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Sociologie différentielle

Thierry Mombaya : regard d’un Kinois sur les Brazzavillois

Rien ne ressemble plus à Kinshasa que Brazzaville. Une longue histoire unit et sépare les deux villes et le Pool Malébo, immense lac, joue comme un miroir existentiel qui structure (dirait Milan Kundera) une insoutenable légèreté de l’Etre. En l’occurrence le chapitre des représentations de la fête et de la tribalité urbaine.

L’affaire « Koffi contre Koffi » (ibidem) (en réalité une non-affaire ) a le mérite de révéler les différences entre deux pays formatés par deux systèmes coloniaux, le français et le belge, renvoyant chacun vers ses propres contradictions identitaires.

Thierry Mombaya

A la faveur de l’affaire « Koffi contre Koffi », qu’il a vécue en « live » à Brazzaville, un journaliste Kinois, Thierry Mombaya, a peint dans une remarquable émission web de Franck Stemay, un tableau des mœurs brazzavilloises digne des Lettres persanes de Montesquieu.

Notre observateur Kinois, tiers-exclu, nous a fait part d’une foule de pratiques sociales typiques des brazzavillois aussi surprenantes qu’intéressantes.

Bien entendu, faute de recul, nombre des compatriotes de Sassou n’en ont pas conscience tant ces pratiques sont ancrées en eux et font partie de leur « habitus » (pour reprendre un concept cher à P. Bourdieu).

Le temps de la fête brazzavilloise

D’entrée, avec une perspicacité que n’aurait pas reniée le Georges Balandier des «  Brazzaville Noires » (1955), le journaliste Kinois a constaté par exemple que dans les rapports aux loisirs, les Brazzavillois (comme les Français ? ) ont une « attitude de bureaucrate », pratiquent, en matière de consommation des loisirs, des « horaires de fonctionnaires » même les « jours fériés. »

Quand les Kinois, (remarque T. Mombaya), se précipitent vers l’espace de la fête à des heures indues (très tôt dans la journée) les Brazzavillois prennent leur temps, déambulent tranquillement vers les lieux des loisirs.

Ce fut le cas le 24 juin 2023, quand le public brazzavillois a tranquillement pris le chemin du Stade Massamba-Débat à compter (seulement) de 16 heures, tandis que sur l’autre rive à Kinshasa, le Stade des Martyrs faisait salle comble quasiment dès l’aube.

Le « retard à l’allumage » du public brazzavillois n’alarma pas outre mesure les organisateurs événementiels locaux alors que cette nonchalance, prélude d’un manque à gagner, suscitait l’inquiétude des observateurs étrangers car, qu’on le veuille ou non, l’enjeu central était de remplir l’immense stade Alphonse Massamba-Débat (30.000 places assises, 10.000 debout) en ce jour où Roga-Roga donnait son mythique concert sous l’angle de la dichotomie du « défi et de la riposte » (dirait Bourdieu).

De ce fait, le public kinois, à l’inverse des Brazzavillois, passe pour investir l’espace de la fête comme le public occidental des concerts Rocks, c’est-à-dire à l’heure du laitier, entre chiens et loups entre chouette et rossignol.

La démographie urbaine influence la différence culturelle autour du rite de fréquentation des lieux des loisirs.

Il va sans dire que Kinshasa, mégalopole de près de vingt millions d’âmes, bat à plate couture Brazzaville (à peine millionnaire) en terme d’affluence, de vitesse et de densité vers les lieux des spectacles.

Les deux villes n’articulent pas, à en croire T. Mombaya, les mêmes enjeux culturels à l’heure mondiale de la musique urbaine, du rap, du coupé-décalé et du Mopacho.

En l’occurrence, après avoir vu le spectacle de Tidiane Mario à l’esplanade du Palais des Congrès, Mombaya note qu’une dynamique urbaine gagne du terrain à Brazzaville et, Kinshasa devrait s’en inspirer.

Les concepts classiques « Féti na Féti » , « Kin-Show », « Kin kiessé » typiques de la ville de Kinshasa des Franco, Rochereau, Kallé, Négro-Succès, Zaïko deviennent moins forts rive gauche alors qu’ils fonctionnent à plein régime au pays de Roga-Roga, Kevin Mbouandé, Afara Tséna Fukushima, Guci Diesel, Viny Balthasar...

A Kinshasa, monstre de 24 communes, deux à quatre baobabs (Koffi, Werra, Ferré, Fally, JB...) cachent la forêt dense des artistes alors qu’à Brazzaville, 9 arrondissements, on note une éclosion de jeunes talents désaliénés de l’influence de Roga-Roga (arbre qui a longtemps caché la forêt).

Tribalisme

A Kinshasa, remarque Thierry Mombaya, l’ethnicité (le tribalisme) « joue sur le faux-semblant ». Quand Kinshasa mélange ses ethnies pour faire croire l’inexistence du phénomène tribal. En revanche Brazzaville structure la division ethnique. Mais l’égalité des deux villes devant la discrimination ethnique demeure intacte.

Brazzaville confine clairement sa population selon les critères tribaux (ou « tribaliques » selon Henri Lopes). Les ethnies du Sud, (les Bakongo) habitent le sud de la ville et celles du Nord (les Mbochi), campent au nord de la ville.

Le pouvoir appartient au Nord depuis le 5 juin 1997, date du coup d’Etat. Il se présente et se représente comme une marque déposée, stricto sensu , Mbochi.

Ca, pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le voir.

Pour Thierry Mombaya, Roga-Roga, Mbochi lato sensu a flatté l’égo des Sudistes en retravaillant l’étymologie kongo du nom du stade.

De Massamba-Débat le mot-clé a muté en TÂ Massamba. « Tout se situe dans le TA », une structure qui touche intimement le sentiment identitaire des ethnies Kongo du Sud.

Le consigne la représentation originelle de la nomenclature parentale kongo. La stratégie langagière rogatienne a payé cash.

Tout le monde, analyse T. Mombaya, Sud, Nord, se rangera derrière Roga pour reconquérir le Stade Alphonse Massamba-Débat que Fally Ipupa déclara et clama avoir « empoché » au nez et à la barbe des Brazzavillois. Ce qui pour la communauté brazzavilloise passait pour crime de lèse-majesté.

Et Mombaya de conclure : d’ennemis qu’ils s’affirmaient et s’affichaient, nordistes et sudistes, fumèrent le calumet de la réconciliation grâce à Roga-Roga.

In fine, « le tribalisme bat de l’aile au Congo-Brazzaville grâce au nouveau vent artistique qui souffle sur le pays » analyse Thierry Mombaya, observateur neutre.

Le bébé dont la mère affiche soixante ans

Thierry Mombaya dit qu’aux yeux des Congolais de Brazzaville, Koffi de Brazza passe pour l’enfant unique que sa mère a accouché à soixante balais.

La maman l’aime mordicus. « Elle se fiche de l’enfant de trente ans ( Koffi Olomidé) que des métèques se tuent à lui vanter et que les autorités locales (tous Mbochi) mythifient comme un Dieu » métaphorise T. Mombaya.

Double-jeu

Au départ Koffi a nié avoir donné un ultimatum à Koffi de Brazza. Ensuite il y a eu le procès près la Cour de Brazzaville. Les Brazzavillois ont mal perçu le double jeu de Koffi Mopao consistant à caresser d’une main et à violemment frapper de l’autre.

Lapidation

Dupoint de vue du chroniqueur Mombaya, si Koffi poussait seulement l’audace de se présenter au Tribunal de Brazzaville le jour où Koffi de Brazza poussait la porte du bureau du procureur, l’actuel mari de Cindy le Coeur signait alors son arrêt de mort.

A l’heure de la vindicte publique, l’option lynchage par le public Brazzavillois semble avérée.

« Petit à petit, les chansons de Koffi Olomidé subissent un boycott dans les espaces publics brazzavillois » remarque l’analyste de Kin Malébo.

« Je vous mets au défi de programmer un concert de Koffi à Brazzaville par les temps qui courent » projette Thierry Mombaya au micro de Franck Stemay. « Vous m’en direz des nouvelles. »

Prophéties

Thierry Mombaya de la RDC a savamment esquivé dans ses analyses la question de la haine que Brazzaville Sud voue au Pouvoir Mbochi de Sassou. 70 % des Brazzavillois en veulent à leurs sénateurs, députés, ministres et généraux tous à la solde de Sassou. Ils attendent patiemment d’en découdre.

Koffi Olomidé pourrait être la bombe qui va exploser à la gueule de la « famille présidentielle. »

Koffi Olomidé sert d’alibi au rejet global des Congolais envers leurs « dirigeants » ayant kidnappé le pays.

D’ailleurs une Prophétesse Kinoise a prédit sur la toile un imminent conflit à Brazzaville entre civils et militaires.

Il s’agit de la Soeur Fatou Mombongo Prophétie pour Congo-Brazza et Kenya 🇰🇪 #jésus )

Cette guerre se soldera en faveur des civils. La prophétesse a également prédit un violent affrontement au Kenya.

A-t-on besoin de sortir de Science-Po pour voir les risques de guerre civile que fait courir le clan Nguesso, avec sa clientèle pécétiste, aux Congolais du Congo-Brazzaville ?

Le regard de l’autre est le point aveugle du mien. Merci Thierry Mombaya de faire tomber les écailles des yeux des voisins brazzavillois.

Simon Mavoula et Thierry Oko

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