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La chaîne Drtv, souffle ses dix bougies

Cette semaine est celle des fêtes anniversaires des médias. 28 novembre 2002 – 28 novembre 2012, Drtv , chaîne privée, du général Norbert Dabira, célèbre ses dix ans d’existence tandis que Télé Congo, chaîne nationale - 27 novembre 1962 -27 nov. 2012 - fête avec faste ses cinquante balais. Longonia ?

RITE IMMUABLE

Le directeur général ( Drtv), Paul Soni Benga, de passage à Paris, n’a pas eu de mots assez élogieux pour encenser sa chaîne de Télé qu’il qualifie de nec plus ultra du paysage audio-visuel congolais. « Avec un léger décalage, nous fêterons cet anniversaire à Brazza, au mois de décembre  » nous a-t-il confié. C’est-à-dire dans quelques jours, exactement le 1er décembre, au Palais des Congrès. C’est devenu un rite immuable. L’an dernier, le neuvième anniversaire a donné également lieu à une grande fête à l’hôtel Olympique Palace de Brazzaville en présence du Ministre Bienvenu Okyémi.

Bouquet numérique

Voici un an, Drtv adhéra au programme de diffusion sur le bouquet numérique. Du coup, la chaîne congolaise est devenue visible à Paris. Le hic c’est qu’on ne retrouve pas Drtv sur le bouquet « chaînes du monde » téléchargés par Numéricable. Explications de son Directeur Général : « DRTV est captable par Free box. Soit par une antenne parabolique soit par un modem free commercialisé chez Carrefour ». Paul Soni Benga a l’air de maîtriser parfaitement le dossier historique de la maison bien qu’il ait pris en marche le train d’une opération qui remonte à plus de dix ans quand la chaîne fonctionnait encore sous le label Média Vision.

Implanté dans le quartier OCH de Brazzaville (dans des locaux qui gagneraient d’être agrandis) Drtv alimente les deux capitales « les plus rapprochées du monde  » (Brazzaville, Kinshasa) et accuse un bon feed-back depuis les…Comores.

On n’ose pas contredire les propos du DG Paul Soni Benga tant il est vrai que la principale rivale Télé-Congo (chaîne nationale captée en France sur Numéricable) ne fait (mais vraiment pas) le poids malgré ses cinquante ans d’âge. De toutes les chaînes du monde capturées sur le réseau câblé Numéricable, Télé-Congo semble la lanterne rouge. Avec ses émissions de propagande ultra et un enchaînement systématique des émissions sans transition, difficile qu’il en soit autrement. Aussi triste que cela puisse paraître, la Télé Nationale située à Nkombo-Brazzaville (dans des locaux d’une architecture moderne) est loin derrière les autres chaînes africaines diffusées par le bouquet numérique.

Une chaîne critique

Drtv est une chaîne dont le sigle paraissait une énigme. En fait le D de Drtv ne signifie pas « Dabira » (du nom du PDG de la chaîne) mais « Digital ».

Ceci pour dire que la chaîne n’a pas à rougir de son puissant PDG (le général des forces armées Norbert Dabira) dont l’équipe de cameramen attaque les faits sociopolitiques sous un angle généralement inédit au Congo : celui du jugement critique. Drtv est réputée pour braquer ses projecteurs sur les dysfonctionnements de la société au point où on se demande parfois s’il ne s’agit pas d’une chaîne de l’Opposition. Cette autocritique d’un système auquel son PDG participe (il était instructeur politique à l’armée) tiendrait du hara-kiri japonais si on ne considèrait pas la chose sous l’angle d’une soupape sociale dont on se sert pour évacuer les tensions générées par le régime. C’est le classique axiome : « je me critique avant qu’on ne me critique ». L’exercice de la «  non complaisance  » pratiqué par Drtv est tout de même facile quand on sait qu’en face, à cause du jeu du monopole, il n’y a personne pour jouer la concurrence.

« Et Me Massengo-Tiassé avec sa Radio-Télé Forum ?  » nous rétorquerait-on. Avec un rayon de diffusion qui ne franchit pas les limites de Brazzaville « La voix des sans voix  » (c’est son slogan) ne fait pas le poids face au «  géant catalogue du quartier OCH  » (entendez Drtv). A cela il faut ajouter le statut ambigu de Me Massengo-Tiassé. Fait-il partie de l’Opposition ou du Pouvoir ? Il fait penser à la chauve-souris, animal dont on ne sait s’il est oiseau ou mamifère.

Conférence de rédaction

Il est normal qu’il n’y ait pas « match » entre Drtv et ses (rares) concurrents. Drtv peut se féliciter de pratiquer une stratégie de la structuration des programmes à laquelle, probablement, ses adversaires ne pensent même pas : la conférence de rédaction. Elle se tient dans une salle attenante à celle de son directeur Paul Soni Benga. Celle-ci se déroule en présence du PDG lui-même, le général Norbert Dabira. Etant donné que le PDG adore sa télé et le monde des médias on se demande s’il a déjà dérogé au rituel de la conférence des journalistes.

OnSEXprime

Sur le plan du tabou de la sexualité, Drtv a procédé à un mimétisme dédramatisant que ne renierait pas Canal+ (chaîne cryptée), la première à briser l’interdit érotique en France sur une chaîne à grande diffusion. DRTV joue le registre du film adulte dans un univers où la police des mœurs campe hypocritement dans le rôle de la vierge effarouchée. Il faudra décortiquer le contenu de l’émission « onsexprime » pour mesurer si la brigade des mœurs a raison de s’offusquer en s’appuyant sur le principe selon lequel «  dans un pays où les MST font des ravages, halte au porno  »

Bilan

Quel bilan peut tirer Drtv en dix ans de règne (presque) sans partage ? Dans un univers qui n’a jamais été impitoyable du point de vue compétitif, difficile de mesurer les progrès réalisés ? Quel serait le niveau du PAF (paysage audiovisuel Français) s’il n’y avait pas une forte dose de concurrence dans le champ médiatique ? Il suffit de regarder l’espace audiovisuel pour se rendre compte que TF1 ou France 2 d’il y a dix ans n’a rien de commun avec TF1 ou France 2 de 2012. Drtv a intérêt qu’il y ait plusieurs chaînes concurrentes comme chez nos voisins de la RDC s’il veut intéresser le public. Sa situation de quasi monopole la rend, paradoxalement dans une situation inconfortable quant à occuper une pôle position dans la sous-région.

Qu’en est-il de la structuration des programmes ? Sent-on une évolution ? Sans vouloir déflorer un projet, nous savons que le DG Soni Benga (lui-même excellent guitariste) est sur un puissant chantier culturel relatif à la dynamique des orchestres amateurs des années 70 à nos jours. Ce qui fait la force d’une chaîne ce sont aussi les documentaires, comme sur ARTE, la chaîne franco-allemande. DRTV gagnerait à orienter sa stratégie vers le document historique, voire ethnographique.

Chose ahurissante, Télé-Congo s’est donné comme principe de ne pas acheter des documents produits par des réalisateurs indépendants ; au contraire cette chaîne exige de se faire payer avant de les diffuser. L’appât du gain, l’appétit carnassier des journalistes/fonctionnaires, constituent l’une des plaies mortelles de cette vieille fille qui affiche cinquante berges.

Quant à Drtv, espérons que le onzième anniversaire sera celui qui annoncera un changement systémique.

Simon Mavoula

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