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Papa Wemba - Mpongo Love : retour sur un grand moment de télé

Dans les deux Congo, nous sommes Au coeur des ténèbres, pour citer le titre du roman de Conrad, dont l’histoire se déroule justement au Congo. La politique nous asphyxie ; la rumba actuelle bousille nos oreilles ; la littérature nous hypnotise... Alors, pour savourer un petit plaisir, nous marchons à reculons. Nous nous plongeons dans le fleuve du passé pour fuir la médiocrité du présent. Ainsi, ce face-face merveilleux entre Papa Wemba et Mpongo Love qui continue de nous faire frémir, de nous transporter sur la rive de la joie...

Juillet 1982. Les rumeurs épouvantables sur Papa Wemba en Europe - il serait mort ; serait en prison, etc. - deviennent de plus en plus massives. Pis, dans une longue interview, Amazone - la femme de Papa Wemba -, avoue être sans nouvelles de son mari depuis des mois. Nous autres fans de Vieux Bokul, pleurions à gorges déployées jusqu’au jour où nous apprîmes que Papa Wemba débarquerait à Maya Maya. Nous étions mineurs. Mais nous devions faire le Saint Thomas. Alors nous nous rendîmes à Maya Maya ce samedi-là. Nous trépignions d’impatience ; nous allions de soupirs en soupirs. Puis, quand Air Afrique atterrit, nos visages se détendirent. Ouf ! Il était enfin là ! Son sourire était débonnaire ; ses pas assurés... Oui, nous vîmes Papa Wemba dans son costume en lin à carreaux, coiffé d’un chapeau à larges bords. Il chaussait des Weston triples semelles noires.

Le soir même, il interpréta les chansons de son nouvel au Balon d’or, chez Moulélé. Le lendemain, il regagna ses pénates, en vue de préparer « Kin Kiessé ».

Des philosophes de la chanson

Oui, le samedi suivant, le soir des explosions au cinéma Star et à Maya Maya, le célèbre et talentueux Lukunku Sampu reçut dans son émission Kin Kiessé Papa Wemba . Toujours dans son costume en lin à carreaux, il interpréta avec son orchestre « Viva la Musica » « Evénement  », « Matebu  », « Santa  », « Méa  » « Culpa  », « Naya  », etc. Puis vint le moment d’entonner « Zea », une merveille. Papa Wemba prend son micro, se dirige vers le salon, regarde droit dans les yeux l’invitée de marque qu’est Mpongo Love, pimpante dans sa robe blanche en dentelle. Le plan est mal cadré, la caméra ne suit pas Papa Wemba de face mais de dos. Qu’à cela ne tienne ! Mpongo Love esquisse un large sourire, non pas de gêne mais de complicité. Rebelote quand Papa Wemba cite son nom, magnifie sa beauté. Puis, pendant le chorus, Papa Wemba s’écrie gaiement : Azo zua litoyi na yé ! (Non, nous ne traduirons pas cette phrase, au risque de la fausser. Les mots parfois n’ont pas la musicalité de leur langue d’origine. A chacun donc de solliciter ses neurones.) On aurait pu s’attendre à un geste rébarbatif de la diva zaïroise de l’époque, mais non, elle s’embarque sur une pirogue de fou-rire à la Thierry Roland.

Quel moment grandiose ! « C’est Mpongo Love qui fait de cet instant un grand moment de télé, puisqu’elle se prête au jeu  », nous dit Papa Wemba un jour où nous lui avons posé la question. Et d’ajouter : « C’était aussi ma façon à moi de lui rendre un hommage éternel. » Il faut dire que l’une des caractéristiques des belles femmes, c’est de s’adapter à toutes les circonstances. Une belle femme a ceci de merveilleux qu’elle transforme un moment dramatique en une grande joie.

Oui, Mpongo Love était la plus belle chanteuse que la RDC n’est pas prête de rencontrer à nouveau. Une naïade inclassable. Il vous suffit d’interroger l’ancien Président du Congo Joachim Yhombi Opango pour vous dire à quel point Mpongo Love était d’une beauté astrale. Une Beyoncé doublée d’une Halle Berry avant l’heure.

Mais, au-delà de sa beauté, c’était une philosophe de la chanson, nous voulons dire de l’optimisme et du scepticisme. Les œuvres telles Ba kakaé, Ndaya, Femme commerçante peignent indéniablement l’optimisme, tandis que Trahison, Déception et Nkoba véhiculent un certain scepticisme. Mpongo Love était à l’image de l’auteur d’Au Coeur des ténèbres : la chanteuse de la joie mais aussi du tourment, de la faute. Elle a chanté l’aventure humaine.

Papa Wemba, lui, n’est plus à présenter. Pour rappel, il nous a beaucoup chanté la philosophie deleuzienne malgré lui. Comme chez Deleuze, le pourfendeur de Platon, Freud, etc., le désir est « révolutionnaire par essence », ça n’est pas un manque mais une force créatrice. Et c’est sans doute la raison pour laquelle il a gratifié la postérité de cette phrase spontanée destinée à Mpongo Love. Merci Papa Wemba ! Merci Mpongo Love !

Bedel Baouna

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