email

Rencontre avec un Vieux lutteur

Personnelle

La fraternité a du bon. Je pense qu’il ne faut pas désespérer des nôtres, malgré la vitesse à laquelle s’enfonce le pays. Grâce à un Frère, je suis entré en contact avec un très grand homme qui a été au cœur de l’action dans son pays, juste avant nos indépendances et que j’ai toujours souhaité rencontrer.

Le 1er contact est plutôt hésitant :

- Bonjour, j’appelle de la part de..., et le bla bla habituel.

Il faut d’abord briser la glace avec la fille, puis avec lui-même. Je comprends tout à fait. Je lui signifie mon intérêt pour lui. Pour son remarquable parcours.

- Pas de problème. Vous pouvez passer.

On tombe d’accord pour l’après-midi plutôt que le matin car le Vieux va être occupé.

Il fait une chaleur torride en cette après-midi estivale. Je rêve des plages de Pointe-Noire. De quelques bouteilles de grenadine, mais là, sur cette petite avenue de la province française, il faut plutôt chercher les coordonnées indiquées par la fille de mon hôte.

La maison est plutôt belle, il faut reconnaître. Je ne suis pas trop bises, le sauvage que je suis, et pire encore avec une « inconnue », même si c’est une sœur, alors, je lui tends la main. Elle me fait entrer et je devine aisément que le visage joufflu de la petite d’environ 10 ans que je vois est celui de sa fille.
L’homme est là, assis dans un canapé. Il se lève. Je le devinais plus grand. Il est dans une belle tenue africaine, mais c’est bien le même visage que j’ai vu à la télé, dans les journaux et ailleurs. L’âge n’a pas l’air de lui peser sur les épaules. Après le serrage des pinces, il m’invite à m’asseoir dans un fauteuil à côté de lui.

Ecce homo. C’est bien le Pr Abel Goumba que j’ai à mes côtés, vice-président du conseil de gouvernement en Oubangui-Chari juste avant les « indépendances » des CFA (Colonies françaises d’Afrique), en lieu et place de l’Abbé Barthélemy Boganda qui se réservait pour le Grand conseil de l’AEF. Je suis impressionné, je ne sais par quel bout commencer. Je ressemble à une puce face à ce baobab de connaissances, d’intégrité, de droiture, d’honnêteté. J’ai bossé son parcours du mieux que je pouvais, car je sais que ce genre d’individus ne supporte pas la médiocrité. Comme dirait le vieux JPK au boulot « c’est 20 ou 0 ! ».

Je finis par me lancer. Comment depuis toujours je m’intéresse à l’histoire et à la politique, raisons principales de ma visite chez lui. Je le sens touché.
Ensemble, on refait l’histoire de l’Afrique centrale des années 50 à son arrestation sous l’ignare David Dacko, pantin mis en place par l’administration coloniale au lendemain de la mort (accidentelle ? l’homme rigoureux qu’il est a toujours dit ne pas avoir de preuves pour accuser qui que ce soit) de Barthélemy Boganda. « C’est vraiment très grave, les Français sont capables de mettre un fou à la tête de nos Etats ! C’est ce que nous avons connu en RCA ! »

Les mots ne sont pas assez forts. Comment peut-on comprendre que cet abruti que Boganda est allé ramasser d’un poste d’instituteur pour en faire un ministre, et qui a dit à Abel Goumba : « Je préfère que ce soit toi qui t’exprimes, car j’ai une capacité de compréhension lente ! » L’abruti croyait qu’il existait des écoles où l’on apprenait à s’exprimer devant la foule. Nous passons en revue toutes ces années, et je suis étonné de voir cet homme qui va avoir 80 ans bientôt disposer d’une mémoire aussi phénoménale : les noms, les dates, tout est encore dans sa mémoire. Le médecin vient de diriger 5 jurys de thèse à Bangui récemment ! Je bois ses paroles comme du petit lait, il doit insister pour qu’on trinque, moi avec mon Orangina et lui avec son Coca. J’en apprends beaucoup sur ce mythe qu’est Boganda et j’apprécie le calme de mon orateur qui, malgré quelques erreurs de son mentor a gardé de l’admiration pour lui.

1959, lors de la fameuse guerre au Congo-B, il y était. Il a assisté à ça en direct. Il y a même connu les délices de la police locale, Dieu merci, sans aucun dommage.
Le médecin est aussi évoqué. Dès qu’il termine à Dakar, il est affecté au Congo-B. « C’était en effet dans les stratégies des colons. Les cadres étaient en général envoyés loin de chez eux. Ca évitait ainsi que ceux qui n’étaient pas allés au lycée ou à l’université ne soient pas contaminés. » Je lui demande dans quelle langue il échangeait avec ses patients. Il m’explique que les infirmiers locaux servaient d’interprètes. Que ce soit dans la Cuvette (Makoua, Ewo, Lékéti, etc.) dans le Nord, ou au Sud à Nkayi, Mossendjo, etc. il verra du pays
Sa petite fille vient lui demander une carte téléphonique, il la sort de sa poche et lit : « Mwasi » puis me demande si ce n’est pas un mot de chez moi. Je confirme.
Il me pose des questions sur le Congo-B, ce que je fais en France, ma famille, la politique congolaise avec ses acteurs. Je réponds du mieux que je peux en n’étalant pas la colère qui bout en moi vis-à-vis de ces tristes sires.
Nous ne cessons de rigoler et face aux horreurs qu’il a subis, que la RCA a subi à cause de la Coloniale et Dacko, je lui dis : « Face à nos malheurs, à un moment donné, je préfère rire, sinon, ce sont les pleurs qui vont surgir... » Il me dit qu’il a toujours pensé cela. Il m’explique qu’il n’a rien demandé à qui que ce soit un quelconque poste après la tricherie de Bozizé lors de la dernière présidentielle, mais on l’appellera quand même pour lui dire qu’il est nommé Médiateur de la République.
Il a combattu la franc-maçonnerie avec une virulence incroyable. Il m’explique à quelle vitesse Dacko a été initié. Encore une preuve que ces fameux cercles de réflexion et autres sont parfois un ramassis de la lie occidentale et africaine.

Je lui dis qu’avec ses convictions anti-maçonniques, il avait très peu de chances de diriger le pays après l’intérim assuré après la mort de Boganda. Il le reconnaît lui-même.

On reparle de tous les aventuriers, repris de justice et autres abrutis que l’Etat français envoya en Afrique avec les titres les plus pompeux qui soient. Il en chassa même un de son bureau (il était ministre à ce moment-là) qui voulait lui donner des ordres alors qu’il était son... directeur de cabinet !

L’homme droit ne regrette rien. Il n’a jamais été un homme d’argent. Il compte sur « vous pour prendre la relève, car le temps est à vous maintenant ! »

Malheureusement, ngonga mpe ebetaki, il fallait que je m’en aille. Il me donne sa carte de visite qui me remplit de joie.

Sur le chemin du retour, je ne cesse de penser à cet entretien merveilleux. Voir un homme de cette carrure apprécier les travaux de Cheikh Anta Diop et de son disciple et ami, Théophile Obenga est impressionnant. Le voir, à son âge s’intéresser à l’Egyptologie, alors que nombre de Bounty parmi nous continuent à soutenir les thèses les plus farfelues sur une imaginaire et légendaire Egypte blanche (j’en connais même qui trouvent juste que Christian Jaq parle de pharaons avec des yeux verts, bleus, et j’en passe...).

Je lui ai dit et redit que les centrafricains regretteront un jour ce qu’ils ont loupé avec lui. Le modeste homme ne disait rien.

Raconter tout ça, plus mes réflexions serait trop long.
Merci Vieux pour le temps que vous m’avez consacré.


Par : Mayombe82
Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.