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Philosophie kongo

Ntsimou ba kana honda kue ba Kongo « La Mémoire qu’on a failli détruire chez les Kongo »

« Nsimu ni mayela  » : cette expression kongo est l’une des clés d’entrée dans le savoir Kongo. Littéralement, elle souligne que la mémoire est-ce qu’il y a de plus fondamental chez l’homme. Pas de mémoire, nulle existence ; affirmation de soi impossible ; l’être Kongo n’est plus qu’une nébuleuse qui s’évapore dans les ténèbres de l’inexistence ; il est un zombi (qui s’ignore) ; une ombre à la recherche de son âme.

C’est le sens de « Ntsikamanu, l’art de l’autre-Précis de civilisation Kongo », livre que j’ai publié en 2019 (Edition AMALTHEE). Il en est la résonnance. En ce qu’il est une tentative, modeste, de rappeler cette culture kongo à travers le décryptage des traditions, rites, rituels, postures, légendes, histoires et autres instruments et véhicules culturels. Ntsikamanu, c’est le socle de la culture dans ses différentes manifestations. L’art, et c’est le cas qui nous concerne ici, en est un exemple parmi tant d’autres. Bien entendu, nulle prétention de couvrir le vaste champ de la culture Bantu, mais en relever quelques éléments de manière à attirer l’attention sur les significations souvent invisibles de nos traditions, objets et autres manifestations qu’il serait aisé de qualifier de folkloriques.

En effet, que nous reste-il de la civilisation Kongo ? La question mérite d’être posée à tous ceux qui revendiquent leur appartenance à l’espace culturel Kongo et qui naturellement souhaitent en identifier les traits ou ce qu’il en reste dans un désir de réappropriation ou simplement de connaissance, ainsi qu’à ceux qui, pour une raison ou une autre s’intéressent aux civilisations d’Afrique noire. Ce, dans un espace où l’irruption occidentale accompagnée de l’évangélisation coloniale et post coloniale a sans aucun doute impacté la culture au point qu’il devient difficile d’identifier ce qui ressort de la culture Kongo de son vernis occidental, conséquence parfois de l’ambivalence culturelle chez certains sujets Kongo.

Volonté d’éradiquer la culture Kongo exprimée par le roi LEOPOLD II (1835-1909) et rappelé dans un discours tenu en 1883 devant les missionnaires se rendant en Afrique.

«  Le but principal de votre mission au Congo n’est donc point d’apprendre aux Nègres à connaître Dieu, car ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à un Mundi, un Mungu, un Diakomba et que sais-je encore. Votre rôle essentiel est de faciliter leur tâche aux Administratifs et aux Industriels. C’est dire donc que vous interpréterez l’Évangile d’une façon qui serve à mieux protéger nos intérêts dans cette partie du monde. Pour ce faire, vous veillerez entre autre à désintéresser nos sauvages des richesses dont regorgent leurs sol et sous-sol, pour éviter qu’ils s’y intéressent, qu’ils ne nous fassent pas une concurrence meurtrière et rêvent un jour de nous déloger. (…) Vous devez les détacher et les faire mépriser tout ce qui leur procurerait le courage de nous affronter. Je fais allusion ici principalement à leurs fétiches de guerre. Qu’ils ne prétendent point ne pas les abandonner et vous, vous mettrez tout en œuvre pour les faire disparaître  ».

Le message est on ne peut plus clair : il ne s’agit ni plus ni moins de « zombifier  » l’autochtone, d’en faire un objet obéissant, coupé de ses racines, privé de repères, de ses traditions, rejetant Nkissi et autres savoirs et connaissances des Nganga. A l’exemple du Kinguizila, rite magico-religieux mystico-traditionnel alliant médecine traditionnelle, spiritualité (recours à l’intervention des ancêtres) et psychologie de Nzambi (Dieu). En soi, une véritable thérapie. A ce propos, Une anecdote :

Ma mère MALANDA Reine souffrait de fièvres sournoises. Sa sœur cadette Louise NDEBANI était dépressive en même temps qu’elle avait du mal à enfanter. Le Nganga mbiki consulté prescrit l’organisation du Kinguizila pour les guérir. Le résultat en fut qu’à la sortie du Kinguizila, ma tante finit par accoucher (4 enfants), les maux de ma mère disparurent. Malgré les excellents résultats obtenus, en chrétienne convaincue, ma mère était persuadée d’avoir transgressé un tabou chrétien pour avoir pris part au rituel du Kinguizila, pratique païenne faisant appel aux esprits, donc, au diable. En conséquence, elle considérait s’être auto excommuniée de la communauté chrétienne. C’est l’Abbé Barthélémy BATANTOU de la Paroisse Notre Dame du Sacré cœur de Bacongo, grand connaisseur s’il en était de la culture kongo, conscient du lien profond liant les kongos au culte des anciens et aux pratiques ancestrales plus culturelles que démoniaques, qui mit fin à ce trouble et la rassura. Elle réintégra l’église catholique dont elle s’était auto-exclue et participa à la création de le Schola Populaire (chorale) initiée par l’Abbé Barthélémy BATANTOU qui va révolutionner la pratique religieuse par l’introduction d’instruments de musique locaux dans le chant liturgique (Tamtam, maracas, guitares et autres…). Ma mère ne fut évidemment pas la seule confrontée à ce dilemme (rapports entre coutumes ancestrales et nouvelles normes civilisationnelles occidentales). Sur le plan strictement religieux, ce prêtre visionnaire l’en avait sorti en déculpabilisant son acte de tout caractère antichrétien. Il deviendra plus tard le troisième Archevêque de Brazzaville.

Une autre aliénation culturelle : le kimbanguisme. Dans cette religion kongo on ignore totalement le « Nkisi na Nkodi » (voire définition de ces notions dans notre ouvrage Ntsikamanou, l’art de l’autre, précis de civilisation kongo ; Ch. IV « Bu Nganga, source de création des objets qui soignent », p.62 ) Les kimbanguistes ont naïvement reproduit la théologie juive en négligeant notre propre matériau de réflexion. Or le Prophète Simon Kimbangu avait comme objectif, libérer le peuple Kongo. N’est-on pas passés à côté de cette mission en épousant totalement le Texte Juif. Dans la mesure où « Nsimou ni mayéla, loulendo lwa mbanzoulou » (le pouvoir de réflexion) Les Juifs eux-mêmes appliquent ce devoir de mémoire, c’est pour ça qu’ils ont survécu.

Ci-dessous, photo de ma mère et de sa sœur en accoutrement de kinguizila

Cent trente-sept ans après le partage de l’Afrique à Berlin, quelques siècles plus avant pendant la période esclavagiste et donc de la pénétration des occidentaux en Afrique Noire et plus particulièrement dans l’espace qui nous intéresse (l’espace Kongo), la question se pose de ce qu’il nous reste de cette grande blessure culturelle. Les effets de Berlin c’est que « on n’est plus nous-mêmes ». Les Kongo ne sont plus Kongo.

Il n’est qu’à interroger les générations postcoloniales et encore plus celle d’aujourd’hui et ils parleraient instinctivement de danse ou de la dot. Ce serait à peu de choses près l’essentiel, sinon tout. Tant, l’occident nous a culturellement submergés. L’ignorance est ainsi devenue la denrée la mieux partagée d’entre les kongos en même temps que l’ennemi à vaincre. Dès lors, comment vaincre cet adversaire refugié en nous, immobile, invisible ? C’est en réaction à ce constat que le livre précité s’est inscrit. Or, dans les civilisations orales, la parole est un englobant. Naturellement, Il n’est pas aisé de déchiffrer le non-dit, le dire des objets inanimés (masques et autres...), de la parole codifiée. D’où, l’intervention de Nzonzi (médiateurs), d’initiés, de ngangas.

A titre d’exemple, cette ignorance peut s’illustrer à travers la photo ci-après :

CONTEXTE DE LA PHOTO

Au moment où s’écrit cet article, en échange de trame avec Marie-Claude Dupré, un mot vient de nous tomber de sa part. (A lire en annexe). Acquise par Marie Claude DUPRE, cette photo qui aurait été prise à Kibouendé, en 1909. Kibouendé est la localité qui était le siège d’un grand centre catholique de première importance. On y avait construit une école de formation des moniteurs de l’enseignement catholique tout en abritant un monastère géré par les Spiritains. La photo illustre parfaitement ce que nous avons appelé « langage codé ». Simple Jeu d’enfants, accoutrement traditionnel ou pratique rituelle ? Comment l’interpréter ? Que nous dit-elle ? Que nous apprend-elle ? Bien malin qui pourrait, aujourd’hui, 113 ans après, apporter réponses précises à ces interrogations. Aucune investigation ne nous est parvenue sur ces deux adolescents dont on ne sait d’ailleurs s’il s’agit de filles, de garçons, ou d’un couple mixte. Cela reste une énigme. Aussi en sommes-nous réduits à nous contenter de simples spéculations. Une certitude cependant : ces deux adolescents ou enfants d’un certain âge participent à un rituel traditionnel. Leur accoutrement, loin d’être commun, l’atteste. Ils sont en effet revêtus de :
 Nlungas (bracelets) au pied droit
 Nlungas (colliers) au cou en sompolas
 Ma sompolas (bracelets en fibres) aux bras -Mpanzus croisés autour de la poitrine avec des bitutus (calebasses) -Un couvre-chef avec la peau de Chat sauvage (Mbala), animal très agile et réputé doté de pouvoirs mystiques. -Le visage teint en forme de masque et à même la peau (des bimpas dictés par les mânes)

Et autres détails…

Cet attirail marque nécessairement la participation de ces adolescents à un cérémonial. Autrement dit, à un Nkissi. Car, dans la vie ordinaire, aucun habitant du Pool ne se grimait ainsi si ce n’est pour une manifestation particulière. Difficile également de ne pas y associer un Nkissi dont la nature, ici, nous est inconnue faute, nous l’avons dit précédemment, d’éléments explicatifs, de témoignages. Il reste que l’on pourrait rapprocher ces deux personnages de ceux précédemment présentés (ma mère et ma tante en tenues de Nkissi).

Au-delà de l’appartenance à la même aire géographique, les similitudes sont en effet palpables :
 Couvre-chef en peau de Chat sauvage
 Visage teint
 Mpanzus croisés autour de la poitrine

Nulle affirmation qu’il s’agisse en l’espèce de Kinguizila mais des rapprochements semblent possibles. En tous les cas, le code vestimentaire qu’ils arborent suggère, nous l’avons dit plus haut, une posture cérémoniale, un port nécessaire à l’accomplissement d’un rituel.

Sur le même registre, beaucoup de matériau ont certes disparu, pillés ou détruits essentiellement par des mains occidentales mais également du fait de notre négligence ou méconnaissance et se trouvent disséminés à travers le monde (masques, fétiches etc.) dans des musées occidentaux, collections privées, ou simplement reléguées dans un coin impropre à leur conservation, leur valeur étant ignorée par leur détenteur (au Congo). On rappellera l’immense collection de Malanda Croix Koma totalement disparue mais dont certains congolais détiennent encore des pièces. Véritable mémoire Kongo, en déshérence. Il s’agira de lancer une vigoureuse action de recherche de ce qu’il en reste, pour reconstituer une partie de la mémoire Kongo à travers un travail certes ardu de décodage et d’interprétation, des significations.

Cette esquisse de réponse en forme d’ouverture rappelle que le champ reste ouvert à la recherche scientifique. Réinvestir le champ de la recherche historique, anthropologique et sociologique est un impératif. Cet impératif est la condition du surgissement d’une mémoire oubliée, en divagation, dégradée. Il importe de se réapproprier notre mémoire avec les valeurs civilisationnelles afin d’harmoniser notre rapport à la modernité. Celle-ci ne doit pas être le produit d’un viol, toujours douloureux.

Olivier BIDOUNGA

APPENDICE

HISTORIQUE D’UNE PHOTO

10 juin 2022

Mon cher Olivier

Merci de ces bonnes nouvelles données hier

Voici le contexte de cette photo de 1909
Le photographe : Örnheman : C’est un missionnaire suédois (absent du catalogue !). Il a réalisé nombre de photos dans le Bas-Congo qui doivent être au musée d’ethnographie de Stockholm. Beaucoup de portraits. En 1909, il était difficile d’aller partout et la partie ‘Bas Congo’ était accessible.

La mission suédoise : (catalogue, p. 269). Son histoire est représentée dans l’église de Bethléem à Stockholm. Une seule photo a été gardée pour le catalogue. L’autre fresque, très impressionnante porte le témoignage des brutalités coloniales de Léopold qui coupait les mains de ceux qui ne rapportaient pas assez de lianes laticifères. C’est la Svenska Missions Förbundet (société de la mission suédoise – Google). Qui fut la première à rendre publiques ces exactions coloniales. La presse internationale a été plus lente.

La mission suédoise (bis). D’abord, elle ne représente pas l’Eglise officielle suédoise. C’est un groupe dissident qui avait deux lieux de missions dans le monde : au Congo-Moyen-Congo et en Birmanie (vérifier). Ses méthodes, outre la vie familiale propre aux Églises protestantes, incluaient une curiosité sincère envers leurs ouailles. K. Laman recueillit (fit écrire par ses catéchistes) des milliers de pages sur les mœurs, les techniques, l’histoire, les contes qui ont été résumés en 4 volumes dont 3°, sur les Nkissi, est épuisé depuis longtemps. Cela était très différent des manières des missions catholiques.

La biographie de cette photo. Cette photo a finalement été donnée à la femme d’un missionnaire de Zanaga, intéressée par les rituels Nkita et Mukissi. Mais elle n’avait pas de sens et n’a pas été exploitée. Privée de contexte, n’ayant même pas un lieu de prise de vue elle ne pouvait être reliée à rien. Et c’est ainsi qu’elle vous arrive.

PS  : quand il n’y a rien, on peut encore ajouter des conjonctures.

Informations contextuelles reconstituées : elle a circulé entre missionnaires, mais entre protestants chez qui elle était arrivée en fin de course. Les catholiques ne l’ont probablement même pas vue ; De plus les relations entre missions n’étaient pas de franche cordialité.

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