaux puisque ces quatre pays ont été transférés sur la liste grise. Cela a été confirmé par Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, lors d’une conférence de presse à Paris.

Beaucoup de promesses ont été faites par les pays figurant sur la liste grise, reste à voir si elles seront tenues !

Deux poids deux mesures

Au sommet du G20, Hong-Kong et Macao, territoires chinois à statut spécial, et les îles anglo-normandes dépendant de la Grande Bretagne ont été retirés de la liste des paradis fiscaux à la demande respective de la Chine et de la Grande Bretagne [3]. Pourtant, Angel Gurria a déclaré que Hong-Kong et Macao ne respectent pas, pour l’instant, les normes de l’OCDE en matière d’échange d’informations fiscales mais ont annoncé leur intention de le faire [4] Alors, pourquoi ces territoires ne figurent-ils pas dans la liste grise des paradis fiscaux ?

Didier Reynders, ministre belge des finances a ironisé ainsi : « ça fait un peu sourire, en Belgique, de voir que les îles anglo-normandes sont considérées comme les îles vierges américaines. » [5].

Le Delaware, petit Etat sur la côte est américaine, en raison de sa fiscalité très faible, notamment l’absence d’impôts sur les bénéfices, est un Etat très prisé des sociétés off-shore, qui y établissent leur siège social sans y exercer aucune activité. Le Wyoming et le Nevada n’ont pas été épinglés par la liste de l’OCDE, a regretté le gouvernement luxembourgeois. Aujourd’hui, plus de la moitié des 500 plus grosses fortunes et 43 % des sociétés cotées à la Bourse de New York y sont domiciliées. Eric Vernier [6], quant à lui, se pose la question de savoir pourquoi la Russie et Jersey, considérés comme des paradis fiscaux, sont sur la liste blanche [7].

Par ailleurs, certaines populations africaines se sont soulevées à l’idée que les grandes nations occidentales comme la France, l’Angleterre et les Etats-Unis sont pointées du doigt comme des paradis bancaires pour le simple fait que leurs banques reçoivent des fonds de différents dirigeants africains. Or ces fonds ne reflètent pas véritablement la richesse de ces derniers. Cependant, les banques des grands pays occidentaux encaissent ces fonds sans pour autant que cela ne fasse l’objet d’une quelconque enquête de leur origine. Cela pourrait s’expliquer par le fait que ces placements contribuent à la croissance économique des pays occidentaux.

Toutes ces manœuvres ont poussé Pascal Saint-Amans, en charge de la lutte contre les paradis fiscaux à l’OCDE, à réagir en ces termes : « Comment peut-on prétendre reconstruire un système financier sain, si l’on ne met pas fin à ces poches d’opacité que sont les paradis fiscaux ? […] A l’heure où les banques sont massivement recapitalisées par les Etats, il semble également inacceptable de laisser perdurer un système où elles contribuent à la fraude fiscale via leurs filiales dans les paradis bancaires. » [8]

En somme, nous pensons que tant qu’il y aura un rapport de force entre dominants et dominés et tant qu’il y aura une circulation monétaire, il sera peut-être facile d’établir d’autres listes de paradis fiscaux. Mais il sera difficile de les éradiquer.

Patrice ITOUA
Doctorant à Paris 8
Contact : [email protected]

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