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Pigasse : le tribalisme poussé à son comble.

Extraits.

L’Église face au tribalisme au Congo

Le tribalisme est un poison qui s’est instillé lentement au cœur même de l’Église dans nombre de pays africains, paralysant la mission des prêtres et la vie des communautés chrétiennes qu’il enferme dans un carcan de préjugés. Résultat : alors qu’elles devraient être un ferment d’unité et un havre de tolérance, ces communautés deviennent des lieux fermés au sein desquelles s’exacerbent les rivalités tribales.

On connaît, bien sûr, l’exemple tragique du Rwanda où des prêtres furent accusés à juste titre d’avoir participé directement ou indirectement au génocide inter-ethnique et où d’autres religieux contribuèrent par leur passivité à aggraver la crise. Rares furent alors les pasteurs qui ont eu le courage de défendre la personne humaine et tragique a été le sort qui leur fut réservé lorsque, abandonnés par leurs supérieurs, ils durent payer ce courage de leur vie.

Il ne faut pas croire, cependant, que le Rwanda est le seul pays d’Afrique où l’Eglise se trouve confrontée à ce problème. Ailleurs, pour être moins dramatique, la situation n’est pas moins inquiétante. Et les exemples sont nombreux du fossé que creuse au sein des communautés chrétiennes l’appartenance à un groupe ethnique : ainsi, dans certaines grandes villes du continent, des chrétiens préfèrent marcher pendant des kilomètres pour rejoindre la paroisse de leur ethnie ou de leur village plutôt que de prier dans leur propre paroisse ; les chorales, les groupes de prières, les mouvements de jeunes et autres se forment le plus souvent sur une base ethnique ; très peu de prêtres desservent des paroisses étrangères à leur propre ethnie car, le plus souvent, leur affectation dans un village ou dans un quartier se fait précisément en fonction de cette appartenance ethnique ; plus grave encore, dans certaines régions d’Afrique les séminaires sont purement et simplement fermés aux ethnies minoritaires.

Tous ces faits sont connus de la hiérarchie catholique qui ne paraît guère s’en émouvoir et, en tout cas, sous-estime largement les ravages qu’ils provoquent au sein de l’Eglise. Résultat : en juillet 1999 la nomination d’un Bamiléké, Mgr André Wouking, comme archevêque de Yaoundé (Cameroun) déclencha une violente réaction des Bétis qui, voulant empêcher les Bamilékés de rejoindre la capitale pour l’intronisation du nouvel évêque, érigèrent des barricades sur lesquelles il était écrit : « Pas d’archevêque Bamiléké à Yaoundé ! »

Au Congo-Brazzaville, le clergé, chacun le sait, est recruté pour l’essentiel parmi les Laris du sud-Congo. Si bien que les évêchés et les séminaires sont tenus par les membres de cette ethnie majoritaire. Fermés de facto aux autres groupes ethniques, les séminaires s’arrangent pour décourager les vocations de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre de ce recrutement à base ethnique. Et contrairement à ce que l’on aurait pu penser, l’audience accordée par le pape Jean-Paul II au président Denis Sassou Nguesso Congo en juin 1999 n’a guère modifié la donne.

Le tribalisme se manifeste aussi au cœur de l’Église lorsque le clergé, sortant de son devoir de réserve, s’identifie aux luttes politiques, soutient une faction contre l’autorité de l’État, ou se mêle des affaires civiles d’un pays. Sans remonter jusqu’à la Conférence nationale souveraine de 1991, qui illustra tristement ce phénomène, on a eu, toujours au Congo, un bon exemple de cette dérive avec la publication, au mois de juillet dernier, de la « Lettre ouverte » des évêques du Congo dénonçant la mauvaise gestion des revenus du pétrole, une question dont manifestement les prélats ignorent tout et qui leur a valu une sévère mise au point des autorités congolaises. Plus récemment encore on en a eu un autre exemple avec la rébellion du « pasteur Ntoumi » qui n’a guère ému la hiérarchie catholique, même lorsque le père Jean Guth fut assassiné après avoir été torturé, mais a été exploitée par elle pour condamner pêle-mêle agresseurs et agressés, confondre dans la même opprobre « ninjas » et forces de l’ordre.
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L’Église africaine en général et congolaise en particulier, si elle veut rester une force vivante au service de l’unité de tous les hommes, doit redevenir l’Eglise universelle qu’elle a toujours été. Comme le rappelait le Nonce apostolique au Congo, Mgr Mario Roberto Cassari, lors de la réception donnée à Brazzaville à l’occasion du 23e anniversaire du pontificat de Jean-Paul II, la priorité de l’Église doit être de former des consciences « pour que la société entière respecte, défende et promeuve la dignité de toute personne humaine, […] afin de vaincre toute tentation de violence pour édifier une société nouvelle sans divisions, sans oppositions, sans discriminations. »

Jean-Paul Pigasse

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