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Opération déguerpissement à Brazzaville

« Démolissez-moi cette misère que je ne saurai voir  » a brusquement décidé le maire de Brazzaville. Joignant le geste à la parole, et la violence au geste, le premier citoyen a envoyé bulldozers et pelles mécaniques dans les rues et marchés de Moukondo, Moungali, Bacongo. Sans pitié.

Epaves de véhicules, étals de fortune, kiosques sauvages, stands anarchiques : rien n’a été épargné. En cette semaine du 52ème anniversaire de l’Indépendance, les engins lourds de la mairie n’ont fait qu’une bouchée de tous ces encombrants qui, selon Hugues Ngouolondélé, défigurent la ville de Brazzaville.

L’opération, appelée « déguerpissement », est du genre à déclencher des explosions sociales, tant l’arbitraire en semble le piston. Le déguerpissement a eu lieu et continue d’avoir cours en une période supposée de paix sociale, celle du 15 août, date symbolisant les liesses de la Fête Nationale célébrée cette année à Kinkala où on a vu en direct la classe politique exécutant la sempiternelle trilogie "lé dza, lé noua, lé bina".

Pendant que le régime roulait les mécaniques dans le Pool, à Brazzaville, les femmes des marchés, les artisans des quartiers populaires n’avaient que leurs yeux pour pleurer sur leur triste sort de prolétaires ambulants ou de sédentaires assignés à la périphérie d’une économie qui carbure grâce à la rente pétrolière et qui se targue d’avoir dépassé une croissance de 5%.

Les conducteurs des caterpillars de la mairie, dans un bruit indescriptible de tôles froissées, prennent, à l’heure qu’il est, un malin plaisir de réduire à néant les outils de travail d’une catégorie socio-professionnelle extrêmement pauvre, coupable d’avoir campé à la lisière des marchés de Brazzaville ; qui plus est, au ras des pâquerettes.

Kinshasa aussi

"Rentrez dans les marchés" a recommandé, pour sa part, une agent municipale aux vendeuses des rues de Kinshasa, ville où l’opération "déguerpissement" bat également son plein. Comme quoi les deux capitales les plus rapprochées du monde sont aussi sœurs-jumelles dans l’irrespect des Droits de l’homme quant à la manière de régler les conflits urbains.

Les effets et les causes

Hugues Ngouondélé a pété une durite en envoyant des engins d’acier en guise de réponse à un phénomène urbain ! Le bonhomme a agi sur les effets au lieu de s’attaquer aux causes.

Il se trouve que, espaces urbains datant de l’époque coloniale ou construits sans schéma directeur, les marchés de Brazzaville attendent toujours d’être réhabilités par une mairie centrale pour laquelle ces centres commerciaux représentent pourtant une mine d’or grâce aux taxes quotidiennes et arbitraires prélevées sur les détaillants.

Or l’expansion démographique de la ville, combinée à la crise économique, a grossi la population des laissés-pour-compte, lesquels, selon une vieille étude du sociologue Roland Devauge, se sont engouffré dans le petit commerce. Les kiosques et stands sauvages ainsi que les étalages qui poussent à l’orée des marchés sont les effets de mauvais choix politiques, en l’occurrence ici Le Chemin d’Avenir dont le maire, Hugues Ngoulondélé est une cheville ouvrière.

Le marché avant le marchand

Par conséquent, faire croire à l’opinion que la condition d’une ville propre passe par la "casse au bulldozer" des "résidus du prolétariat" c’est prendre les vessies pour des lanternes. Dans cette opération musclée dont les Brazzavillois, choqués, ont été les témoins passifs, l’équipe du maire a montré que la raison du plus fou et du plus fort n’est jamais la meilleure.

Car dans la mesure où il ne lui est jamais venu à l’idée d’agrandir les marchés, à l’horizontal, en expropriant le voisinage avec dommages et intérêts ou, à la verticale, en construisant sur deux ou trois niveaux afin d’intégrer tout le monde, y compris les vendeurs à la sauvette qui sont la cible du maire, pourquoi s’étonner que ceux-ci squattent la voie publique ?

Etant donné que la gestion urbaine ne s’improvise pas, l’idéaltype est de précéder les marchands par des marchés. Dans le projet du méga-Centre Commercial de Kintélé (à supposé qu’il voit le jour), c’est pourtant ce que les pouvoirs publics ont fait en érigeant la structure d’accueil avant de l’ouvrir aux usagers. En revanche, les marché de Mikalou, Moukondo, Bourreau, créés de toutes pièces par les populations ont eu des ramifications sur l’espace public, voire même l’espace privé.

Indignation

Après l’opération coup de poing de la mairie, Télé Congo qui a filmé la scène a tendu le micro aux riverains. Tout le monde a applaudi l’action des pelles mécaniques. «  Le maire a bien fait, certaines personnes avaient transformé la voie publique en garage  » a constaté avec satisfaction un badaud doté de mauvaise foi. Mauvaise foi ? Pas tant que ça. En vérité, notre badaud appartient à la catégorie des gens prudents. Dans ce pays dirigé de main de fer, s’indigner peut vous mettre dans une situation critique. Aussi contre mauvaise fortune, les victimes affichent bon cœur. Elles vont jusqu’à congratuler leurs bourreaux : syndrome de Stockholm. Au Congo, les tenailles de la répression pincent toute personne qui ose relever la tête. Parfois, le maire use du coup de poing pour faire taire ceux qui lui tiennent tête.

Deux poids, deux mesures

« Quand vous assenez une gifle ici, assenez-en une aussi là-bas » s’est indigné au micro de Télé-Congo une victime choquée par les expropriations musclées de Kintélé puisque là-bas également on a fait déguerpir.

En effet, à Brazzaville, depuis la fin de la guerre civile gagnée durement par Sassou, le domaine public fait l’objet d’une occupation anarchique par les membres du clan Nguesso dont le maire Hugues Ngouolondélé fait partie. S’il y avait une logique juridique, le rouleau-compresseur de la décision municipale devrait commencer par "déguerpir", les membres du Parti Congolais du Travail et autres nouveaux riches qui ont sauvagement occupé, par exemple, la concession du CFCO en y construisant des datchas.

Au lieu de ça, c’est le menu fretin qui fait les frais de l’opération « ville propre  », ce sont les rats des villes et les rats des campagnes qui morflent. Deux poids, deux mesures.

Le Congo qui pleure et le Congo qui rit

Les pleurs des vendeuses des marchés (Bacongo, Moungali) n’ont pas ému le maire. La seule concession faite est d’avoir prévenu avant de démolir. « D’ordinaire, on rasait sans sommation » dit froidement Okana, conseiller du maire. Désormais ils sont devenus gentils : ils préviennent avant de raser. Ensuite ils cassent sans laisser le temps aux victimes de remballer. Mieux : ils envoient à la décharge publique sans dédommager. Comment feront les victimes pour survivre : c’est le cadet des soucis du maire. Dans le confort de son cabinet, Hugues Ngoulondélé doit rire, lui dont le busness consiste à racheter dans la ville les parcelles avec une bouchée de pain.

La question est la suivante : la ville est-elle devenue propre après son opération coup de poing ? Nenni. L’OMS vient de noter négativement Brazzaville, une ville où les populations manquent de sanitaires. Les populations sont guettées par le péril fécal à la grande indifférence de la mairie centrale dont le bureau d’études ne possède pas le concept de tout-à-l’égout dans sa syntaxe urbaine. L’eau manque cruellement dans une ville située au bord du deuxième fleuve mondial. L’électricité y est une denrée rare. En raison de ces dysfonctionnements majeurs, c’est le maire qui devrait déguerpir, pas le citadin lambda confinée dans une économie de survie par ceux qui le harcèlent nuit et jour, en l’occurrence la mairie et son équipe de cobras.

Qu’en pense Denis Sassou-Nguesso ? Pas grand-chose. D’ailleurs il a pris son vol ce dimanche 19 août pour Malaga en Espagne où il est allé prendre un repos « bien mérité ».

Simon Mavoula

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