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Elf avait " torpillé " l’audit de ELF-CONGO pendant la Transition, en 1992

Les pratiques secrètes du groupe Elf au coeur des débats

PARIS (Reuters) - Le procès de l’affaire Elf, qui s’est ouvert il y a dix jours et se poursuivra jusqu’en juillet, éclaire d’une lumière crue les pratiques secrètes du groupe pétrolier au début des années 90. Tout l’enjeu des débats est de faire le partage entre les méthodes institutionnelles de corruption, tacitement admises par l’Etat et qui ne font pas l’objet de poursuites, et les " dérapages " imputés à l’équipe du P-DG de l’époque, Loïk Le Floch-Prigent.

Lors des six premières audiences, les ex-dirigeants du groupe ont certes reconnu s’être plus ou moins enrichis personnellement mais ils ont maintenu que l’essentiel de leurs pratiques relevaient de la routine des " affaires internationales ".

Ils ont exposé sans faux-fuyant les circuits institutionnels ayant rémunéré chefs d’Etats étrangers et " décideurs " en tout genre, assurant que ces habitudes étaient partagées par tous leurs concurrents et qu’elles se poursuivaient aujourd’hui.

"Dans l’ensemble des pays pétroliers, c’est le chef d’Etat ou le roi qui est le bénéficiaire du pétrole. C’est comme ça, ce n’est pas moi qui l’ai inventé", a dit Loïk Le Floch-Prigent, 59 ans, P-DG d’Elf de 1989 à 1993.

" Ces opérations opaques, aucune société pétrolière ne pourrait travailler sans et aujourd’hui c’est encore le cas ", a renchéri André Tarallo, 75 ans, le " M. Afrique " d’Elf de 1967 à 1996.

Contrôlée par l’Etat au moment des faits, la compagnie Elf a été depuis privatisée puis fusionnée avec deux autres sociétés pour donner naissance à TotalFinaElf.

Le procès pourrait amener des révélations, les prévenus étant sous pression. Le président du tribunal Michel Desplan se montre très cassant avec ces hommes d’affaires au cursus prestigieux et à l’entregent considérable.

" Vous connaissez la théorie des baïonnettes intelligentes ? Même quand on est militaire, on se doit d’obéir, mais seulement aux ordres qui sont légaux ", a résumé le président mercredi à l’intention d’un des prévenus.

Les milliards de l’Afrique

Déjà, Loïk Le Floch-Prigent, détenu depuis fin janvier dans une autre affaire, a déclaré pour la première fois en six ans de procédure qu’Elf détenait une " caisse noire pour des interventions politiques " en France. Il s’est absenté ensuite du tribunal pour raisons de santé et reviendra lundi prochain, sans que l’on sache s’il livrera des noms.

Des suspects en fuite se sont fait représenter par des avocats et pourraient venir au tribunal pour " purger " leur dossier.

C’est le cas de l’ex-agent secret français Pierre Léthier, intervenu dans le versement de 270 millions de francs de commissions occultes en 1992 lors du rachat par Elf de la raffinerie allemande de Leuna, et du Britannique d’origine irakienne Adhmi Auchi, protagoniste d’opérations similaires lors du rachat d’Ertoil en Espagne en 1992.

Pour l’Afrique, où Elf détient l’essentiel de ses concessions, les anciens dirigeants de la société ont exposé que deux principaux circuits financiers alimentaient annuellement, depuis les années 60-70, les comptes bancaires suisses d’intermédiaires travaillant pour quatre chefs d’Etat nommément cités à l’audience : Omar Bongo (Gabon), Eduardo dos Santos (Angola), Paul Biya (Cameroun) et Denis Sassou N’Guesso (Congo).

Dans ce cadre, les sommes versées chaque année ont dépassé, selon les données d’enquête lues à l’audience, le milliard de francs. Elles ont pris deux formes : les "pré-reconnaissances" (pseudo-droits d’entrée sur les marchés, 708 millions de francs en 1992) et les " abonnements ", un pourcentage sur chaque baril extrait (environ 0,4 dollar US par baril).

Quant aux pratiques spécifiques de l’équipe du P-DG, développées, semble-t-il, par son bras droit Alfred Sirven, 76 ans, elles sont évaluées par l’accusation à des centaines de millions de francs de détournements supplémentaires par an. Cet argent aurait pris de multiples directions, y compris vers les poches de dirigeants d’Elf, mais aurait aussi servi à de la corruption "parallèle" en Afrique et ailleurs.

Alfred Sirven a ainsi évoqué le financement de l’Unita, l’opposition armée angolaise, mais aussi des versements d’argent destinés selon lui à " torpiller " un audit gênant pour Elf, réalisé par Arthur Andersen en 1992 au Congo-Brazzaville.

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