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Ma petite entreprise, connaît la crise

« En finir avec le management à la française : le livre d’Edouard Etsio et Angélique Mascotto

« En finir avec le management à la française : pourquoi et comment ? »
C’est le titre de l’ouvrage coécrit par Edouard Etsio et Angélique Mascotto.
En d’autres termes, les auteurs n’aiment pas la main de fer avec laquelle les patrons français exercent le métier de direction.
En exergue du livre le ton philosophique est donné d’emblée : «  Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas l’impression de travailler un seul jour de votre vie.  » (Confucius)
L’horreur du travail contraignant : une douleur vieille comme le monde. L’homme n’obéit qu’aux commandements qu’il se donne lui-même. L’ordre que lui donne autre que lui-même lui cause désordre.

L’ouvrage coécrit par un sociologue et une logisticienne part d’un constat amer : le management à la française n’est pas bon. Il est même terrible, voire terrifiant tant il écrase, répugne et exacerbe. Il est pénible et détestable. Il te «  sort par la tête  » selon l’expression de Goffman, le sociologue des rites d’interaction.

Ce modèle abominable n’est pas tombé du ciel. Il est le résultat d’une aliénation idéologique, d’une bifurcation historique, d’un impérialisme culturel, précisément yankee. Après tout, en vertu d’un cliché coriace, les Etats-Unis n’ont-ils pas la légitimité de la « perfection universelle » bien avant même que les vaillants Boys ne débarquent en Europe pour la libérer de l’occupation nazie pendant que, dans le même temps, le cinéma hollywoodien façonnait l’imaginaire des Européens ?

LE TAYLORISME

C’est Taylor, théoricien de l’organisation du travail, qui est à l’origine de ce modèle autocratique dont se sont inspirés les Français pour diriger leurs entreprises .
Mais en quoi consiste le taylorisme ? Afin d’améliorer la production industrielle, Frederick Winslow Taylor (1856-1915) s’attaque au dilettantisme des travailleurs. Comment ? En corrigeant la « flânerie systématique des ouvriers. ». il procède à une « division horizontale du travail ». p19. Le but : produire un max dans un temps limité, payer l’ouvrier à la tâche, susciter l’émulation, le dépassement de soi avec le sentiment d’être le meilleur parmi les premiers ( optimum in primis ). Taylor invente la sémantique du salaire à la pièce.

Taylor ne s’arrête pas en si bonne route. Le philosophe théorise une organisation verticale du travail, estimant que le travail de réflexion doit incomber au cadre tandis que celui d’exécution aux ouvriers assignés pour leur part dans les ateliers. p.20. Chronométrage, parcellisation des tâches, mécanisation, salaires mirobolants sont le pain quotidien du taylorisme.
Au total, le théoricien a un franc succès. L’industrie américaine, en l’occurrence le capitalisme s’en réjouit.

Ce cousin d’Amérique fascine la France. «  Ce système est veule. On en veut  » se disent les Français. Mais par où commencer ?

« Tout commence par l’américanisation de la société française. Les premiers signes tangibles de ces transformations se font à travers les voyages que les Français effectuent aux Etats-Unis d’Amérique et les Américains en France. A ces voyages, à visée d’abord touristique, s’ajoutent des échanges culturels surtout industriels ». p21 Tout cela est à mettre sur le compte du fameux rêve américain.

Et pourtant, soit dit en passant, le taylorisme est une sorte de variant du stakhanovisme soviétique(du nom du mineur russe Alexis Stakhanov, d’origine ukrainienne). Mais rien à faire. L’organisation du travail yankee dame le pion au productivisme russe dans une « perspective de planification stalinienne ». Tout ce qui vient d’Amérique est formidable.

A en croire Edouard Etsio et Angélique Mascotto, les Big Boss gaulois poussent le mimétisme culturel étasunien jusqu’à la caricature comme en témoignent les indicateurs de la domination qu’ils font défiler dans leur discours :
« Autocratique, autoritaire, autoritariste, absence d’écoute, individualisme ; dirigisme, assujetissement, petit chef, cadence infernale, stress permanent, anxiogène, deshumanisante, omnipotence, french bashing, chef à poigne, big boss, chef autoritariste ; patron roi monarque moderne, omniscience, dirigisme, égocentrisme, condescendance. » . Ce dès les premières pages, tête d’ogive nucléaire de leur épistémologie du management version gaullienne.
« Le big boss (français) est un état d’esprit fait pour atteindre le but fixé, de gré ou de force et ce quelles qu’en soient les conséquences physiques et psychologiques sur les membres de l’équipe projet qualifiés à tort de collaborateurs . C’est en cela qu’il est inique et abject. » p.13
Il ne s’agit pas de frenchbashing, s’empresse-t-on de dire sur le mode tautologique de celui qui dit quelque chose en prenant soin de dire qu’il n’a rien dit. Une nuance artistique qui a l’effet paradoxal de charger le tableau.

De toute façon ce bel ouvrage est un regard féroce jeté sur le modèle de management hexagonal. Un œil « caustique ».p13 qui en dit long sur l’essence de la domination. Loin d’être une longue Garonne tranquille, le pouvoir est un tumulte. A plus forte raison dans l’écosystème des ressources humaines.

Le mot de la fin ? Une périphrase de Confucius : « Choisissez dans une entreprise un Boss qui bosse. Vous allez lui obéir de gaité de cœur. »

G.B

- « En finir avec le management à la française : pourquoi et comment ? »
Edouard Etsio et Angélique Mascotto 157 pages Editions Connaissances et Savoirs. Année 2021. 18 €

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