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Le Monde 24/03/2004

Congo, Angola, Guinée-Equatoriale : trois " kleptocraties " pétrolières africaines

Total, qui a absorbé Elf en 2000, perpétuerait la pratique des prêts "gagés" sur le pétrole

Le choix des trois pays africains sur lesquels Global Witness a enquêté montre à quel point la lutte contre l’opacité dans la comptabilité pétrolière est tributaire de procédures judiciaires. Les procès Elf, en France, et l’instruction en cours sur l’argent noir que cette compagnie aurait versé à des personnalités françaises et angolaises ont éclairé de l’intérieur des systèmes de corruption.

Au Congo-Brazzaville, Global Witness accuse Elf d’avoir "institutionnalisé l’opacité, favorisant des gouvernements qui ne répondent pas de leur gestion, un endettement massif et une instabilité chronique".

L’ONG explique comment la compagnie pétrolière aurait fait de ce pays de moins de 3 millions d’habitants le plus endetté du monde, per capita, avec 6,4 milliards de dollars à rembourser à des créanciers étrangers : "Elf crée une société, en règle générale en Suisse, pour, après, soit lui prêter de l’argent à un taux d’intérêt bas, soit garantir un prêt d’une autre provenance. La société basée en Suisse prête ensuite de l’argent à un taux plus élevé à une banque qui, à son tour, le prête - à un taux encore plus élevé - au Congo." Ainsi, la compagnie pétrolière, riche en liquidités, emprunte de l’argent qui ne lui coûte pas cher, cependant que le Congo, déjà lourdement endetté, devra rembourser le loyer élevé de ses emprunts.

Selon Global Witness, Total, qui a absorbé Elf en 2000, perpétuerait la pratique des prêts "gagés" sur le pétrole qui reste à extraire. Par ailleurs, la compagnie française, qui fournit à l’Etat congolais 70 % de ses revenus pétroliers, aurait certes rééchelonné la dette congolaise à son égard - 197 millions de dollars - jusqu’en 2010, mais en l’alourdissant de "près de 100 millions de dollars".

Toutefois, le régime du général-président Denis Sassou Nguesso, revenu au pouvoir, en 1997, à l’issue d’une guerre civile, n’a pas de leçons à recevoir dans la dilapidation de la rente pétrolière du Congo. Selon le FMI, entre 1999 et 2002, 248 millions de dollars provenant de l’extraction du brut n’ont pas laissé de traces dans la comptabilité nationale. Mieux, dans le dernier budget, sur au moins 800 millions de dollars de retombées pétrolières, seuls 650 millions de dollars ont été inscrits.

Enfin, la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), véritable caisse noire du régime, est présentée comme une entreprise privée quand il s’agit de ses profits substantiels, et comme une société publique lorsqu’il s’agit de soustraire au regard de la Banque mondiale sa comptabilité occulte. Selon le FMI, en 2001, la SNPC n’aurait rien versé de ses bénéfices après taxe - 42 millions de dollars - au budget de l’Etat.

En Angola, qui vient de sortir d’un quart de siècle de guerre civile, le pouvoir du président Eduardo dos Santos aurait détourné un quart des ressources de l’Etat, soit en moyenne 1,7 milliard de dollars par an, entre 1997 et 2001. Et rien ne présage que les Angolais toucheront les dividendes de la paix instaurée depuis. Les comptes de l’Etat résistent aux audits commandités par le FMI, en même temps que le pouvoir en place continue de contracter des emprunts d’une ampleur à boucher l’horizon des futures générations. L’actuelle est déjà condamnée en partie : tandis qu’un pétrodollar sur quatre est détourné, un enfant sur quatre meurt avant l’âge de cinq ans.

Plus d’un million d’Angolais dépendent pour leur survie de l’aide du Programme alimentaire mondial. Cette année, le gouvernement angolais a inscrit dans son budget 60 millions de dollars pour l’assistance humanitaire, affirme Global Witness, pour conclure : si la présidence angolaise "gérait l’argent du pays d’une façon plus transparente, le gouvernement pourrait à l’évidence subvenir aux besoins de la population. Qu’il choisisse de ne pas le faire est un signal fort à la communauté internationale : les affres du pays sont loin d’être finies".

Là encore, l’étranger n’est pas innocent : en 2002, le Portugal, l’ancienne puissance coloniale, a conclu avec l’Angola un accord bilatéral pour le remboursement de ses créances, en rompant avec la solidarité du Club de Paris. Ce qui a permis à Luanda de s’acheter un allié et à Lisbonne de ne pas trop sortir, grâce aux pétrodollars angolais, des limites d’endettement fixées par le pacte de stabilité européen...

La Guinée-Equatoriale du président Teodoro Obiang Nguema est la caricature d’une "kleptocratie" familiale. Dans ce pays d’un demi-million d’habitants, la rente pétrolière - 3 millions de dollars en 1993, 210 millions en 2000 et environ 700 millions en 2003 - a fait exploser le PIB. Mais 65 % de la population vit toujours dans "l’extrême pauvreté", 80 % du revenu national étant monopolisé par l’oligarchie.

Le président n’est pas pour rien surnommé "le patron". Il bénéficie au premier chef d’une rente pétrolière, en partie directement versée, par Exxon et Amerada Hess, sur un compte identifié à Washington, dont le gestionnaire acquiert des palais dans le Maryland au nom de la famille régnante. Global Witness cite, entre autres, l’exemple d’une villa achetée, cash, pour 2,6 millions de dollars et pourvue de dix salles de bain, de cinq cheminées et d’une piscine intérieure.

Eu égard à l’ambiance de coup d’Etat permanent en "Guinée dictatoriale", le clan présidentiel investit dans son avenir à bon escient.

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