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Kinkala : Deux jeunes sauvagement torturés par des militaires

" La Semaine Africaine ", 5 Septembre 2002,
Certains éléments des Fac (Forces armées congolaises) enyoyés dans les localités de Kinkala et Massembo-Loubaki, dans la région du Pool, officiellement pour traquer les rebelles "ninjas" du pasteur Ntumi, se livrent plutôt à des exactions délibérées et non justifiées sur des paisibles citoyens.

Dans la semaine du 12 au 18 août dernier, le village Yanga-Nzala, situé dans la localité de Massembo-Loubaki, a été l’objet d’une expédition punitive de la part d’une troupe militaire : pillage des biens, destruction des maisons ; la petite chapelle catholique, dont la construction venait d’être achevée, a été rasée, tandis qu’un temple évangélique a été brûlé.

Les habitants qui, par ailleurs, ont été la cible d’un pilonnage, par hélicoptère, mercredi 14 août dernier, et qui avaient récemment regagné ce village, après leur déplacement forcé à Kimbeti (un village situé sur la route nationale n°1, à près de 15 kilomètres de Kinkala, avant le carrefour de Massembo-Loubaki, depuis le début du mois d’avril, ont été obligés de rejoindre leur "terre d’exil", Kimbeti. Certains objets pillés ont été récupérés par le chef de la troupe militaire et confiés au chef du village de Nkamou (carrefour de Massembo-Loubaki).

Mais, c’était sans compter avec la détermination des militaires qui sont vite venus les ravir des mains de ce chef du village. A Massembo-Loubaki même, la tentative de retour de la population a été arrêtée net par des coups de feu tirés au passage d’un train- marchandises et par une présence militaire menaçante. Cette population, toujours réfugiée dans les villages environnants de Kimbeti, Yangui, Nsamouna et Mantsiedi, souffre de la faim et du manque d’habits.

A Kinkala, "l’apparente quiétude" a été troublée, tout au moins au quartier Samba-dia-Kayi (Wayako), dans l’après-midi du mercredi 21 août dernier. En effet, cinq militaires, dont quatre en mission et un en poste depuis très longtemps à Kinkala, se rendent au quartier Wayako, pour boire du "nsamba", le vin de palme local. Arrivés au point de vente, ils rencontrent une femme qui arrive avec une dame-jeanne de ce vin. Les militaires achètent carrément la dame-jeanne et s’asseyent au bord d’une maison non habitée pour le déguster. Pendant qu’ils buvaient, ils aperçoivent un jeune garçon qui porte une cicatrice à la face. Ils l’accusent aussitôt d’être un "ninja". Le garçon nie être un ninja, mais les militaires lui profèrent des menaces de mort. Alertés, les voisins du quartier informent son frère aîné, qui est aussi le vice-présent du comité du quartier. Celui-ci arrive sur les lieux, les militaires lui demandent de payer une rançon de 1.000 F Cfa pour délivrer son frère. Il leur présente 500 F Cfa qu’ils jugent insuffisants.

La discussion devient très vive. Les autres militaires en mission essaient de convaincre leurs compagnons de laisser le garçon tranquille, mais en vain.

Entre-temps, le garçon, accusé de "ninja", réussit de regagner son domicile. Mais, il est poursuivi par un des cinq militaires qui se montrait le plus déterminant à faire du mal. En voyant le militaire arriver chez lui, le jeune garçon se sauve. Le militaire prend alors en otage un enfant de deux ans qu’il menace de tuer, si le fugitif ne se présente pas à lui. Il se tourne, par ailleurs, du côté de la femme du frère aîné qu’il menace également de mort. Devant cette situation, le jeune garçon se livre.

Le militaire les ramène, lui et son frère, à l’endroit où ils buvaient le vin de palme. Il aligne les deux frères et la vendeuse de vin ; il ouvre le feu sur eux : deux balles sont tirées et évitées de justesse ! Le chargeur de son arme s’étant vidé avec ces deux tirs et n’ayant pas atteint ses cibles, le militaire menace de les conduire au P.C. (le quartier général de l’Armée à Kinkala, encore appelé Place forte, situé au siège de la préfecture). Le garçon, se rappelant sans doute des 22 jeunes garçons portés disparus à Kinkala, après avoir été arrêtés par l’armée, se sauve de nouveau.

Finalement, ce sont deux femmes et le frère aîné qui sont conduits au P.C.

Le commandant de la "Place forte" s’enquiert de la situation et prend la décision de libérer les victimes, en renvoyant le règlement de l’affaire au lendemain.

Cependant, le lendemain, à 4h00 du matin, le militaire, accompagné de trois autres, se rend au domicile du garçon et l’arrête, ainsi qu’un autre frère de la même famille et la vendeuse de vin de palme. En chemin, il croise un monsieur tenant un enfant. Il le tabasse, sans autre forme de procès.

Aussitôt, les deux frères sont conduits au P.C. Là, yeux bandés et mains liées avec du fil de fer, ils sont battus à mort : du sang coule des narines, des oreilles, de la bouche, des urines aussi. Ils sont ensuite entraînés dans un cimetière de fortune, derrière le P.C., où leur sont encore proférées des menaces de mort.

Arrive l’épouse de l’un des infortunés qui informe le commandant, de la situation. Surpris de la tournure de l’affaire, le commandant ordonne la libération des garçons. Signalons que, entre-temps, une forte délégation du quartier était également arrivée au P. C.

Mais, avant d’être reconduits à leur domicile, à bord du véhicule du commandant, ces garçons sont encore torturés : les militaires versent de l’eau chaude sur leur corps et les brûlent à la cigarette. Ils en sont sortis très défigurés. Ils ont été abandonnés, chez eux, à leur triste sort, avec leurs corps ensanglantés. Actuellement, c’est l’Eglise catholique et le C.i.c.r (Comité international de la Croix rouge) qui essayent de leur venir en aide, en organisant leur évacuation sur Brazzaville, afin d’y être soignés.

Les militaires en question, eux, ne sont pas du tout inquiétés. Ils sont libres, à Kinkala, libres sans doute de commettre d’autres exactions, après avoir ingurgité du vin de palme. Le ministre de la Défense a parlé, dans ce même journal, des tribunaux militaires qui sont déjà en fonctionnement. Les victimes d’une telle barbarie pourront-elles être dédommagées ? C’est l’honneur de l’armée qui est en jeu.

Ces faits nous ont été rapportés par un témoin oculaire à Kinkala, qui a requis l’anonymat, pour raison de sécurité. La Semaine Africaine en assume la publication.

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