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Les tradi-thérapeutes congolaises & le VIH/SIDA

Madame Onongo Bikani Antoinette, présidente de l’Association des Femmes Tradi-thérapeutes Congolaises (AFTC), joue les "mère Teresa", en aval par la prise en charge des malades du VIH / SIDA. C’est dans le site de distribution des vivres aux personnes infectées, dans l’aire des Grands Endémies de Pointe-Noire, qu’elle parle des projets multidirectionnelles de l’AFTC pour l’amélioration des conditions de vie de cette catégorie des malades. En amont, le Président de la République Denis Sassous Nguesso a annoncé récemment la gratuité des anti rétro viraux imprimant une option radicale dans la lutte contre le VIH / SIDA en République du Congo.

Daniel Lobé Diboto : Madame Onongo Bikani Antoinette, vous êtes Présidente de l’Association des Femmes Tradi-thérapeutes Congolaises (AFTC). Vous venez de faire l’évaluation du projet" Programme de Lutte contre le SIDA et la Santé", peut-on en savoir plus de votre Association ?

Onongo Bikani Antoinette : En ma qualité de présidente des femmes tradi-thérapeutes du Congo, je puis vous dire que nous avons plusieurs activités, notamment :
 La distribution des vivres PAM ;
 La prévention du SIDA au niveau des tradi-thérapeutes ;
 La sensibilisation sur les méthodes de préparation et de conservation des plantes médicinales ;
 L’imprégnation et distribution des moustiquaires aux personnes résidant dans les zones à risques.

DLD : Commençons par la distribution des produits PAM ; comment travaillez-vous et avec qui ?

OBA : Concernant la distribution des produits PAM, nous avons été retenues par le Programme Alimentaire Mondiale comme ONG compétente pour la distribution des vivres. Donc depuis 2001 nous avons signé un protocole d’accord avec le PAM et à la base de ce protocole nous distribuons les vivres aux personnes vivants avec le VIH / SIDA.
Aujourd’hui, nous prenons en charge un effectif de 1060 personnes infectées par le VIH. Maintenant que le projet a été élargi, nous prenons également en compte les tuberculeux estimés à 660 individus. Pour cela nous travaillons en collaboration avec les médecins qui font l’identification des malades qui nous transmettent des listes à base desquelles la distribution est faites.

DLD : Peut-on savoir ce que le PAM vous donne et quel est le volume annuel ?

OBA : Le Programme Alimentaire Mondial nous donne de l’huile, du sucre, des lentilles, et du sel. Chaque mois le PAM prévoit une ration familiale de 52,5 kg par personne. Lorsque nous avons un bénéficiaire, nous demandons le nombre de personnes qui consomme sa dotation, nous demandons aussi la situation matrimoniale, donc nous savons dans quel quartier la séroprévalence est très élevée. Mensuellement nous avons presque 150 tonnes qui rentrent dans nos entrepôts, donc trimestriellement nous avons a peu près 300 tonnes pour la distribution des vivres.

DLD : Madame, prenant en compte tous les malades, arrivez-vous à les satisfaire ?

OBA : Généralement les malades sont très satisfait mais ces derniers temps, nous constatons une pénurie de certains stocks. Ecoutez la plus belle femme ne donne que ce qu’elle a. Cela veut dire qu’il y a diminution des vivres, ce qui explique que maintenant nous n’avons reçu que deux commodités dont du riz et des lentilles. A l’heure où je vous parle, nous n’avons plus d’huile ni de sucre.

DLD : En ce moment de détresse avez-vous un SOS ?

OBA : L’appel que je peux lancer est multiforme elle s’adresse au niveau national et international. Nous avons besoin des donateurs qui peuvent apporter tout ce qu’ils peuvent aux malades vivants avec le VIH. C’est à féliciter quand le Président de la République annonce la gratuité des ARV cependant il faut savoir que quand le malade prend ses produits il doit manger pour éviter les effets indésirables. Nous sollicitons l’aide des donateurs pour qu’ensemble nous contribuions à la prise en charge des malades. Ce n’est pas un secret aujourd’hui surtout en Afrique, lorsqu’une personne est atteinte elle est souvent marginalisée par sa famille, et nous enregistrons malheureusement beaucoup de décès pour ces raisons. Il est donc capital que sa prise en charge soit régulière.

DLD : Madame, que faites-vous concrètement pour la prévention des malades ?

OBA : Au niveau de notre ONG, le Programme de Lutte contre le SIDA et la Santé, nous avons pour objectif de réduire la vulnérabilité des tradi-thérapeutes. Pour ce faire, nous avons commencé à faire des campagnes de sensibilisation en mettant l’accent sur les connaissances de base sur le SIDA. Nous avons pu constater que l’information du malade sur sa séropositivité était encore un tabou. L’on mettait en avant la sorcellerie, et parfois c’est des crimes par vengeance que l’on enregistrait. Face à cette dérive nous avons expliqué aux tradi-thérapeutes que le SIDA existe en leur montrant les signes cliniques et l’importance d’inciter les patients à faire le dépistage volontaire. Pour la prévention proprement dite, nous avons insisté sur le changement de comportement par l’utilisation des préservatifs.
Dans cette campagne, la fourchette que le Programme de lutte contre le SIDA et la Santé nous avait demandée était à 1000 tradi-thérapeutes mais nous avons atteint 2539 tradi-thérapeutes. Cela veut dire que l’activité a intéressé plus de monde. Je dois dire aussi que lors de nos conférences débats on enregistraient environ 6000 auditeurs.
Par ailleurs nous devons élargir nos activités de sensibilisation dans l’arrondissement III Tié-Tié et l’arrondissement II pour couvrir tous les tradi-thérapeutes qui sont à Pointe-Noire.
Aujourd’hui les tradi-thérapeutes font passer moins de communiqués qu’ils soignent le SIDA. Il fut un temps où n’importe qui passait à la télévision et/ou la radio pour déclarer que j’ai guéri le SIDA pourtant ce n’était qu’une diarrhée, idem pour ceux qui arrivaient à guérir des dermatoses. Maintenant ils font la différence entre le virus et les maladies opportunistes.

DLD : Madame Antoinette Onongo Bikani, les tradi-thérapeutes ont fait beaucoup de fausses déclarations, aujourd’hui avez-vous quand même trouvé quelque " ARV made in tradi-thérapeutes" pour soulager les malades ?

OBA : Oui, moi-même je suis tradi-thérapeute, je connais des plantes qui arrêtent et qui soulagent des malades. Si la personne fait la diarrhée nous pouvons l’arrêter, mais ce n’est pas une raison pour revendiquer que j’ai soigné le SIDA ! L’idéal serait de travailler avec les biologistes et de fédérer nos connaissances, car nous trouvons dans la place ceux qui soignent la diarrhée et d’autres qui peuvent soigner les dermatoses c’est donc avec le binôme médecin-tradi-thérapeute que nous pouvons trouver quelque chose de plus efficace.

DLD : Vous participez à plusieurs conférences et séminaires avec l’OMS quels sont les enseignements que les tradi-thérapeutes tirent de ces rencontres ?

OBA : Nous en faisons aussi avec le ministère de la santé de la population. En ce qui concerne l’OMS il est question de la conservation des plantes médicinales et l’Organisation Africaine pour la Propriété Intellectuelle (OAPI) nous a parlé de la protection de nos recherches. Si aujourd’hui les tradi-thérapeutes ne veulent pas donner leurs connaissance c’est parce qu’il y a des irrégularités en dessous. Moi je connais ma plante, cependant si je la donne à un médecin, ce dernier ne dit pas la source de la guérison c’est son nom qui est mis en avant, là c’est un motif de frustration, c’est la même chose avec les pharmaciens. Donc l’OAPI nous a instruit de protéger nos recherches avant de vulgariser quoique ce soit. Vous connaissez la vulnérabilité des tradi-thérapeutes nous n’avons pas assez d’argent pour protéger nos recherches cela se chiffre à des centaines de millier de francs CFA.
Nous ne voulons pas que les autres profitent de nous, car une invention reste telle même si la personne qui en a eu le géni est un analphabète reconnaissons quand même la paternité à l’inventeur. La recherche est difficile, lorsque vous trouvez une plante que vous ne maîtrisez vous prenez trop de risque, dans le sens contraire, vous devez profitez de ses résultats. Je n’ai jamais entendu qu’un tradi-thérapeute ait intoxiqué un malade par ses plantes. Ce qu’il faut relever si un tradi-thérapeute fait une erreur c’est tout le monde qui en parle, mais si c’est un médecin qui commet une erreur on en parle jamais parce que c’est un secret médical, ils oublient que tous nous sommes dans le même code déontologique de la République du Congo : médecins et tradi-thérapeutes.
Je me pose des questions, si certains ne nous considèrent pas, l’OMS et le Ministère de la Santé et de la Population nous réservent une place importante dans la chaîne médicinale, voilà notre succès.

DLD : Madame Onongo Antoinette, avez-vous la maîtrise des plantes médicinales ?

OBA : Oui, nous en avons la maîtrise autrement dit on ne prendrait pas telle ou telle autre racine pour soigner les malades. Il y a un problème que je veux signaler, au niveau de l’ONG nous assurons l’encadrement des tradi-thérapeutes sur la préparation et la conservation des plantes. Ceci dit nous avons évalué nos faiblesses lors d’un séminaire sur « la préparation et la conservation des plantes médicinales » afin de mieux faire, les résultats étaient positifs. Cette année nous nous sommes dits qu’il faut faire un recensement de tous les centres thérapeutiques, cela veut dire que nous allons identifier les centres thérapeutiques qui donnent des plantes, qui font des scarifications, qui gardent des malades mentaux, qui font de la gynécologie, pour les sensibiliser sur les risques de contamination du VIH. L’objectif est de former davantage les tradi-thérapeutes car s’ils ne sont pas suivis il est difficile de connaître leur champ d’action. Donc dans un proche avenir nous allons lancer cette activité à Pointe-Noire. Tous les centres qui utilisent l’eau sont concernés. Pourquoi ceux là, allez-vous me poser la question, nous sommes au centre d’hygiène et nous constatons une recrudescence de la tuberculose et cette maladie peut être transmise à un malade par un tradi-thérapeute, cela n’est pas exclu alors il faut savoir comment se protéger et comment s’y prendre quand un patient vient à la consultation. Cette année nous allons établir un programme pour être plus efficace en élaguant nos faiblesses.

DLD : Dites nous concrètement quelles sont vos faiblesses ?

OBA : Justement c’est le conditionnement des plantes. Aujourd’hui l’OMS et le Ministère de la Santé et de la Population nous demande de bien emballer nos produits. Quand nous étions au salon des inventions en mai 2006, à Brazzaville il y avait une exposition de plantes médicinales. Nous avons été sensibilisées sur les emballages appropriés à des plantes médicinales. Maintenant il faut aller sur le terrain pour harmoniser et vulgariser ces enseignements.

DLD : Le paludisme tue plus que le SIDA, c’est constat de l’OMS que faites vous pour lutter contre ce fléau ?

OBA : Notre ONG a été identifiée pour la lutte contre la paludisme, pour cela nous avons formé cinq personnes à l’imprégnation des moustiquaires et donc nous avons un Centre d’Imprégnation des Moustiquaires (CIM), dans notre centre. Nous voulons élargir cette activité mais nous avons un problème d’insecticide. Les quelque litres que l’OMS nous a donnés par le canal du ministère de la santé sont finis. La Direction Départementale de la Santé nous en a aussi procuré quelque litres mais nous sommes en rupture de stock, alors que nous avons des personnes qui viennent pour l’imprégnation de moustiquaires afin de se protéger contre le paludisme.

DLD : Peut-on savoir la nature de l’insecticide ?

OBA : Il s’agit de permitrine 10% et de cahotrine.

DLD : Donc vous lancé un SOS aux donateurs nationaux et internationaux pour participer à la lutte contre le paludisme au Congo.

OBA ; Effectivement déjà nous pouvons avoir des dons de moustiquaires c’est un pas dans la lutte contre cette pandémie en plus nous attendons impatiemment des insecticides d’où qu’ils viennent, ou alors des moustiquaires imprégnés ce sera une bonne chose pour l’Association des Femmes Tradi-thérapeutes du Congo. Cela est non seulement un élan de l’instinct maternel mais aussi un devoir humanitaire.

DLD : Madame Onongo Antoinette, que faites vous exactement pendant vos journées africaines de la médecine traditionnelle ?

OBA : En prélude de ces journées nous organisons des activités liées à la profession, et le gouvernement aide à organiser les conférences, les focus, même des représentations théâtrales sur le thème de la journée.

DLD : Pour finir notre entretien madame, votre Association force l’admiration, avez-vous autre chose à dire à propos de votre Association ?

OBA : A propos de cette Association, nous voulons atteindre le niveau des autres pays qui sont avancés dans la médecine traditionnelle. Donc une coopération avec la Chine ne serait pas une mauvaise chose. L’expérience des peut booster ce secteur précurseur de la médecine moderne. La deuxième préoccupation est que les donateurs nous aident à soutenir les personnes vulnérables. Aujourd’hui seul le PAM, qui est parfois débordé, nous vient en aide. Je dois aussi signaler que les dons sont bien suivis dans leurs circuits. La preuve nous venons de faire l’inventaire de retour en stock pour ceux qui ne se sont pas présentés. Troisième préoccupation, je voudrais lancer un appel pour qu’on s’intéresse aux activités que les tradi-thérapeutes, pour la recherche des solutions pour les malades et les personnes vulnérables et surtout pour la présentation des plantes médicinales. Nous n’avons pas des machines comme pour conditionner les comprimés. Nous avons la connaissance mais il nous manque de meilleures conditions de travail. Voyez-vous dans les centres thérapeutiques nous voyons des patients assis à même le sol ce n’est pas normal. Si les hommes de bonne foi, ils peuvent nous procurer les lits qu’ils n’utilisent plus, cela peut aider pour que le malade dorme au moins sur un lit dans des centres où ils sont en traitement.

Contact :
AFTC @ yahoo.fr
Tel : 559 07 23 ou 655 27 59

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