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La conquète de Conkouati

Arnaud Labrousse s’est penché sur l’heureuse société Pioneer, bénéficiaire d’un extraordinaire contrat pour la mise en valeur de l’écotourisme dans la réserve de Conkouati. Des surpises, toujours des surprises...

Dans mon rêve, je joue au ping pong avec Henri Djombo. C’est un… massacre ! Au bout de deux minutes, l’imbattable président de la Fédération congolaise de tennis de table et ministre des Forêts des deux dictatures Sassou est KO dans les règles. Liesse générale. Surgit soudain, de nulle part, l’angoisse, le doute : peut-être m’a-t-il laissé gagner ? Peut-être, par stratégie ou pure générosité, le grand pongiste cobra cherchait-il à se couvrir de honte ?

En effet. Dans la vraie vie, le tout puissant Djombo nous donne souvent cette impression. Tireur d’élite du régime, l’homme semble viser systématiquement ses propres pieds.

Fin 1999, le bientôt président de l’Organisation africaine du bois se voit confier la tâche de ramener miliciens Ninjas et Cocoyes au bercail. Avec quel brio notre homme… s’exécute ! Puisant dans les revenus forestiers, le régime se met à racheter des kalachs ennemies 10 000 FCFA pièce, à grand renfort médiatique. En mars 2000, Djombo rend compte des travaux à Paris. L’Huma célèbre un « ministre pour la paix » [1]. La Lettre du Continent gâche la fête : si « une partie » d’un versement forestier de 3 milliards de FCFA a bien servi la bonne cause, « l’autre partie s’est évaporée dans la brume… » [2]. Trop de pub tue la pub.

Le mélange des genres se perfectionne en 2002. Cet ex-ambassadeur en Bulgarie (1986-88) ajoute à ses déjà nombreuses attributions celles de procureur et de juge. Rappel des faits. Le 13 mai 2002, un écolo camerounais du nom de Joseph Melloh est pris en flagrant délit d’enquête, avec caméra cachée, sur les terres de la Congolaise industrielle des bois (CIB), société aujourd’hui décorée d’un label vert FSC. Remis aux autorités cobra, le malfaiteur est embastillé à Pokola, puis transféré vers une des cellules les plus sûres de Brazza. En juillet, c’est lors d’un « déjeuner de presse » offert par Son Excellence Djombo qu’un chef d’accusation est lancé au public pour la première fois. L’ambassadeur des Etats-Unis, les représentants de l’ambassade de France, de l’Union Européenne, de la Banque mondiale, ainsi que les curieux de l’AFP, de Reuters, et d’AP sont informés de la bouche d’Henri Djombo que Melloh est poursuivi pour « espionnage et atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ». Mieux, le ministre distribue aux invités des photocopies de mails échangés entre les partenaires de l’accusé et le Haut Commissariat de Grande-Bretagne. Il rappelle ensuite, grand seigneur, que « cette affaire étant judiciaire, il faut laisser comme dans tous les pays promoteurs de l’Etat de droit, à la justice le temps et la compétence de la traiter conformément à la loi ». Melloh sera relâché la veille de l’intronisation de Sassou III. [3]

En juin 2003, des élus du département du Niari accusent la société forestière chinoise Man Fai Tai de coupes sauvages. [4] A un copiste de l’AFP, le ministre Djombo oppose un « démenti catégorique […] qu’il y ait surexploitation ». Manque de pot, la liste des forestiers verbalisés par son ministère en 2002 venait de s’égarer dans le public. Y figurait en première place Man Fai Tai, avec 150 millions de FCFA de « pénalités », selon la formule consacrée, dont 21 millions déjà recouverts, encaissés, et destinés à la réduction de la pauvreté dans le monde. [5] N’oublions pas qu’en 1997

« Man Fai Tai, qui a soutenu Pascal Lissouba, […] s’est adaptée à la nouvelle donne politique au Congo en fournissant des moyens de transports aux milices Cobras de Denis Sassou Nguesso au moment opportun. » [6].

Au Congo françafricain, les belles opportunités de se taire ne sont pas ce qui manque. Surtout lors d’un deuxième « Sommet des chefs d’Etat d’Afrique centrale sur la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers » dont le bla bla d’ouverture est prononcé par Jacques Chirac. La scène se passe en février 2005. RFI souhaite confirmer que le trafiquant d’armes et forestier préféré de Charles Taylor s’est rétabli au Congo depuis la chute du tyran libérien. Henri Djombo est sur le pont. Il assure que Gus Kouwenhoven est « bien installé au Congo en tant que personne disposant de matériel et en quête de partenariat et ainsi de suite », qu’il évolue « dans le respect strict des lois congolaises », et que « jusque là nous n’avons jamais eu un appel ni une requête » de la part du Conseil de sécurité, qui en 2001 avait interdit à Kouwenhoven de quitter Monrovia. Désaveu le jour même (le 4 février), dans un communiqué du ministre de la Communication : suite à une demande formelle du Conseil de sécurité, l’intéressé n’est plus sur le territoire national. Quelques semaines avant l’arrivée du grand Jacques, le régime aurait gentiment prié « Monsieur Gus » de dégager. [7]

Ces jours-ci, on admire la fougue de Djombo, la spontanéité du fonctionnaire, lors des signatures de contrats forestiers. Le chef déballe le nom d’investisseurs jusque là totalement inconnus. Ses portes flingues font le reste. Best of : En 2005 la société chinoise « Yuan Dong » – « ayant présenté un schéma industriel viable et diversifié » – rafle un juteux permis dans la Sangha. En 2006, grand cru : « Lexilian Corporation Ltd. », dite du Canada, vient pour des plantations d’eucalyptus ; 562 000 ha du Niari et de la Lékoumou reviennent à la malaisienne « Asia Congo Industries » (« La signature de ce texte imprimera un nouveau rythme à l’exploitation forestière […]. ») ; la chinoise « Congo Deija Wood Industrie » accapare 636 000 ha de la Cuvette (« La commission forestière a demandé à cette société de se rapprocher de l’administration forestière pour la réalisation d’un programme d’inventaires d’aménagement durable […]. »)

Et puis vint Pioneer. De bonnes nouvelles destinées à faire date dans l’histoire de la kleptocratie moderne. On croyait d’abord à un poisson d’avril. Même Reuters n’arrêtait pas de rigoler :

« La République du Congo a signé un deal qui permet à un investisseur américain de construire des hôtels et des casinos dans une réserve naturelle abritant plusieurs espèces menacées, a déclaré lundi une source au ministère des Forêts. Le contrat […] donne à Pioneer International Development, basée dans l’Utah, un permis de 50 ans pour développer l’écotourisme dans le Parc national de Conkouati Douli, la réserve renfermant le plus de biodiversité du pays. […] Le gouvernement de Denis Sassou Nguesso a été critiqué par des associations écologistes en janvier pour avoir attribué un permis de recherche pétrolière au sein de la réserve à une filiale de Maurel & Prom, de France, en violation de la charte de la réserve. » [8]

Trop appréciées par Jean-François Hénin et Antoinette Sassou pour véhiculer à son tour ces dernières critiques, Les Dépêches de Brazzaville ont néanmoins elles aussi opté pour diffuser l’annonce. Que la plume Pigasse ait su garder son sérieux habituel n’a fait qu’exacerber la farce :

« Le protocole, dont le montant d’investissement n’a pas été révélé, a été signé entre le ministre de l’Economie forestière, Henri Djombo, et le président délégué général de Pioneer, Rigobert Butandu. La société américaine va financer durant les sept premières années l’aménagement du site et créer des hôtels, casinos, et autres infrastructures nécessaires à l’écotourisme. » [9]

Faire des casinos une nécessité, il fallait y penser.

*

Personne n’aime les missionnaires armés.
Robespierre

Pour se renseigner sur « Pioneer International Development », ce serait une erreur que de commencer par son site web. [10] Car, en plus d’être un texte comique, « Welcome to the Pioneer ! » est un récit au moins en partie fantastique.

« Créée en 2004, Pioneer International Development (PID) fournit des services de conseil dans tous les domaines d’ingénierie civile et structurelle depuis plus de deux ans, et nos valeurs de base d’intégrité, de professionnalisme et de qualité ont passé le test du temps. Aujourd’hui Pioneer International Development possède des bureaux dans tous les centres majeurs d’Afrique du Sud, emploie quelques 300 personnes, et a travaillé à travers l’Afrique, proposant toute la gamme d’ingénierie et des domaines associés par le biais des diverses filiales du groupe. »

A ces hyperboles, on va certes revenir. Faisons d’abord un tour à Salt Lake City.

Pioneer c’est un petit bureau au 5665 South Redwood Road, dans le quartier de Taylorsville. Il s’agit des locaux d’une PME de taille très modeste qui s’appelle « Avanta Care Inc. » et parfois « Pioneer Health Inc. » et qui partage avec Pioneer International le même numéro de téléphone, ainsi que le même directeur. [11]

Rien à voir avec le développement, en Afrique ou ailleurs. Créée en 2003, Avanta est prestataire d’aides-soignants à domicile. Si elle est parfaitement reconnue par Medicare, l’assistance médicale publique pour personnes âgées et handicapées, celle-ci lui décerne des notes assez médiocres. Ses données de mars 2007 indiquent que seulement 25% des patients passés par Avanta « marchent ou se déplacent mieux », par rapport à 41% à l’échelle nationale ; seuls 22% d’entre eux « ont moins de douleur en se déplaçant » contre 63% à l’échelle nationale ; seuls 10% « contrôlent mieux la vessie », contre 50% à l’échelle nationale ; seuls 15% « prennent mieux leur médicaments oraux », contre 41% à l’échelle nationale. [12]

Etonnant, avec de tels chiffres, que depuis 2004 le Better Business Bureau de l’Etat d’Utah [13] n’ait reçu qu’une seule plainte.

Le responsable d’Avanta est un certain Nickson Kasue, ancien missionnaire mormon d’origine kenyane. Il est aussi le « PDG » de Pioneer. Par hasard, son frère Benson est « chief financial officer » de Pioneer. Mais c’est un autre pêcheur d’âmes reconverti dans les affaires, originaire du Congo démocratique celui-ci, qui fait toute l’originalité d’Avanta.

Pour des raisons qu’il nous est difficile de savoir, la boîte aime chercher ses aides-soignants à l’étranger. Son site web est bourré de formulaires à remplir et à renvoyer dare-dare. Pour vous installer le plus tôt possible dans le rêve américain, « trois étapes faciles » à franchir. La première est de vous munir des qualifications suivantes : « 1 année ou plus d’expérience d’infirmière dans une clinique ; diplôme d’une école d’infirmières ; maîtrise de l’anglais parlé et écrit ; casier judiciaire vierge ». La deuxième étape, moins ardue, est de ne rien faire. Avanta va s’occuper « des formalités de visa et d’immigration (carte verte) », de la recherche « d’un poste d’infirmière dans un hôpital américain », de votre préparation pour des tests d’anglais et d’accréditation d’aide-soignant, ainsi que du fameux « billet d’avion ». L’étape numéro trois est la plus facile de toutes. C’est l’étape « Ce que vous aurez à la fin » :

« Un bon poste d’infirmière aux USA ; la carte de séjour permanent [“permanent residence”] ; un salaire mensuel allant jusqu’à 4 000 dollars (plus pour les bonnes candidates) ; d’autres bénéfices tels qu’assurance santé, plan de retraite etc. ; logement temporaire ; programme d’insertion ». [14]

Bonus alléchant : si vous recommandez une autre fille, qui – comme vous – réussira à rester 18 mois au boulot, « nous nous engageons à vous récompenser avec un billet de retour à destination de n’importe quel grand aéroport de votre pays d’origine ».

Et ça marche. Du moins c’est ce que laisse entendre Avanta : « de très nombreux hôpitaux américains ont contracté avec Avanta Care, Inc. pour recruter des infirmières étrangères de top qualité ». A noter qu’on ne cite le nom d’aucune de ces institutions.

Le responsable « International Recruitment » de cette opération est donc le Congolais Joseph Diamany. Il a fait sa mission pour le Christ à Kolwezi en 1991. Plus tard, il rapporte :

« Je me souviens quand ma branche rencontrait une autre branche pour un match de foot. J’ai demandé au Seigneur de nous laisser gagner. Après 90 minutes de jeu, les visiteurs ont gagné 3-0. J’étais énervé, me disant que ma prière n’a pas été exaucée. Mais l’arbitre m’avait demandé d’offrir une prière. J’avais prié pour la sécurité de tout le monde, et personne n’a été blessé. Ma prière a été exaucée. » [15]

En 2004 Diamany ne parle plus par paraboles. Le Patron veut des résultats. « La croissance de l’Eglise [mormone] en RDC surprend certains mais pour les autres c’est juste un acte ordinaire quand on connaît l’accueil et l’amour de ce grand peuple en matière de la Bonne Parole. [sic]  » [16] Doté de trois « pieux » et 31 « paroisses », Kin est « déjà l’envie de grandes villes telles que Paris, Londres, Montréal et Toronto, pour ne citer que celles-là […]. » Depuis 2001, notre fidèle anime un site destiné à garder contact avec d’anciennes branches et nouvelles paroisses, dans l’espoir de « grandir dans la foi bien entendu sans but lucratif ».

Ce n’est pas si bien entendu que ça. Car le recruteur d’infirmières s’avère être aussi un astucieux agent commercial. Pour tout dire, sa « Diamond Corridor Ltd. », domiciliée chez lui à Northampton en Angleterre, vend des diamants en ligne. [17] Et pas n’importe lesquels.

« Nous vous proposons plus de 10 000 diamants de votre choix. Chacun d’entre eux est certifié par la meilleure institution dans le domaine. Plus de 1 000 options pour créer votre propre bague, boucles d’oreilles, pendentif, collier, bracelet ou autres bijoux. […] Nombreux sont ceux qui n’ont jamais eu la chance de voir un diamant brut. Mais en posséder un, un brut, est grisant. C’est comme avoir une peau de léopard accrochée sur le mur de votre salon, mais celui qui a un léopard vivant qui rugit et bondit dans son jardin est 100 fois plus envié. »

Max Weber es-tu là ?

« Nous vous donnerons cette opportunité unique qu’aucun autre bijoutier, ne pensant, lui, qu’à ce qui rapporte, ne vous proposera jamais. Avec plus de vingt ans de confiance et d’expérience […] » etc.

Tout est vanité. Vous portez un titre ici-bas ? « Doctor » ? « Lady » ? Plaquez-le sur un caillou. [« Un titre gagné au service communal [sic] ou par d’autres efforts mérite d’être affiché. Pourquoi pas un bijou de valeur, un diamant hurlant à tue-tête afin que les autres sachent à quel point vous estimez votre reconnaissance ! » Tuyau aux diplômés : faites graver un « BA, MBA, PhD… » en or, « partout vous allez inspirer du respect et pour ce que vous portez et pour votre cerveau ».

A vos chéquiers ! Les prix de Diamond Corridor sont « garantis bas » – rien à plus de 8 000 £. Comment Diamany pourrait-il être si compétitif ? Simple :

« […] Nous amenons nos diamants directement “des mines aux marchés” éliminant ainsi les profits des intermédiaires. »

Mais ce n’est pas tout. En fait, chez Diamond Corridor ce n’est rien du tout. L’entreprise est rigoureusement diversifiée. Les activités non-diamantaires sont même mises en avant :

« Les banques ou autres ne vous accordent pas un crédit immobilier ou un prêt à cause de vos revenus insuffisants ou de votre mauvais crédit : une décision d’ordinateur ! Nous le ferons parce que nous bâtissons un rapport, une amitié et un partenariat avec vous. Alors contactez-nous maintenant pour votre solution financière : nous vous aiderons à posséder une maison, à commencer à investir, à financer une entreprise, etc.… en moins de trois ans ! »

Dans cet amas de points d’exclamation, peu de détails précis. A ceux « qui peinent à joindre les deux bouts », qui « se battent à garder la tête au-dessus de l’eau » ce vendeur ne cesse de vanter son « approche humaine ». Prophétique, il croit savoir que « le jour va venir où vous aurez besoin d’espèces pour une raison ou une autre, mais où vous n’aurez nulle part vers où vous tourner ». Les Bonnes Nouvelles sont qu’il « a bâti un rapport avec de meilleures organismes de crédit [“top lenders”] qui vous feront confiance », grâce à sa bonne renommée. Certes il y a un petit préalable : « Tout ceci aura commencé par l’achat d’une seule pierre précieuse » – mais on passe rapidement à autre chose. « Des prêts garantis ou non garantis, pour n’importe quel but, nous les accorderons ! ». De vagues organismes de crédit sont « assoiffés » d’entrer en rapport avec vous.

Avec l’aide de Diamany, vous allez pouvoir acquérir une propriété, soit pour la louer à un tiers (« qui remboursera le prêt de votre part »), soit pour louer celle que vous occupez déjà (« si vous en avez une bien entendu »). Si vous choisissez de devenir locataire de Diamond Corridor – elle posséderait son propre parc immobilier – « une partie » de votre loyer vous sera remboursée après trois ans. Faisant désormais partie de « notre famille », vous aurez le privilège de « contribuer pour un montant mensuel à notre fonds “cash building”. […] Après trois ans, vous vous en allez avec […] des intérêts incroyables » – le mot est peut-être bien choisi – « […] du genre qu’aucune banque […] ne vous permettra de gagner ».

Figurez-vous que Diamany fait aussi dans l’assurance. En cas de catastrophe, « nous répondrons dès que vous aurez besoin de nous ». Et « on peut vous garantir que vous n’aurez pas d’ennuis avec des formulaires sans fin ni avec le suivi de votre indemnisation ». Voilà une offre impossible à refuser.

Cerise sur le gâteau : une loterie de fin d’année. Le gagnant risque de se retrouver avec une bien coquette pierre sur ses mains (valeur 15 000 £).

Diamond Corridor a des précédents. Le 28 mars 2006, sur Pageweb Congo, une certaine « Nursing [email protected] » lance :

« Recrutons 5 gradués [sic] ou professionnels pour l’installation et le fonctionnement d’une nouvelle entreprise au Congo (RD) :
 Finance (1) ;
 Sciences commerciales (2) ;
 Gestion des entreprises (2) »

Deux jours plus tard c’est sur un site sud-africain qu’« une florissante [“thriving”] société internationale (GB/US) » cherche « consultants en ressources humaines » pour recruter des infirmières pour « divers postes » en Angleterre et aux Etats-Unis.

« Un diplôme en management ou une expérience professionnelle équivalente serait avantageux mais pas essentiel, puisqu’une formation complète sera offerte à tous les candidats après embauche ».

Les candidats sont informés, entre parenthèses, que « Nursing Corridor » est une « division de Finance Corridor Ltd., UK ».

Digne ancêtre de Diamond Corridor, Finance Corridor se crée le 15 septembre 2004. Plus pertinemment, elle se dissout le 13 juin 2006. En clair : au moment où Diamany la qualifie de « florissante » il avait déjà prononcé sa dissolution anticipée. Du moins, on l’espère : en Angleterre, 98 jours est l’intervalle minimum légal entre la publication du premier avis de dissolution anticipée d’une société et sa dissolution définitive.

Avec la mort subite de Finance Corridor, la créativité de Diamany se déchaîne : Diamond Corridor voit le jour le 18 août 2006, « Diamany Global Investments Ltd. » le 7 décembre 2006, « DBP Petroleum » le 15 janvier 2007.

Il faut préciser que la paternité exacte de cette dernière n’est pas encore connue avec certitude. Pour y voir plus clair nous avons choisi d’attendre la fin des travaux de sa vitrine web. [18] Une image de chutes d’eau dans un pays aux allures tropicales avec l’inscription « La beauté des ressources naturelles » n’a pas de valeur légale. Un siège social à « Salt Lake City Utah USA » laisserait le facteur perplexe. Sans doute Joseph Diamany – le « D » de « DBP Petroleum » – comblera-t-il ces lacunes en temps utile.

Ne vous laissez pas égarer par le lien, au sens informatique, entre DBP Petroleum et « Galax Zone », créée en mars 2007. [19] Pur hasard qu’un clic sur le « Salt Lake City Utah USA » de Galax Zone vous branche sur le site de DBP. Ou que les chutes qu’on vient de voir sur DBP soient toujours aussi éblouissantes sur Galax Zone. Deux sites, un hébergeur : « StudioChristian ». Voir également « jesusandyou.org », « ultimatrompeta.com » et le terrifiant « u2canwin.org ».

Qu’est-ce qu’une puissante multinationale comme DBP aurait à voir avec de petits vendeurs en ligne, style vide-grenier, comme Galax Zone ?

« porte-crayons en bois fabriqué au Nicaragua $14.98
pot en bois fabriqué au Nicaragua $11.78
cuillère de l’amitié “John F. Kennedy” $12.98
sac à main pour femme fabriqué en Chine $25.98 »

Il est peut-être temps de nous tourner vers la grandeur qu’est Pioneer International Development.

Un ministre moins attentif qu’Henri Djombo se perdrait à coup sûr dans le dédale d’activités dont elle s’affirme spécialiste : au coude à coude avec les « hydrocarbures » pointe la « gestion de déchets » (« Notre approche intégrée […] favorise un environnement plus propre, plus sain pour tous »), et les « eaux usées » (« […] la mise en œuvre de presque une centaine d’unités de traitement » industrielles et domestiques). Ensuite : les « médicaments », la « téléphonie prépayée électronique », le « bâtiment », l’« activité minière » – ou plus exactement l’activité de « facilitation de concessions minérales ». [20] Last but not least : les « ressources en consulting » et « autres services » (l’« approvisionnement des besoins en infrastructures  », l’« industrie d’hospitalité et d’écotourisme »). La question qui se pose donc est moins de savoir ce que fait Pioneer que ce que diable elle ne fait pas…

Et surtout avec qui. A part le siège de Salt Lake City, la société disposerait de bureaux dans les deux Congo, au Kenya, au Soudan et aux Emirats arabes unis – une fois la page d’accueil franchie, on laisse sagement tomber la boutade : « dans tous les centres majeurs d’Afrique du Sud ». A Brazza, aucune adresse physique à proposer, seule une boîte postale identique à celle du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation technique. A vrai dire, de l’innovation chez Pioneer, il y en a à la pelle.

Voyez la page « associés ». « PID a association très proche [sic] avec des sociétés multinationales importantes, dans le but de complimenter [sic] les programmes de chacun […] ». Le PDG Kasue nous présente une quinzaine de ses amis. Manifestement ils ne sont pas tous de « sociétés multinationales », encore moins « importants ». En fait, moins ils sont importants, plus leur affection pour Pioneer nous parait profonde. Mettons « Avanta Care » et son synonyme « Pioneer Health Inc », affichées sans complexe, dans la catégorie des âmes-sœurs. « Innovative Beauty Lines » aussi. Un des cinq salons de beauté vendant les produits de cette chaîne de Salt Lake City se trouve au 5663 South Redwood Rd. Avanta/Pioneer, on se le rappelle, se situe au 5665.

Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de juger ni de l’ampleur ni de la nature des rapports de Pioneer avec des « associés » comme « Al Minwal » – de son vrai nom Al Minwal General Trading Company LLC. Celle-ci appartient à ce genre de personnes morales émiraties qui ne se repère qu’avec difficulté. Pioneer loue ses talents dans le [« pétrole et le gaz », la « gestion en hôtellerie », et les « télécommunications », en passant par le « bâtiment » et l’éternel « immobilier ».

Nettement moins invisible qu’Al Minwal est le groupe Al Amry, des mêmes Emirats. Encore des touche-à-tout. Au Yémen on les trouve dans le ciment, le bâtiment, l’hôtellerie et la pêche ; en Tanzanie, au Kenya et en Arabie saoudite dans les pièces détachées automobiles et le fret ; en Indonésie ils fabriquent des meubles en bois pour l’export ; à Dubaï on gère des restos chinois et on usine des lames géantes. Si la Mont Blanc Diamond Tool Factory semble avoir connu le bonheur de capitaux français, « l’activité minière dans l’intérieur de la République démocratique du Congo » que mène Al Amry, comme ses « mines d’or et de diamants » en Tanzanie, seraient des initiatives à 100% émiratie. Du moins, Pioneer n’y serait pour rien. Nos anciens missionnaires de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ne jurent que par la filiale « Safarco Medical Supplies » : ils ont « établi un bureau en RDC (Safarco) » et ont « commencé importation de médicaments ». Encore faut-il réconcilier cette télégraphie avec les dires de l’ANAPI, l’agence congolaise chargée du racolage d’investisseurs étrangers :

« Le Directeur Général de l’ANAPI, le professeur Mathias BUABUA wa KAYEMBE a reçu ce lundi 13 mars 2006, une délégation de l’entreprise américaine “PIONEER INTERNATIONAL DEVELOPMENT, LLC”. Les hommes d’affaires américains sont intéressés par quelques projets dans les domaines de l’eau, des mines, du bois et de l’agriculture. Ils ont exprimé la préoccupation de s’informer sur les réserves disponibles […]. Le DG les a rassuré du soutien de l’ANAPI pour la réalisation de leurs projets. »

A supposer que le « président délégué général » de Pioneer ait fait partie de cette délégation, le rendez-vous a dû confiner à une réunion de corps enseignant. Face au bon professeur Buabua wa Kayembe, Rigobert Butandu, jeune enseignant de la Sacramento State University. [21] Missionnaire mormon en Afrique du Sud dans les années 90, Butandu est l’auteur de La guerre oubliée : L’invasion criminelle de la RD Congo : La conspiration internationale dévoilée, 572 pages, ainsi que de L’illégalité des coups militaires et l’imbroglio US en Afrique, 612 pages. Des monographies publiées chez PublishAmerica (2004) et Authorhouse (2005), maisons que le monde savant a trop longtemps boudées.

En ce même printemps 2006 où on étudie eau, mines, bois et agriculture avec le professeur Buabua, on parle pétrole avec le vice-président congolais Abdoulaye Yerodia Ndombasi. Butandu pense que deux permis encore libres seraient parfaits pour la junior américaine Pioneer Natural Resources. [22] Tant de pétrole, si peu d’imagination ! Toute ressemblance entre Pioneer Natural et Pioneer International ne saurait être que fortuite.

*

Mine eyes have seen the glory
Of the coming of the Lord ;
He is trampling out the vintage
Where the grapes of wrath are stored ;
He hath loosed the fateful lightning
Of His terrible swift sword ;
His truth is marching on.

Battle Hymn of the Republic

Pioneer International Development s’attribue des liens, sans spécifier lesquels, avec pas moins de quatre sociétés minières ou pétrolières australiennes. Nous sommes heureux de pouvoir spécifier ceux avec la meilleure d’entre elles, Oil Search Ltd. [23]

Cette société est connue pour son développement durable en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où elle est présente depuis 1929. [24] A l’heure actuelle, elle exploite la totalité des champs pétroliers et gaziers actifs de ce pays, dont elle a l’honneur de représenter à elle seule 23% des revenus à l’export. Son rêve d’un gazoduc entre les côtes papoues et australiennes est aujourd’hui au placard, malgré la participation de partenaires aussi célèbres qu’Exxon. Une économie : le tuyau allait coûter 8 milliards de dollars.

Occupée à d’autres choses donc, Oil Search ne fait pas grand cas du protocole d’accord pétrolier qu’elle aurait signé avec les maîtres de Brazzaville le 17 mars 2006, celui que Pioneer hisse en page d’accueil, sans allusion aux Australiens. A peine une phrase là-dessus, noyée dans une présentation power point. [25] Rien, sauf erreur, dans ses rapports trimestriels – ni sur le Congo, encore moins sur un quelconque coup de main de Pioneer, par exemple auprès des Cobras.

D’une biodiversité hypersensible, la Cuvette centrale des deux Congo est d’une superficie pouvant facilement s’accommoder de deux protocoles d’accord. Pourquoi Oil Search s’arrêterait-elle en si bon chemin ? Un permis « d’accès aux données géophysiques » lui octroyé par le régime Kabila serait le signe de ses ambitions. [26]

Presque muette sur les Congo, Oil Search est éloquente sur ses propriétés en Libye, au Yémen, en Egypte. [27] Et en Irak. En août 2006 elle rachète 20% de A & T Petroleum Company Ltd., opérateur turc du champ kurde de Bina Bawi. [28] Mais, ô surprise, des compagnies américaines sont en joint venture avec A & T : Prime Natural Resources Inc. – « une société fermée et discrète » [29], Calibre Energy Ltd., de Washington DC, et Hillwood Energy, propriété du seul fils de Ross « The Boss » Perot, deux fois candidat indépendant malheureux à la Maison Blanche.

Depuis septembre 2006 on commence à extraire les premiers des 500 millions de barils espérés. Ca se passe « sous l’œil vigilant de la Kurdish Oil Protection Force », pour citer le magazine gauchiste Forbes. [30] Les coéquipiers d’Oil Search risquent d’être les premiers Américains à trouver un nouveau gisement dans l’Irak post-« Choc et effroi ». Inchallah.

Pour être juste, ce développement ne semble pas avoir plu à 100% à Washington. C’est que le partage Sunnite-Chiite des richesses pétrolières est « au coeur de la guerre civile qui fait rage en Irak », c’est toujours Forbes qui le dit. Avant que ces bisbilles soient résolues, « l’oncle Sam ne veut pas qu’une société pétrolière, américaine ou autre, passe des marchés avec une des factions ». Contacté par le département d’Etat américain à ce sujet l’automne dernier, le PDG de Calibre Energy a répliqué « Il aurait été préférable de m’appeler avant que nous n’ayons fait l’investissement ».

Parions que la gêne du département d’Etat ne sera que passagère.

A propos de l’Irak, « l’associé » de Pioneer le plus au courant serait une certaine « Trybe Security Solutions ». Son site superbement illustré vaut le détour [31] :

« Trybe Security Solutions fournit des effectifs de sécurité armés ou non armés, des gardes du corps et de la police privée. TSS se spécialise dans les détachements pour convois et pour la sécurité rapprochée, et dans la sécurité statique ».

Il faut savoir que

« Des changements sociaux et politiques déchirants ont créé des problèmes de sécurité ainsi que des ambiguïtés légales, politiques et réglementaires. […] Trybe Security Solutions a été créée pour résoudre ce problème. »

Quand le PDG Nathan McKenzie trouve ces Solutions en 2005, il n’a que 28 ans. Mais déjà :

« TSS réunit une connaissance profonde des conditions locales et un parc de véhicules banalisés / discrets qui ne donnent aucun signe que des forces de la coalition sont à bord. […] TSS a tissé des rapports à l’intérieur de certaines zones d’Irak qui lui permettent d’avoir le meilleur renseignement [“Intel”] en temps réel sur les conditions de l’environnement actuel ».

Ces agents proviennent de filières « diverses » : entendez non seulement « US Army Airborne Rangers et Green Berets, US Marine Corps » mais également « Spetznatz Fighters », fameux fumigateurs du théâtre de Moscou et héros de Grozny.

Plusieurs postes sont actuellement à pourvoir. Chose curieuse, bien que, grâce aux robots de la traduction en ligne, le site de TSS existe en version française, le travail qu’elle offre est ouvert uniquement aux citoyens américains. Ainsi qu’aux Spetznaz naturalisés. Sinon, les qualifications requises ne sont pas des plus exigeantes. Pour devenir protective security specialist, une année d’expérience suffira. Seront préférés des vétérans du « U.S. Department of State Diplomatic Security Service », du « U.S. Secret Service », des « U.S. Federal Agencies, e.g., FBI », ou encore des « U.S. Special Forces, Special Operations ».

Mais on n’est pas snob. Seront également examinées les candidatures de simples bidasses (« U.S. Military Infantry (Army or USMC) »). Allez ! Vous n’êtes que pauvre bougre du privé ? Ancien flic ? (« Commercial executive protection services with military or police background ») Appelez-nous !

Il est à voir si la sélection pour « assistant médical » ou « technicien urgentiste » est plus sévère que chez Nursing Corridor.

Mais justement. Quel peut bien être le rapport, commercial ou autre, entre Trybe et la nébuleuse Pioneer ? Y a-t-il une allusion voilée à nos développeurs dévots dans la rubrique « opérations logistiques » ? Celles-ci seraient assurées par

« une équipe complète de professionnels des secteurs divers comme l’immobilier, la médecine, l’ingénierie, le légal [sic] et autres ».

En effet, quand Trybe se félicite pour sa « coopération profonde avec les ambitions des populations locales » ou son « approche respectueuse », on se croirait en plein Pioneer.

La ressemblance pourrait être plus qu’apparente. Car, de même que Pioneer ne nous impressionne pas beaucoup – on l’aura compris –, de même les gros bras de Trybe ne nous font pas très peur.

Ce n’est pas tant l’adresse du siège qui déçoit. Certes, on aurait souhaité un bunker en béton renforcé sis sur le Potomac, plutôt qu’une maison familiale dans une paisible banlieue de Denver. Et en toute rigueur la description exacte des locaux ne devrait pas être exposée sur internet. La maison de McKenzie – correction : le QG de Trybe – a été récemment mise en vente. L’agence balançait :

« climatisation, ventilateur combles, alarme anti-vol, câble disponible, ventilateur plafond, véranda, sèche-linge, lave-vaisselle, espace repas en cuisine […] ouverture automatique du garage, […] arroseurs, vue sur montagnes, machine à laver, […] dressing, moquette ».

Non, c’est plutôt le manque total de discrétion sur sa propre personne qui nous incline à voir en l’enfant terrible McKenzie un entrepreneur artisanal. Aucune barbouze digne de ce nom ne laisserait traîner sur le net autant d’infos perso que le fait Nathan McKenzie. Pas besoin d’être un no life de la DGSE pour craquer les pseudos dont il se drape sur des forums divers. Tout y passe. McKenzie sur le basket, McKenzie sur le foot américain, McKenzie sur la Corée du Nord, McKenzie, forcément, sur les filles.

Dans son profil chez Yahoo ! Messenger, une image de « Nate » en galante compagnie. Profession : « killa ». Belle franchise, mais on est aux antipodes de « l’approche profil bas », « look local », censés rendre Trybe invisible à l’ennemi.

De temps en temps ce jeunot, actuellement au Koweït, donne aussi des conseils en affaires. Sur Yahoo ! Answers un débutant un peu perdu déclare :

« Je viens de créer une LLC [limited liability company]. […] On m’a dit qu’une LLC me protégera et qu’un particulier et ses avocats ne pourraient poursuivre que la boîte, pas moi, mais si c’est bien mon affaire et c’est moi qui brasse l’argent comment protéger le fric ? Pourrais-je simplement mettre le fric dans mon compte perso […] au lieu du compte de la société ? Merci. »

Réponse du PDG de Trybe :

« Tant que vous ne commettez pas une fraude vous pouvez faire ça et vous en tirer [“and get away with it”]. Si vous commettez une fraude, vous violez la protection [que fournit] la société et tous ses actifs, même vos actifs personnels sont une proie facile ».

Mais quelle idée saugrenue que de vouloir commettre une fraude ! Si jamais l’idée traversait l’esprit d’un investisseur en forêt congolaise, impossible qu’il fasse main basse sur la biodiversité du pays. La due diligence à la Djombo le déclarerait rapidement hors jeu.

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