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Œuvres immatérielles

Alfoncine Nyélenga Bouya, « Le temps d’une vie doit être le temps de la lutte contre les inégalités » Entretien avec Alfoncine Nyélenga Bouya originaire du Congo-Brazzaville

Photo: Alfoncine Nyélenga Bouya, « Le temps d’une vie doit être le temps de la lutte contre les inégalités »

Alfoncine Nyélenga Bouya, « Le temps d’une vie doit être le temps de la lutte contre les inégalités  »

Entretien avec Alfoncine Nyélenga Bouya originaire du Congo-Brazzaville. ,
vivant en Belgique et belge par naturalisation. Nouvelliste et romancière, elle
est l’auteure, entre autres, de « Makandal dans mon sang », « Le rendez-vous de
Mombin-Crochu
 » et « Un saut à Poto-Poto ».

07 mars 2024 Par JaabuTv

Je suis Alfoncine Nyélenga Bouya, originaire du Congo-Brazzaville, vivant en
Belgique, belge par naturalisation. A la fois nouvelliste et romancière parce que
je suis entrée dans le monde de la littérature par les nouvelles avant d’entamer
le roman. Grand-mère de 4 petits enfants et d’une vingtaine de petits neveux
car, comme vous le savez, en Afrique les enfants de mes frères et sœurs sont
mes enfants et leurs petits enfants sont mes petits-enfants. Mais par
commodité dans cette interview, j’utilise le terme « petits neveux  » alors que
dans la vie quotidienne, je suis leur grand-mère.

Comment s’est faite la transition humanitaire/chercheure à écrivaine ?

Je n’ai pas eu de mal à passer de l’humanitaire à l’écrivaine parce qu’en réalité,
l’écriture a toujours été ma passion. Que ce soit en tant que chercheure au
Centre International de Recherches Africaines et Centre d’Études et de
Recherche sur les Valeurs Africaines, ou encore en tant que consultante pour la
Banque mondiale ou fonctionnaire internationale à l’UNESCO et au Programme
Alimentaire Mondial (PAM) j’ai toujours « tenu le stylo » pour les besoins de
rédaction des rapports de tous genres. Et donc, dès mon départ à la retraite, je
n’ai eu aucun mal de passer de la rédaction des rapports (écriture non –
fictionnelle) à l’écriture fictionnelle.

Votre recueil Makandal dans mon sang, publié en 2016, aux éditions La
Doxa, est présenté par la critique comme l’éloge des « identités multiples"
Nous y voyons aussi, une manière d’apologie du déplacement, les cadres
spatio-temporels utilisés sont indéniablement rattachés à de nombreux
endroits où vous avez séjourné et avec lesquels vous avez des points d’attache.

En effet, « Makandal dans mon sang  » a été ma première œuvre littéraire
proprement dit. Et d’ailleurs cela se ressent à la lecture. L’identité d’un individu n’est pas un bloc de pierre ou de marbre immuable (et encore…car pierre et
marbre ne sont pas si immuable comme on le croit !). Un être humain a plusieurs
identités. Par exemple, je suis Alphonsine Bouya selon le vouloir et les règles de
l’administration coloniale car je suis née à l’époque coloniale. Je suis Nyélenga
Bouya
pour mes parents et toute ma famille élargie des villages de mon père et
de ma mère. Nyélenga, fille de Bouya pour me différencier de ma cousine qui
s’appelle aussi Nyélenga. La tradition de chez moi veut qu’on accole le nom du
père au nom de la fille. Je suis ensuite Alfoncine (notez le changement
d’orthographe
) Nyélenga Bouya en tant qu’écrivaine. J’ai choisi Alfoncine avec
« F » au lieu de « Ph » en hommage à la chanteuse argentine Mercédès Sosa pour
sa chanson « Alfonsina y el mar » dont les paroles se sont incrustées en moi. En
plus de ces trois identités, il y a celles, parfois invisibles, qui façonnent,
s’accumulent, se construisent au jour le jour par notre vécu, notre expérience,
nos choix, nos déplacements, nos mouvements.

Vos écrits ( « Le rendez-vous de Mombin-Crochu  », « Un saut à Poto-Poto
 ») possèdent une forte charge littéraire, par l’emploi des nombreux surnoms
donnés aux personnages et des références socio-historiques utilisées. Quel
est la symbolique de l’usage de ces surnoms/ noms dans votre écriture ? En
quoi les références socio-historiques auxquelles vous faites référence sont-
elles révélatrices d’une certaine manière de votre vision du monde ?

Dans tous mes écrits, j’attribue aux personnages des noms tirés d’un répertoire
immatériel de ma mémoire à l’instar du « patrimoine immatériel de l’UNESCO  ».
Autrefois, dans ma communauté d’origine (Koyo de la Cuvette congolaise) les
femmes avaient des noms différents de ceux des hommes. Malheureusement
avec l’administration coloniale et la christianisation qui voulaient que les enfants
portent le nom du père et un prénom chrétien, les noms proprement féminins
sont carrément en voie de disparition. Nommer mes personnages en utilisant ces
noms c’est leur offrir une certaine immortalité, une éternité. La plupart de ces
noms sinon tous ont bien entendu une signification que généralement je mets
entre parenthèses ou en notes de bas de page pour les lecteurs non-locuteurs de
mes langues maternelles (car j’en ai deux).

Quels sont vos projets littéraires actuellement ?

J’ai un roman qui va paraître au mois de mars aux éditions Les Lettres
Mouchetées
, et déjà j’ai attaqué un autre roman et un recueil de nouvelles. C’est
au fur et à mesure de la progression de l’écriture que je déciderai de timing de
leur parution.

En 1994, vous soulignez dans votre article Education des filles : quelles
perspectives pour l’Afrique subsaharienne au XXIe siècle/ L’éducation des filles au 21e siècle devra viser une conjonction de toutes les méthodes
d’apprentissage pour permettre aux filles de ne plus être en marge des
problèmes du développement de l’Afrique subsaharienne. Un état des lieux
30 ans plus tard ?

L’article avait fait suite à la Première Conférence Panafricaine sur la
scolarisation des filles tenue à Ouagadougou en 1993. Depuis, beaucoup d’eau a
coulé sous les ponts ! Que de torrents traversés ! Faire carrément un état des
lieux dans le cadre d’une interview me semble une véritable gageure dans laquelle
je ne me hasarderai pas. Toutefois, force est de reconnaître que même si la
scolarisation universelle reste encore un objectif à l’ordre du jour, (...) beaucoup
a été fait et des résultats obtenus qui sont aujourd’hui indéniables.

Dans un monde en pleine mutation, pensez-vous que les femmes et les filles
doivent-elles être au cœur des sujets et des actions portant sur les
transitions climatique et numérique aujourd’hui ?

Tant que les inégalités dont sont victimes les femmes et les filles ne seront pas
annihilées, oui, elles doivent continuer à être au cœur de tous les débats, de la
pensée, de la réflexion, des stratégies et des actions dans tous les domaines y
compris les transitions climatique et numérique. On ne doit pas perdre de vue les
rôles multiples et divers joués par les femmes dans la préservation des
écosystèmes. Les laisser au bord de la route au moment des transitions
climatique et numérique reviendrait à condamner l’humanité à la punition de
Sisyphe.

Est-il vraiment raisonnable de consacrer du temps et des ressources à de
grands problèmes systémiques comme les inégalités femmes-hommes ?
Peut-on réellement poser cette question vitale en terme de « raisonnable » ?

Tant que les inégalités entre les femmes et les hommes, entre tous les humains
existent, les seules armes pour les éradiquer sont le temps et les ressources
quelles qu’elles soient. Le temps d’une vie doit être le temps de la lutte contre
les inégalités. Il en est de même pour les ressources qui ne sont pas toutes
réduites aux ressources matérielles.

Propos recueillis par Baltazar Atangana

Article publié par JaabuTv le 07 mars 2024

https://www.jaabutv.com/article/93/Alfoncine%20Ny%C3%A9lenga%20Bouya,%20%C2%AB%C2%A0Le%20temps%20d%E2%80%99une%20vie%20doit%20%C3%AAtre%20le%20temps%20de%20la%20lutte%20contre%20les%20in%C3%A9galit%C3%A9s%C2%A0%C2%BB

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