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Odile Sankara, soeur de l’illustre leader africain

Elle s’appelle Odile Sankara. C’est la sœur cadette de Thomas Sankara. La frangine, par la force des choses, est désormais conduite à entretenir la flamme d’une mémoire. Ce capital politique n’est plus seulement familial. Au contraire cette richesse appartient désormais au patrimoine universel. Sa famille nucléaire a vécu une tragédie dont l’Afrique et le monde entier parlent encore même si le monde n’a pas encore totalement saisi la portée de cette révolution qui prit naissance, non pas dans un maquis comme en Bolivie, mais dans la steppe du sahel de l’ex-Haute-Volta, pays au passé politique tumultueux, qui testa jadis une gestion rotative du pouvoir. Ce fut un fiasco. Ce fut au temps de Sangoulé Lamizana. Thomas Sankara mit fin à cette conception du pouvoir à plusieurs têtes.

Nombre de révolutionnaires ne se sont jamais remis de la cruelle disparition du leader burkinabé, livré (comme Jésus par Judas ) par son « frère », Blaise Compaoré, et assassiné par ce dernier (comme Abel par Caïn). Le mobile du crime ? Le pouvoir. Ce n’est pas William Shakespeare, spécialiste des crimes politiques, qui blâmerait pareil alibi fratricide.

Au restaurant Pâte-Vie à Nice

Le hasard faisant bien les choses, j’ai croisé ce lundi 25 février 2008 Odile Sankara à Nice où elle honorait une invitation de Yetna Rosa de Lima, restauratrice/pâtissière. Rosa est mariée à Denis Jean. Rosa tient un établissement (Patevie) où se déroulent des cafés culturels. Les thèmes portent généralement sur l’Afrique et le développement.

Thomas Sankara, Marien Ngouabi, Patrice Lumumba

Voici 20 ans que Thomas Sankara a quitté ce monde, victime des intrigues de la françafrique dont le maillon fort sur le continent noir fut Houphouët Boigny, chef d’Etat Ivoirien sous la responsabilité duquel François Mitterrand confia la mission de faire le ménage politique dans la sous-région car « l’idée révolutionnaire » commençait à gêner les intérêts de la France et on craignait que ça "fasse tâche d’huile". Thomas était comme son saint patron : il voulait voir de ses yeux. Que ne pensa-t-il pas à Marien Ngouabi (dont on fêtera le 18 mars le 38ème anniversaire de sa mort) lui aussi assassiné pour avoir voulu imposer la révolution au Congo-Brazzaville ? Que ne songea-t-il pas aussi à Patrice Lumumba ? La fin tragique du "premier" Premier congolais eut pu l’inspirer afin de changer de stratégie politique. Hélas, tel ne fut pas le cas. Le moins qu’on puisse dire c’est que Houphouët Boigny s’acquitta consciencieusement de sa mission. Aujourd’hui tout un continent pleure la perte de celui qui fut un espoir pour les opprimés.

Rencontre conviviale

Sont présents à la réception de Patevie : Denis Jean (boulanger/pâtissier et viennois), Annie Motoya-Macri (sculptrice), Nicole Volpe, Gérard Rostan (monteur/cableur), Mélanie Yetna (cuisinière), Yasmina Bendjama (agent de maîtrise à l’Opam), Michel Mignon (photographe), Demian (danseur de tango argentin), Costanza (danseuse italienne)
Odile est une jeune dame aux trains fins, héritage de ses ascendances peules/mossi. L’air de famille avec son frère lignager, Sankara, est indiscutable. Les cheveux coupés à la garçonne, Odile Sankara a un je ne sais quoi qui rappelle Angela Davis et, possède dans le verbe cette disposition au discours analytique spécifique aux femmes d’Afrique de l’Ouest. Autant dire qu’elle a une allure de femme engagée dans la lutte contre les injustices et les violations des Droits de l’Homme.
Au cours de la réception au restaurant Patevie, Rosa avec sa verve métaphorique de femme Bassa du Cameroun, prend la parole et présente son hôte à la dizaine d’invités que nous sommes autour de la table garnie de mets pantagruéliques.

Rose de Lima et Odile Sankara, deux femmes d’action

« J’ai invité Odile Sankara pour régler une dette coloniale et parce que deux hommes me servent de modèles dans la vie : Martin Luther King et Thomas Sankara. J’ai fait la connaissance d’Odile grâce au journal AMINA qui fit un reportage sur les femmes d’action. Odile fait partie du panel représentatif de ces femmes africaines. Son parcours me frappa. Depuis, nous nous sommes envoyées des mails. Ensuite je l’ai invitée à Nice afin de mieux faire connaissance » dit Yetna Rose de Lima.
Habituée à la prise de parole, Odile, tâchant de parler au nom du frère et de sa famille, s’est fait l’honneur de répondre au mot de bienvenue de Rose de Lima en ces termes : «  Le nom qu’on porte, on ne le mérite pas. C’est quelqu’un qui le porte. C’est un héritage. Quelqu’un l’a fait rayonner dans le monde. Thomas Sankara n’est qu’une continuité. Il y a une richesse culturelle que j’ai gardée. Nous avons le devoir de perpétuer cet héritage. »
La famille Sankara n’a pas dérogé à cette règle du souvenir. Elle a mis en place « La caravane Internationale » qui marque l’anniversaire de la mort de Sankara. Odile poursuit : « Ca fait 20 ans que Thomas Sankara est mort. Il a laissé un héritage au monde entier. Ca fait 20 ans que justice n’est pas encore rendue. » Odile le dit avec fermeté et sans haine.
L’auditoire écoute son exposé dans un silence de cathédrale qui se justifie par la carrure de l’illustre disparu et par la manière dont la vie lui fut ôtée : la trahison d’un frère par un frère de lait.
« Mon frère a toujours dit à son ami de mettre sa vie en conformité avec les idéaux qu’ils défendaient ensemble. Or ce dernier menait une vie dissolue. Célibataire, celui-ci donnait un mauvais exemple au peuple que les révolutionnaires abreuvaient de maximes moralisatrices. Puis il décida de se marier par le biais d’un entremetteur (et non des moindres) : un certain Félix Houphouët Boigny qui lui fourgua une de ses « nièces » dont il fit la connaissance dans un hôtel ivoirien lors d’une réception présidentielle. »
En somme, un mariage arrangé qui arrangeait les affaires des marieurs.
Les observateurs disent que cette épouse fut le cheval de Troie des adversaires de Thomas Sankara. Elle réussit si bien à manœuvrer qu’on impute en grande partie le destin fatal de Thoma Sankara à cette Mata Hari.
« Il y a une jeunesse qui n’a pas connu Sankara. On a le devoir de rompre ce silence. Celui qui est là, qui règne, a mis une chape de plomb sur la mémoire de Sankara » ajoute cette sœur qui, aujourd’hui exerce le métier de comédienne engagée.
Je joue aussi des classiques. J’ai fait deux ans de cours dramatique.
« Vous arrive-t-il de rentrer au Burkina-Faso ? »
« Oui, à condition de se tenir à carreau. »
« Que pensez-vous du film sur Thoma Sankara, L’homme intègre ?
« Il est bien mais a un goût d’inachevé. »
« Parlez-nous de votre métier de théâtre. »
« J’ai tourné en Afrique Centrale, à Libreville, Pointe-Noire, Brazzaville, Kinshasa » .

Odile Sankara joue actuellement une pièce portant sur Mitterrand et…Sankara. La pièce parle d’une rencontre à Ouagadougou entre les deux hommes politiques. Odile joue le rôle de "théâtre simple", créé par l’auteur lui-même, une allégorie du théâtre.
La pièce est de Jacques Jouet, la mise en scène de Jean-Louis Martinelli, directeur et metteur en scène des Amandiers. Jacques Jouet appartient au mouvement Oulipo (ouvrage de la littérature potentielle) créé par Queneau. Le rôle de Mitterrand est porté par Pierre Hiessler, celui de Sankara par Moussa Saneau.
Les dates à venir : du 4 au 8 mars à Belfort (Théâtre Granit) ; du 11 au 12 à Blois au théâtre La Halle aux graines. La pièce dure 1heure et quart.

Patevie 38 avenue Georges Clémenceau Nice
Tél : 0483505638
Mail : [email protected]
Site : Patevie50webs.com

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