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Scènes de vie parisienne : séjour dans l’enfer consulaire

Ma visite au Consulat de la rue Paul Valéry remonte aux 7 et 8 décembre 2009. Je ne sais pas s’il faut appeler "voyage au bout de la nuit" ou "une saison en enfer" cette scène de la vie parisienne où Balzac le dispute à Kafka.

Dans le champ clos de la salle réservée au public, c’est une banalité de dire que le consulat du Congo à Paris est à l’image du pays dont il est la représentation diplomatique et, disons-le, acrobatique. On y retrouve les mêmes tares administratives et les mêmes caricatures des employés qui vous renvoient à la figure la complexité psychologique de ceux qui gèrent le pays. Qui a vu le système d’accueil du public au Consulat du Congo en France, a vu le Congo, in situ, dans son fonctionnement diaboliquement cruel. C’est à vous dégoûter les plus optimistes des observateurs. Du reste ça se voit sur la mine des étrangers blancs qui viennent demander un visa d’entrée au Congo car, en dépit de la répulsion qu’exerce le Congo de Sassou chez ceux qui subissent sa politique, beaucoup de candidats étrangers frappent à notre porte d’entrée pour s’y rendre. Non seulement l’accueil consulaire est déplorable mais en plus le fameux sésame, le visa, est chèrement monnayé à ces « étranges » étrangers qui, pour reprendre André Gide, veulent faire un « voyage au Congo ». Je fais bien de citer Gide, car le Congo décrit par l’auteur des « Caves du Vatican » et des « Faux monnayeurs » (le Congo en compte beaucoup) n’a pas changé ; je dirai même que sa structure socioéconomique a empiré depuis l’époque des travaux forcés liés à la construction du CFCO. Il faut croire que pour les candidats au voyage au Congo la douleur de se faire humilier est inférieure à la nécessité de s’y rendre tout de même (eh oui, le pétrole vous ferait partir avec plaisir jusqu’en enfer) car il faut être masochiste pour supporter les humiliations générées par le mode de travail des deux agents (un homme et une femme) occupés à gérer cinq guichets à eux seuls (première aberration) sans que ces cinq guichets ne correspondent à la fonction qui leur est respectivement assignée (deuxième aberration).

Quel auteur solliciter pour comprendre les absurdités observées dans la salle réservée à l’accueil du public ? Michel Crozier du « Phénomène bureaucratique » ou Kafka, le grand maître tchèque de la caricature des employés des bureaux, ces employés qui s’emploient à vous écraser alors qu’ils n’ont aucune force de le faire si ce n’est celle d’être derrière un guichet, sous la protection symbolique d’une vitre ? « Elle n’est même pas blindée » s’exclame furibond un usager animé de projet de casseur et, venu récupérer un passeport. Le consulat ouvre le matin jusqu’à midi. Il rouvre ses portes entre 15 h et 17h. « Il est plus de 15 h, le préposé au passeport est encore en pause » souligne un autre usager. Voilà une autre aberration. Et ce n’est pas la moindre. Je crois que Micher Crozier et Kafka ont bien saisi et cerné le phénomène des bureaux et la folie de grandeur qu’il procure aux ronds-de-cuir.

Je suis donc passé au Consulat à deux reprises. Une première fois pour formuler et déposer une demande, une deuxième fois pour retirer ce que j’avais formulé et demandé la veille car il faut deux journées (48 h, ironise un autre usager) pour mettre un tampon, imprimer un cachet, écrire et dater un document. Mon professeur Jean-William Lapierre avait décelé l’amour de l’administration en général (à la décharge des agents congolais) à l’endroit des signes graphiques d’imprimerie : « elles adorent les cachets ». Vous remarquerez en effet qu’un document qui porte un tampon passe comme une lettre à la poste, même faux, ce document prend de la valeur s’il est chargé de cachets et de tampons. Plus un document porte de cachets, plus il a de la valeur. L’administration congolaise adore les cachets et l’argent.

Chaque document délivré au consulat coûte des sous à l’usager. Le moindre service est payant. Les prix varient de 16 à 200 euros. Une attestation de dépôt coûte 16 euros. La griffe apposée sur un passeport pour sa prorogation coûte 16 euros. Le laissez-passer vaut 30 euros. « Au téléphone, ils m’avaient dit 16 euros, au guichet c’est passé à 30 euros » se plaint une jeune dame venue demander ce document. « Comme mon passeport a été prorogé deux fois, mon fils et moi avons besoin de deux laissez-passer ». Cette congolaise s’est acquittée de 60 euros contre un reçu et deux laissez-passer. Ce mardi 8 décembre, une cinquantaine d’usagers fait la queue dans la salle d’attente. Où va tout cet argent encaissé au consulat ? « Dans les poches du personnel » soupçonne un quidam dans la salle qui n’a pas tort. Personne n’oserait douter qu’il existe une mafia au sein de l’Ambassade, un système mafieux dont les guichets du consulat servent de lieu de racket. Ils ont beau délivrer des reçus, c’est même la meilleure preuve de leur tricherie, car ce n’est pas Irvin Goffman qui dirait le contraire : les symboles de la légalité (souches, reçus, tampons, cachets etc.) sont les meilleurs moyens de camoufler triche et magouille, indices patents de la mafia et des abus sociaux. Ici comme ailleurs, les apparences sont trompeuses. Or, ai-je remarqué, au Consulat du Congo, autant ils sont pauvres en capital accueil, autant ils sont généreux en distributions de reçus.

Soudain, un usager en colère hausse le ton : « vous me devez quatre euros de la veille, vous me dites d’aller faire la queue à l’autre guichet pour les récupérer. Vous manquez de logique. Pourquoi ne dites-vous pas à votre collègue de les restituer par votre intermédiaire ? » - « Je ne vous les donnerai pas à ce guichet. Allez-voir là-bas » insiste l’agent qu’on appelle Pamphile (neveu, dit-on de Sassou). Ecœurée, la foule est solidaire de l’usager en colère. « Quoi, pour quatre euros, il faut refaire la queue ? » Or les queues sont longues dans cette petite salle d’accueil du Consulat du Congo à Paris.

Qu’est-ce que ça doit être quand la clique des délivreurs de passeports biométriques débarque de Brazzaville ! De mémoire de parisiens, en général, c’est la cohue générale. On assiste à des scènes dignes de la horde primitive où les délégués du ministère de la police congolaise s’arrogent des pouvoirs bestiaux, jouant au chat et à la souris avec la clientèle des demandeurs des fameux passeports biométriques. La date de leur arrivée est un secret d’état. Ce secret se diffuse de bouche à oreille alors qu’il leur suffit d’afficher le calendrier de leur arrivées dans les lieux ad’ hoc.

Un certain Baba Macaire, responsable de l’imprimante qui aide à fabriquer le passeport bio vient de tremper dans une magouille monstre. Sassou, bon Prince, aurait (au lieu de le mettre aux fers) suspendu le mafieux bonhomme accusé d’avoir émigré avec l’appareil au Liban où il a inondé Beyrouth en faux passeports congolais moyennant 5.000 euros la pièce.
Total : on ne verra pas ces délégués plénipotentiaires de si tôt à Paris où pourtant attend un vaste monde qui a son passeport périmé et non prorogeable.

Le sociologue Irvin Goffman dans ses rites d’interaction, analyse le comportement de la foule quand celle-ci met en branle des êtres humains associés et inscrits dans un champ clos. Ainsi est la salle d’attente du consulat de la rue Paul Valérie.

C’est un vrai vase clos où s’instaurent des dynamiques de groupe. Les individus s’approchent mutuellement, timidement, par des phrases neutres lourdes de sens politique. « Que voulez-vous ? C’est le Congo » est la phrase qui sert de moyen de communication entre les acteurs insérés dans le vase clos du consulat. Le lieu commun, le totem autour duquel s’agglutinent et circulent les ressentiments demeurent le nom de Sassou vers lequel se déchargent tensions et émotions contenues durant le long temps de l’attente. Il faut un défouloir, un exutoire pour délivrer l’énergie accumulée à force d’attendre et de regarder travailler deux agents qui, en vérité, font semblant de travailler. « La diplomatie ne s’improvise pas. C’est un métier. Il ne suffit pas de porter cravate et un beau vêtement, ensuite s’installer derrière un bureau pour se dire diplomate. Une formation devrait être requise avant de bosser dans un consulat » dit, acerbe, un usager excédé.

Ce mardi comme hier, il y a l’animateur du jour, chargé de dérider la foule. A chaque jour son animateur du jour. Celui d’aujourd’hui critique les guichets électroniques qui ne fonctionnent pas alors qu’il y a deux distributeurs de tickets. Comme, les tickets ne marchent pas, la pagaille autour des guichets est grande. Irvin Goffman dans les rites d’interaction fait allusion aux ressources des individus pour gagner du temps aux dépens des autres. En effet, un quidam se fait engueuler par tout le monde : il a brûlé la queue. « Je suis là avant vous. Je suis pressé » ment-il puisque, quelqu’un, très vigilant, l’a vu entrer après la personne devant laquelle il voulait passer pour se rapprocher plus tôt que prévu du guichet salvateur.

Un autre rite d’interaction est l’humour. L’animateur maison ose une blague, mais elle est tellement nulle qu’elle ne fait rire personne. L’humour congolais n’est souvent compris que par l’auteur de l’humour quand il est exprimé en français. Ca en dit long sur la compétence linguistique de mes compatriotes dans la langue de Sarkozy. L’humoriste se rattrape quand il mobilise le lari pour mettre le public de son côté. Il s’agit d’un proverbe qui dit « ha ba mamba tchiosi manga pélé » (l’humidité accompagne les points d’eau), allusion sans doute à la médiocrité des agents du Consulat formé à l’école du PCT. En clair où il y a les membres du parti de Sassou, la bêtise n’est pas loin. Je ne sais pas si c’est le dicton ou la rupture linguistique, en tout cas l’animateur réussit à dérider la foule jusque-là crispée par la tension de l’attente.

A propos de la langue, ce n’est un secret pour personne que porter un nom du pouvoir ouvre les portes. En d’autres termes, être locuteur mboshi est un sésame.
Cependant, un usager répondant au nom de Stanislas, placé juste devant moi, me parle de la langue qu’il faut savoir manier quand on veut être reçu convenablement au consulat du Congo : l’obséquiosité et l’écrasement total devant l’absurdité. Quand tu manies à merveille la formule qui flatte, ça leur plaît énormément. Et ils te le font comprendre en étant diligents dans leurs prestations de service. Au cas contraire, c’est-à-dire si tu causes le langage des droits de l’homme, des hommes droits, le langage de la droiture, ton dossier prend le chemin de gauche, la voie détournée où se trouve le panier qui accueille les dossiers indésirables. « Quand tu parleras le langage de la déraison, tu auras gain de cause » me dit Stanislas à qui je souhaite un bon mariage. Entre deux critiques de l’institution consulaire, Stanislas a confié à un ami, derrière moi dans la rangée, qu’il va se marier bientôt. Il est a peu près 16h30 quand je quitte ces locaux qui rendent (disent les espagnols) « loco ».

Je remonte au musée Dapper. « Nous sommes fermés » me dit avec politesse la dame de l’accueil. J’oubliais que les musées n’ouvrent pas les mardis. Dommage, je ne verrai pas l’expo sur les sapeurs congolais.

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