Zao était sur la Côte d’Azur ce vendredi 5 août 2011. Il y est allé chauffer les Nuits de Vence, un festival annuel qui verra ce soir le groupe ivoirien Magic Système.
C’est un Zao très en forme dont les piqûres ont fait du bien au public vençois venu écouter une prestation d’au moins deux heures au cours de laquelle l’autre tube planétaire, "Moustique", a été chaudement réclamé. Zao était accompagné de cinq musiciens : Augustin Mbaya (frère cadet de Zao) (percussions), Samy (batterie), Brice Malonga (synthé), Olivier Tshimanga (guitare lead et rythmique), Niwa (basse).
Répertoire à double gâchette
Les classiques sont tous passés. De toute manière le public était venu pour écouter ça, notamment « Ancien Combattant », le tube planétaire qui a non seulement fait connaître son auteur mais aussi le pays où est né l’auteur. « Moustique », « Saoulard » étaient attendus par un public de connaisseurs qui a découvert Zao pour ses chansons à texte.
J’ai approché ce grand artiste pour une interview à bâton rompu. Première question : « Tu as été conseiller artistique au Fespam, cette année… » « Arrête ça » me dit Zao. Sous-entendu : pas de politique. Ah ces artistes. On les comprend. Ils disent tous ça alors que tout ce qu’ils disent dans leurs chansons « à texte » est bourré de « politique ».
Prenez « Moustique » : voilà un concept qui vole à deux niveaux. Ce sang que suce l’anophèle n’est-ce pas l’image des chefs d’états africains qui pillent nos richesses et notre énergie (pétrole, diamant, manganèse, uranium, bois…) ? Prenez « Saoulard » : l’artiste ne traite-t-il pas du thème de la liberté ? Liberté de boire l’eau ou l’alcool, liberté de s’abreuver de la littérature de son choix. Certains aiment lire Karl Marx, d’autres Hegel, d’autres encore Cheick Anta Diop, pourquoi enfermer les gens dans la pensée unique ? Oui, il faut les comprendre nos artistes, c’est-à-dire, il faut les prendre comme des rôdés de la métaphore et de la métonymie. Ils parlent de politique avec d’autres mots ou (si on veut) en dénonçant les maux. Pas bêtes, ces "bêtes de scène" !
Et puis quand on apprend que le Congo est l’un des premiers pays africains qui importent le champagne (juste après le Nigéria) n’est-ce pas une manière de chanter avec ivresse LE CHEMIN D’AVENIR emprunté ces temps-ci par les adeptes épicuriens du Lé dza lé nwa ? (http://congo-dechaine.info/content/pays-pauvre-tr%C3%A8s-endett%C3%A9).
Guerre et paix
La guerre : ah ce thème qui a fait couler beaucoup d’encre. « D’où t’est venu l’idée de composer Ancien Combattant ? » - Zao : « Il y a eu trente ans de guerre en Angola. Quand j’étais dans les Anges (groupe de musique –NDLR) on chantait des chansons révolutionnaires pour dénoncer ça. Ensuite lorsque j’ai fait carrière solo, j’ai voulu tourner la guerre en ridicule en m’inspirant des histoires qu’on nous racontait sur les miliciens de l’époque coloniale »
Les esprits chagrins ont dit que c’est Zao qui amené la guerre au Congo avec sa puissante chanson. A ceux-là, on peut rétorquer que la chanson n’est même pas prémonitoire. Il ne fallait pas forcément être prophète pour savoir qu’à cause de la mauvaise redistribution de la manne pétrolière, ç’allait péter au Congo-Brazzaville.
Ironie du sort, Zao s’est retrouvé dans la tourmente de la guerre. Exilé dans la forêt, l’artiste y a même perdu sa fille. La guerre, vraiment, ce n’est pas bon.
A propos de la formation qui l’a accompagné à Vence, Zao la considère comme l’aile parisienne. A Brazzaville d’où il est venu depuis une semaine pour cette tournée française, il anime un espace culturel. « Je donne l’occasion aux musiciens désœuvrés de toucher à de vrais instruments ». A croire que Zao est en train de prendre sa retraite. Pas du tout. Au contraire, la prestation de Vence l’a remis en confiance. « Le public a adhéré » commente-t-il satisfait de sa formation dite « aile parisienne ».
« Je vais revenir en force » promet l’artiste congolais. « Je viens de finir mon dernier album. LE NOUVEL ANCIEN COMBATTANT ». Je lui fais remarquer qu’il faut craindre que ça ne fasse de l’ombre à l’ancien « Ancien combattant ». Malheureusement, constate-t-il : « ce thème est malheureusement d’actualité. Les guerres continuent : Lybie, Tchétchénie, Afganistan, Somalie, Soudan »
Les musicos
Le groupe qui accompagne Zao à Vence a ceci de particulier : il est « international ». Le batteur est ivoirien, le guitariste Rdécéen, le clavier et le percussionniste congolais, le bassiste japonais. Niwa le bassiste est intéressant à plus d’un titre : il s’exprime en lingala avec un accent kinois à la limite de l’indoubill (argot des rues de Kinshasa).
Pour la petite histoire, Niwa, réalise l’aventure de Kinshasa à l’époque où la musique rdécéenne fait un tabac au Japon. (Souvenez-vous de Zaïko au Japon)Au milieu des années 1980. Ce cas est unique. A Kinshasa, ce fils du Soleil Levant étudie le système de jeu africain. Il l’étudie et le maîtrise à fond.
Niwa une extrême onction
Aujourd’hui Niwa passe pour une valeur sûre de la musique congolaise. Sa frappe n’a rien à envier à celle de n’importe quelle grande pointure du ndombolo. Dommage seulement qu’il soit "trop africain" dans son doigté. Il eut fallu qu’il cumule dans son style de jeu une touche nipponne ; en somme qu’il soit l’acteur d’une "valeur ajoutée" ; il aurait été intéressant que ce fils d’Extrême-Orient apporte, si on ose dire, une "extrême onction" à cette monotone ligne ndombolisante qui pourrait le classer au top du clan des bassistes des deux rives.
Retour au bercail
Zao rentre à Mavoula mercredi prochain, on espère, pour changer de fusil d’épaule afin de mieux ajuster la nouvelle ligne de mire. On a senti chez lui une soif de revenir sur la scène internationale.
Simon Mavoula