email

La COMEG : dérive monopolistique et déviances officialisées

La Congolaise des Médicaments Essentiels et Génériques, en sigle COMEG, association de loi 1901, s’est subtilement incrustée dans le système sanitaire congolais, semble-t-il avec la bénédiction de l’Union Européenne, en dépouillant la Direction des Pharmacies, des Médicaments et des Laboratoires de certaines de ses attributions. Elle est devenue de fait une administration publique car non seulement elle gère, chaque année, des milliards de francs CFA de crédits budgétaires de l’Etat destinés à l’achat des médicaments, elle lance également des appels d’offre de médicaments pour le compte de l’Etat congolais. En outre, la COMEG s’est malicieusement imposée à l’Etat Congolais en concoctant un plan national d’approvisionnement en médicaments essentiels dont elle est, elle-même, l’épine dorsale. Bref… elle est devenue une véritable « administration publique parallèle » agissant sous le couvert d’une convention viciée signée avec le Ministère de la Santé.

S’inscrivant dans la logique des soins de santé primaires et de l’Initiative de Bamako, cet article a pour objet de décrypter le statut et le fonctionnement de la COMEG afin de ressortir les dérapages générés et de proposer les voies de sortie. Pour ce faire, cette association sera auscultée selon les deux facettes fondamentales qu’elle peut revêtir : Centrale d’achats et/ou instrument de mise en œuvre de la politique de recouvrement des coûts.

La COMEG, Centrale d’achats : une dérive monopolistique à proscrire

Dans le préambule de ses statuts, la COMEG est présentée comme une centrale d’achat de médicaments essentiels et génériques. Faut-il rappeler que l’activité principale d’une Centrale d’Achats est de centraliser les achats afin de bénéficier de meilleurs prix ? La COMEG ne devrait donc pas se couvrir d’éloges du fait qu’elle ait acheté de l’insuline ou des antirétroviraux (ARV) à des prix avantageux. N’importe quelle centrale d’achat aurait fait pareil.

Ce qui est vrai, c’est que la COMEG aurait pu bénéficier des prix encore plus bas si, pour certains médicaments (les ARV en particulier), elle avait acheté directement au fabricant. Malheureusement, dans son droit de réponse paru dans le journal la Semaine Africaine N° 2786 du Mardi 22 avril 2008, elle a semble-t-il omis de publier les origines de ses importations, les fabricants et les fournisseurs. Si elle l’avait fait, tout porte à croire qu’elle aurait été contrainte d’expliquer, par exemple, pourquoi doit-elle régulièrement passer par une société basée dans un pays européen pour acquérir des médicaments fabriqués en Inde par une entreprise dont le représentant se trouve au Congo.

Nul doute, elle pourrait rétorquer que le circuit emprunté répond à un besoin d’Assurance Qualité. Mais, les pré-requis en matière de qualité fournisseur et du médicament sont bien posés lors de la procédure d’appel d’offres. Les exigences de qualité figurent de façon de plus précise et complète dans les dossiers d’appel d’offres. De nos jours, les centrales d’achat adoptent toutes une démarche connue afin d’assurer la qualité des fournisseurs et de leur produit. De plus, certaines organisations internationales publient la liste des lieux de fabrication et celle des produits approuvés.

Dans tous les cas, la COMEG, en tant que centrale d’achat de statut association loi 1901, doit être placée au même diapason que COOPHARCO, la SEP, la nouvelle société Médipharm, la coopérative des médicaments d’ABALA, l’Association des pharmaciens de MADIDI à 5 km de KINKALA…. Dans cette optique, il reviendrait à l’Etat congolais par le biais du Ministère de la Santé (Direction des Pharmacies, des Médicaments et des laboratoires) de lancer des appels d’offre auxquels devraient répondre toutes les Centrale d’achats, y compris la COMEG. De cette manière les centrales d’achats nationales et étrangères devraient être mises en concurrence. On devrait ainsi éviter de signer des conventions, une forme de marché de gré à gré, qui entérinent une dérive monopolistique. En effet, grâce à la convention signée avec le Ministère de la Santé, la COMEG jouit d’un monopole sur le marché des médicaments destinés à l’Etat congolais. N’est-ce pas là une manière d’enfreindre à l’un des principes de la bonne gouvernance prônée par les Organisations internationales dont l’Union Européenne : la mise en concurrence préalable ? Comment interpréter l’attitude de l’Union Européenne consistant à cautionner cette dérive monopolistique, si ce n’est l’application du diktat « nous finançons, vous achetez en priorité chez nous » ? Il paraît en effet curieux que cette Organisation internationale, porte flambeau du libéralisme et de la loi de marché, donneuse de leçons sur la bonne gouvernance, ferme les yeux sur cette forme de concurrence déloyale et encourage de ce fait la mauvaise gouvernance.

La COMEG par rapport à l’Initiative de Bamako : des déviances à corriger

Face aux difficultés rencontrées par les pays africains pour s’approvisionner en médicament, l’UNICEF a lancé l’idée de promouvoir la règle de paiement des soins et des médicaments par les usagers. En 1987, à Bamako, lors du 37ème comité régional de l’OMS pour l’Afrique, les ministres africains sous l’égide de l’OMS et de l’UNICEF ont adopté une résolution dite « Initiative de Bamako ». L’OMS définit l’Initiative de Bamako comme étant « l’autofinancement communautaire des soins de santé primaires par le biais d’un approvisionnement en médicaments essentiels et du recouvrement de leur coût ». L’un des éléments fondamentaux de l’initiative est, comme le montre la définition, la promotion du médicament essentiel générique afin d’assurer l’accessibilité à des médicaments de qualité à un prix abordable.

L’implication des communautés est un élément fondamental de l’initiative de Bamako. Pour les médicaments essentiels, elle est basée sur la création d’un fond de roulement communautaire alimenté au départ par l’aide extérieure et s’autofinançant par la suite, grâce au recouvrement des coûts des médicaments et à sa gestion par la communauté qui vend à la population.

Pour être un bon exemple d’application de l’initiative de Bamako, la COMEG, en tant qu’instrument de mise en œuvre de la politique des recouvrement des coûts, aurait dû commencer par (faire) construire ou réhabiliter des dépôts pharmaceutiques, doter chaque dépôt d’un stock initial de médicaments essentiels et impliquer les communautés locales dans la gestion de stock afin d’assurer le réapprovisionnement permanent des dépôts. Les fonds générés par la vente des médicaments essentiels génériques du stock initial permettraient d’aider l’autofinancement des formations sanitaires. Les stocks initiaux de la COMEG et des dépôts pharmaceutiques devraient être financés par le fonds de roulement d’un montant de un milliard de FCFA environ mis à la disposition de la COMEG et pris en charge à de 85% par l’Etat congolais, soit 850 000 000 FCFA.

Malheureusement, la COMEG s’est largement écartée du schéma de l’Initiative de Bamako. Elle s’est cantonnée exclusivement dans son rôle de Centrale d’achat en traquant le moindre crédit budgétaire de l’Etat destiné à l’achat de médicaments. L’affaire est lucrative car les achats de médicaments sont payés cash. D’où l’intérêt d’utiliser les « associations écrans ».

La création de ce type d’associations peut être interprétée, en dernière analyse, comme un subterfuge des pays européens visant à contrôler le marché du médicament des ex-colonies pour se prémunir contre la montée des pays émergents. En effet, jusqu’à ces dix dernières années la majorité des importations en médicaments des pays africains provenait de L’Union Européenne. La production pharmaceutique de l’Union Européenne représente environ le quart de la production mondiale et la moitié des exportations de médicaments. Quinze pour cent de ces exportations sont destinées aux pays en développement. Dans l’Union Européenne, 9,1% des exportations de la France sont destinées à l’Afrique. Or, avec le développement de l’industrie générique, de plus en plus compétitive, particulièrement dans les pays en développement, et la promotion de l’usage du générique, le marché du médicament connaît un nouveau modèle de compétition mondiale. Les parts de marché de l’Union Européenne et des médicaments brevetés tendent à diminuer pour les médicaments tombés dans le domaine public et pour les produits ayant trait aux maladies infectieuses, particulièrement le SIDA. Au cours de ces quinze dernières années, il y a eu des gagnants et il y a eu des perdants dans la répartition du marché mondial du médicament. Les Etats-Unis ont gagné 5 points du marché mondial. L’Irlande et la Suisse en ont gagné chacune autant. La France a perdu environ 2 points, l’Allemagne un peu plus. Le fort développement de la demande mondiale de médicament ne bénéficie pas aux pays de l’Union Européenne, et ils sont entrés en territoire négatif. Pendant ce temps, on observe une montée en puissance des pays en développement tels que la Chine, la Thaïlande, le Mexique, la Corée du Sud, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Egypte… La contribution des pays émergents à la progression des ventes devrait être plus importante, d’après les prévisions annuelles d’IMS Health. D’où, le soutien de l’Union Européenne à la création des centrales d’achat africaines ayant toutes, comme par hasard, une convention avec les différents Ministères de la Santé et le statut d’association loi 1901 : la COMEG au Congo Brazzaville, l’association SALAMA à Madagascar, le CAME au Bénin, la CAMME à Djibouti … Ce sont toutes des « associations écran » car « on utilise le statut associatif pour créer des organismes qui remplissent des missions de service public. Au lieu de passer par les règles de l’appel d’offres et des marchés publics, l’Association accomplira des missions qui lui seront confiées par l’administration. La simplicité de création, la quasi inexistence des contrôles et les avantages liés au statut de la loi 1901 expliquent cette utilisation parfois excessive ». Croire que le soutien de l’Union Européenne dans ce domaine relève de la philanthropie ou de la compassion c’est être dupe.

Que faire ?

Les dérives et déviances constatées appellent semble-t-il quatre remèdes :

  1. Modifier le statut de la COMEG : à l’instar de la Côte d’Ivoire ou de la Mauritanie, transformer la COMEG en Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC). Il paraît en effet anormal qu’une association loi 1901 brasse autant d’argent public et demeure sous influence d’entités extérieures à l’Etat.
  2. Mettre en place un système national de contrôle qualité des médicaments. L’éventualité de la création d’un laboratoire de contrôle doit être envisagée.
  3. Exécuter urgemment le schéma de l’Initiative de Bamako : au lieu de continuer à faire du saupoudrage, le Ministère de la Santé devra orienter ses crédits d’investissement vers la construction et/ou la réhabilitation des dépôts pharmaceutiques dans les chefs lieu de région, dans les formations sanitaires puis les doter en stock initial de médicaments, en chaîne de froid, en groupe électrogène... avec l’implication des populations. Les inscriptions budgétaires doivent refléter la stratégie de santé mise en oeuvre. Il faut abandonner le pilotage à vue.
  4. Renouveler les animateurs de l’administration centrale de santé pour rompre avec la loi des rendements décroissants (plus on met du temps, plus on devient inefficient), la routine et les habitudes peu orthodoxes. La mise en œuvre du schéma du financement de la santé par le recouvrement des coûts (Initiative de Bamako) nécessite beaucoup d’engagement, de motivation et surtout de dynamisme que le temps fini par user. Il faut nécessairement apporter du sang neuf.
Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.