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D’un correspondant extérieur

Un autre avis sur l’affaire du Beach

Nous avons reçu de Paul Soni-Benga (auteur de "Les dessous de la guerre du Congo-Brazzaville". L’Harmattan 1998 et "La guerre inachevée du Congo Brazzaville" L’Harmatan 2001) le texte qui suit. Aussi bien pour les propos du Colonel Touanga que pour l’opinion exprimée par M. Sony-Benga, Congopage n’entend pas exprimer un parti-pris. Nous souhaitons servir l’équilibre de l’information et la manifestation de la vérité.

L’affaire du Beach, de quoi s’agit-il ?

En juin 2003, la Cour Internationale de Justice de la Haye avait rejeté "la demande en indication de mesure conservatoire" relative à l’affaire dite des disparus du Beach dont certaines procédures pénales avaient été engagées en France. Le Congo par cette requête priait la Cour de "…faire ordonner la suspension immédiate de la procédure suivie par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Meaux" Qu’en est-il de cette procédure ?

Il s’agit d’une plainte déposée le 5 décembre 2001, par les associations congolaises de défense des droits de l’homme (l’OCDH et la FIDH) entre les mains du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris : "…pour crimes contre l’humanité et tortures prétendument commis au Congo sur des personnes de nationalités congolaise..." Cette plainte visait le Président congolais Sassou N’guesso, Pierre Oba Ministre de l’intérieur, le général Dabira et le général Blaise Adoua à la suite d’une "information judiciaire" qui a été ouverte contre personne non dénommée ("contre X") et non contre l’une ou l’autre des personnalités congolaises nommément désignée dans la "plainte" (Chapitre 13 de l’ordonnance du 17 juin 2003 de la CIJ).

Les parties plaignantes ont estimées que les tribunaux français étaient compétents pour juger "…les crimes contre l’humanité, en vertu d’un principe du droit international coutumier prévoyant la compétence universelle à l’égard de tels crimes et, pour le crime de torture, au titre des articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale français". Que nous apprennent ces articles ? L’article 689-1 du code de procédure pénale français dispose : "Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles..."

L’article 689-2 renvoie quant à lui à la convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture qui en son article 1er le désigne comme : "Tout acte pour lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne, aux fins notamment d’obtenir d’elle, ou d’une tierce personne, des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle, ou une tierce personne, a commis ou est soupçonné d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle, ou pour tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation". L’arrêt du 20 décembre 1945 relatif aux crimes contre l’humanité les définit comme : "Tous les actes inhumains et les persécutions qui au nom d’un Etat pratiquent une politique d’hégémonie, ont été commis de façon systématique non seulement contre les personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale, que religieuses, mais aussi contre les adversaires de cette politique, qu’elle que soit la forme de leur opposition".

Une fois ce décor planté, quels sont les faits qui sont reprochés aux quatre personnalités susmentionnées et en l’occurrence le général Norbert Dabira ?

Partant de tous ces éléments, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Meaux qui a reçu de son collègue du TGI de Paris le dossier d’instruction, s’est saisi de celui-ci dans un premier temps, pour placer le général Dabira en garde à vue le 23 mai 2002 par les Officiers de Police Judiciaire et ce grâce aux informations livrées par les plaignants selon lesquelles le général Dabira possédait une résidence dans le ressort territorial du tribunal de Meaux et "…que parmi les personnes nommément visées par la plainte, il semblait la seule susceptible de se trouver sur le territoire français, ainsi que le requiert l’article 689-1 du code de procédure pénale". C’est donc dans un "traquenard" juridique que les parties plaignantes ont plongé l’officier congolais dans lequel il ne pouvait y échapper puis que le 8 juillet 2002, il devait déférer devant les deux juges d’instruction en charge du dossier : Madame Bouvier et Monsieur Gerville. Ce jour-là, il se présente à l’audience accompagne de son avocat, Jacques Vergès en qualité de "témoin assisté" qui en droit français, dit à quelque chose près : "suspect" même s’il permet à l’intéressé de bénéficier de l’assistance d’un avocat et d’avoir également accès au dossier. Du côté de la partie civile, en se basant sur la procédure, le coup était joliment joué. La démarche était inattaquable.
Seulement, il y a eu un mauvais casting au niveau de la personne de l’officier général congolais.

En effet, sur quoi s’est portée cette audience du 8 juillet ? Au cours de cette audition, les juges de Meaux ont signifié deux choses à l’officier congolais.
 Premièrement : il était concerné dans cette affaire au titre de l’article 689-1 du code de procédure pénale français parce qu’il est propriétaire d’une résidence dans la banlieue parisienne, qu’il y séjourne régulièrement, qu’il possède une carte de résident et que son véhicule est immatriculée dans le département de l’Essonne, qu’il avait déclaré lors du procès de François Xavier Verschave avoir été un des responsables des Cobras lors de la guerre du 5 juin et surtout parce que les parties civiles et les militants proche du dossier l’avaient localisé et signalé sa présence en France lors du dépôt de la plainte.
 Deuxièmement : En sa qualité d’inspecteur général des armées des FAC, les juges voulaient savoir quelle était sa connaissance de cette affaire. Et s’il avait été informé de ces disparitions.

Sans chercher à dévoiler le secret de l’instruction, voilà les faits. Et ceux-ci appellent de notre part, analyse et réflexion.

Sur la première partie, il s’agit d’une procédure juridique exceptionnelle qui implique le général Dabira et le plonge dans les méandres de cette affaire des disparus là où, aucun témoin ne l’accuse nommément. Ni directement ni indirectement comme celui qui a commis ces crimes. Il en est de même pour les ordres, des intentions y compris des mobiles. Aucun témoignage ne vient corroborer ces accusations. Rien de tout cela ne figure dans le dossier. Par contre, dans ce dossier figure le courrier adressé par le colonel Marcel Touanga, un des parents des victimes au Général Dabira pour l’informer de cette affaire. Cette lettre figure dans le dossier et sa réponse également. Dans cette réponse, l’officier congolais compatit à la douleur de ce père de famille et l’encourage même de porter cette affaire devant les juridictions nationales -aujourd’hui internationales - pour que la vérité sur la disparition de son fils et de certains d’autres, éclate au grand jour. Cette réponse est également entre les mains des juges de Meaux. Comme vous pouvez le constater, c’est une curieuse (manière) que de donner le glaive à vos adversaires pour qu’ils vous achèvent. Raison pour laquelle, lorsqu’on pose la question à Maître Patrick Baudouin, Président de la FIDH et avocat des parties civiles dans cette affaire pour savoir quelles sont les raisons de l’implication de l’officier congolais, la seule raison qu’il avance et qui est la même que celle qui a été donnée par les magistrats de Meaux, c’est parce que ce dernier "réside au Congo mais aussi en France. Il a une résidence à Villeparisis dans l’Essonne où vivent sa femme et ses enfants. Sa voiture est immatriculée à la Préfecture de Meaux et il y est répertorié comme résident dans ce département" avant d’ajouter "…qu’il exerçait déjà au moment des faits la fonction d’inspecteur général des armées" (Lire le Congolais n°2 du 7 oct. au 9 nov. 2002, p.3.). Dans cette deuxième réponse, la qualité d’inspecteur général des armées qui serait d’après les magistrats et les avocats de la partie civile à l’origine de l’implication de l’officier congolais. Ce que le Général Dabira répond aux juges de Meaux que sa mission en tant qu’inspecteur général des Armées consiste à s’occuper uniquement de "l’activité opérationnelle des troupes, du contrôle du règlement militaire" et d’ajouter qu’il ne s’agit nullement "…d’aller s’attaquer aux gens qui commettent des crimes". Là encore, sans vouloir ouvrir la polémique sur le règlement de l’armée et les prérogatives des membres du Haut Commandement des Forces Armées Congolaises et même celui du Ministre de la Défense dans l’orientation et la définition de la politique en matière de défense nationale, il apparaît fort surprenant que l’autorité politique de tutelle de l’armée (Ministre de la défense) et l’autorité militaire au sein des FAC (le Chef d’Etat Major Général) n’ont été ni inquiétés ni cités dans le cadre de la procédure. Le Général Dabira ne commande ni une division, pas plus un bataillon. Il n’est pas non plus à la tête d’une garnison. Il inspecte comme son titre l’indique, le respect des directives et autres orientations fixées par le CEMG en rapport avec l’autorité de tutelle.

Après analyse, sans risque de se tromper, il apparaît à travers cette affaire, une machination visant à passer par une argutie judiciaire en s’appuyant sur les articles 689-1 & 689-2 pour bien masquer une démarche politique visant à déstabiliser le régime en place. Partant de là, on peut tirer la conclusion simple, pour dire que les stratèges proches des associations de défense des droits de l’homme, proches des parents des victimes, ont utilisé cette astuce pour faire du Général Dabira, la victime expiatoire d’une affaire bassement politique, qui vise au premier chef, le Président congolais, Sassou N’guesso. On peut également dire, sans chercher à faire quelques rapprochements avec les accusations dont sont victimes
Jean Dominique Okeùba et Edgard N’guesso, que tous deux neveux du Chef de l’Etat congolais ne répondent pas de cette même stratégie.

Par conséquent, il nous semble utile de relever quelques indications relatives à cette enquête pour mieux lever certaines zones d’ombres y compris les démarches qui ont conduit au déferlement médiatico judiciaire de cette affaire des Disparus.

Combien sont-elles ces personnes disparues ?

 Le 20 novembre 2003, le gouvernement congolais a écrit au HCR pour lui demander de lui communiquer les manifestes signés librement par les réfugiés qui acceptaient le rapatriement. Dans sa réponse, Monsieur
Ruud Ludders, Haut Commissaire aux Réfugiés a répondu au Gouvernement congolais, qu’il ne disposait pas de listes sur le nombre de personnes qui auraient été rapatriées par les soins de son organisation.

 Le colonel Marcel Touanga au cours d’une conférence de presse le 21 novembre 2001 à l’Hôtel Novotel de la Porte de Bagnolet avait fourni une liste de 133 noms de personnes répertoriées comme disparues au débarcadère du Beach. Malheureusement, on peut constater que sur cette liste, d’autres noms étaient simplement doublés et enregistrés deux fois. Si c’est cette liste qui sert entre autres de preuves, ceux qui comme moi ou l’ancien Ministre Ange Edouard Poungui avaient assisté à cette réunion, doivent l’avoir sur eux, qu’ils vérifient scrupuleusement.

 Lors d’une mission d’enquête menée au Congo entre le 25 janvier et le 2 février 2000 par la FIDH, les enquêteurs avaient noté qu’il y avaient une liste de personnes disparues évaluées à près d’une dizaine.

 Le 1er février, les responsables de l’OCDH, en l’occurrence Roger Bouka Owoko et Parfait Moukoko avaient remis en présence des représentants de la FIDH une liste des présumés disparus à Madame Rébécca Oba-Omoali, la directrice de la protection et la promotion de droits humains et des peuples au Ministère de la Justice. Cette dernière détient cette liste. Combien étaient - ils ? Tout le monde sait que ce nombre ne dépasse pas la dizaine de personnes disparues.

 Le 21 mai 1999, le Haut Commissaire au Réfugiés qui le premier avait saisi le gouvernement congolais des cas des disparitions à la suite des réclamations des parents des victimes, avait fait état des cas de disparition signalée le 5 mai 1999. Leur nombre était de 20 ; le 10 mai, il évoquait "l’arrestation de nombreux jeunes" ; le 12 mai, il signalait que 415 réfugiés avaient subi des brutalités dans les sites de Ngangalingolo. Il n’était pas question de 353 disparus.

Sans vouloir faire dans le nihilisme comme l’a écrit un hebdomadaire congolais au sujet de cette affaire, rappelons encore que ce sont les femmes et les épouses des personnes portées disparues qui, les premières avaient dévoilé cette affaire en allant l’exposer chez Madame Rébécca Oba-Omoali, au Ministère de la Justice. Elles avaient été auditionnées sur procès-verbal. C’était près d’une centaine de femmes qui avaient mené cette action. A l’issu de cet entretien, ce sont elles qui iront ameuter d’autres parents dans la cité de se joindre à eux pour faire savoir les cas des disparitions qu’ils avaient dans leur famille. Cette action a été rendu possible tout simplement parce que, ces femmes et ces mères de familles avaient reçu un accueil chaleureux du Ministère de la Justice qui
avait promis de les aider.

D’où vient ce chiffre de 353 disparus ?

S’il y a aujourd’hui des témoins qui parlent et d’autres qui ont quitté le pays, cela supposerait que tous, n’ont pas disparu et que d’autres seraient encore en vie quelque part.

Le Congo est un pays complexe et plein de paradoxes. Déjà, en 1991, lors de la conférence nationale, le prélat qui dirigeait les travaux de cette assemblée avait accusé les régimes successifs d’avoir assassiné près de 3000 personnes. Les dirigeants incriminés n’ont pas manqué de réclamer la liste de ces personnes tuées en vain. Aujourd’hui encore, silence radio sur cette liste. Où est-elle ?

En 1993, le Congo sombrait dans sa première guerre civile. Bilan avancé : 3000 morts. Ce qui est surtout vrai, c’est des nourrissons avaient été pilés dans les mortiers. D’autres diront dans les pilons. Cette réalité, tout le monde la connaît. Ce sont les faits.

En 1997, deuxième guerre civile de l’ère post-démocratique. Le chiffre approximatif des victimes fut de 10000 morts avancé par les statisticiens de guerre congolais. Ce que l’on n’a depuis lors oublier, c’est qu’au parc zoologique de Brazzaville, des congolais avaient livré leur compatriotes vivants dans les cages des lion pour qu’ils leur servent de festin. Ce sont des faits. Ces choses ont existé au Congo.

En 1998, décembre noir dans les quartiers sud de Brazzaville, fuite des populations dans les forêts du Pool. Certaines associations - toujours les mêmes - ont parlé de "…crimes contre l’humanité et d’épuration ethnique". D’autres, un couple franco-congolais a porté plainte contre Sassou et son régime. La plainte est en cours à Paris. Le bilan ? Catastrophique en perte de vies humaines. Au même moment, dans les contrées du Pool, d’autres congolais avaient inventé "la gifle de saint Michel", le fameux Mbentengue", cette machette chauffée à rougir que l’on administrait au ventre ou au dos jusqu’à la mort à ses propres compatriotes. Personne ne s’en souvient certainement. Ces choses ont existé.

En 1999, l’affaire des "Disparus du Beach" éclate cette fois-ci, on avance le chiffre de 353 disparus. Un colonel à la retraite prend la tête de cette croisade et porte cette affaire devant les juridictions internationales. Au nom de la compétence universelle, il poursuit certaines personnes "pour crime de torture et crimes contre l’humanité", peut-être parce qu’il aurait perdu un fils, ancien gendarme qui se serait reconverti dans l’instruction des Ninjas dans le maquis du Pool. Mais ce qui est vrai, c’est qu’il est venu porter cette action devant les juridictions françaises, grâce à la solidarité bienveillante de ces "bourreaux" qui lui ont payé son billet d’avion pour qu’il se rende en France. Celui qui a accompli ce généreux geste s’appelle Gabriel Oba-Apounou, proche parent de Sassou Nguesso, Président du Congo et poursuivi par ce dernier. Ceci est la stricte vérité, authentique et vérifiable. Comme l’a été aussi en son temps celle qui avait permis aux époux Siassia de quitter leur domicile avant de se mettre en sécurité à l’Ambassade de France au Congo, grâce aux éléments de la Force Publique. Ce qui n’a pas empêché ce couple, une fois arrivé en France, de lancer une cabale contre le régime en place.

Mais au delà de la bataille des chiffres et des statistiques, tous les faits qui ont été inventoriés ont existé. Ils sont graves les uns les autres. La disparition d’hommes et de femmes qui n’ont rien à voir avec les querelles d’hommes politiques et qui sont passés de vie à trépas parce qu’ils se sont nés quelque part ou se sont trouvés du mauvais coté, a quelque chose de choquant dans la manière où certains congolais cherchent à instrumentaliser leurs malheurs à des fins politiques.

Au nom de quel droit "de l’homme", de quelle émotion, le drame des "Disparus du Beach" est plus important que ceux des morts de 1997, 1993 et autres ?

Arrêtons, encore une fois de manipuler l’opinion et d’avoir une émotion sélective et une indignation à géométrie variable.

Paul Soni-Benga.
Club "Diagnostic’s & Challenges"

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