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Faune sauvage en péril

Le Congo a ratifié de nombreux accords de protection de la nature et en particulier la Convention de Protection des Grands Singes. Ceux-ci, gorilles et chimpanzés sont en théorie intégralement protégés. Aliette Jamart, présidente fondatrice de l’Association HELP Congo œuvre depuis près de vingt ans à la protection de ces animaux, les plus proches cousins de l’homme, dans son site de Conkouati (www.help-primates.org).
De fait elle constate sur le terrain que ces accords restent théoriques et que le braconnage continue, comme le prouve la mésaventure de Youbi, jeune chimpanzé femelle blessée après que sa mère ait été tuée par des braconniers parfaitement identifiés. Les contrevenants n’ont guère été inquiétés par les autorités au-delà d’un procès verbal qui ne porte que leur n° de carte d’identité. Aliette Jamart nous a alertés sur le cas de cet animal qu’elle vient tout juste de recueillir et qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres

D’aucuns nous diront qu’il est bien futile de s’occuper de la faune quand les hommes souffrent au Congo. C’est faire fi du fait que la faune est partie intégrante du patrimoine de la Terre au même titre que l’homme, et qu’elle possède des droits elle aussi.

Daniel Lobé Diboto : Madame Aliette Jamart, depuis combien de temps êtes vous dans la protection de la faune ?

Aliette Jamart : J’ai commencé en 1989, à Pointe-Noire.

DLD : Dans quelles circonstances ?

AJ : Suite à la rencontre d’un chimpanzé qui était détenu par un européen décédé. Ce chimpanzé a été déposé au zoo de Pointe-Noire et lorsque je m’y suis rendue, j’ai été aspirée par la protection de la faune.

DLD : Aujourd’hui vos activités se sont considérablement étendues, le monde entier vous connaît. Que signifie Conkouati pour vous ?

AJ : Conkouati est l’endroit où j’ai relâché mes chimpanzés. Certains Vivent encore en semi liberté dans des îles et d’autres on été réintroduits vers la réserve de Conkouati, classée parc national depuis 1999.

DLD : Peut-on avoir une idée du nombre des chimpanzés que vous avez ?

AJ : Parlant des chimpanzés relâchés, nous en avons relâché une quarantaine, il m’en reste en ce moment treize sur les îles. C’est une population que nous aimerions relâcher en pleine nature, mais les circonstances actuelles nous font craindre pour leur survie.

DLD : Comment arrivez-vous à protéger ces chimpanzés ?

AJ : Pour les protéger il faut être présents. Depuis le 28 août 1991 où je suis arrivée à Conkouati avec dix huit chimpanzés, nous avons été présents sur le site, jour et nuit, 24 h / 24 h, jours, fêtes et dimanche, temps de paix, temps de guerre.

DLD : Vous avez une base à Conkouati, vous avez donc du personnel à gérer, il faut de l’argent pour soutenir cette action. Comment faites-vous ?

AJ : Oui la base à Conkouati congolais et expatriés oeuvrent conjointement à la bonne marche de l’association.
J’ai puisé longtemps dans ma poche, j’ai un peu moins à le faire maintenant parce que des gens se sont intéressés à notre travail. C’est devenu un projet de grande envergure qui est connu de l’extérieur, ce qui nous a permis d’obtenir des aides. Nous faisons venir des bénévoles qui doivent supporter leurs billets d’avion, nourriture et manuscrit. C’est-à-dire qu’ils nous donnent une certaine somme, une nourriture de base, une gestion du terrain avec des produits d’entretien, voilà comment nous tournons. Des fondations françaises comme la fondation Brigitte Bardot nous aident en nous apportant des soutiens considérables. Je les en remercie beaucoup. Nous recevons aussi quelques dons de particuliers. Ces aides sont importantes mais elles ne peuvent actuellement couv=rir la totalité de nos besoins. La tâche est difficile, compte tenu qu’en Afrique Centrale, Congo compris, le braconnage bat son plein.
Les sanctuaires de chimpanzés foisonnent et le mot est juste ; foisonnent. Il est en effet très difficile de résister à l’appel des yeux d’un bébé chimpanzé braconné en train de mourir. Une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage c’est pour la vie. On y laisse tout, sa vie de famille, ses amis, on ne pense plus qu’à ça.
Le gouvernement ne se soucie guère de nous, gens sans formation universitaire se consacrant à la protection de la faune par simple amour. Nous excédons les pouvoirs publics car n’étant pas formés en dehors du terrain, nous avons tendance à être excessifs. Nous ne comprenons pas pourquoi ça ne marche pas alors que nous faisons tout pour que ça fonctionne. Si on nous donnait les moyens d’avancer ça irait mieux.
Pourquoi alors les dispositifs de régulation et de contrôle existant demeurent-ils inefficaces ? Pourquoi à la barrière de contrôle des Eaux et Forêts de Madingo-Kayes ne trouve-t-on pas d’agents à pied d’oeuvre ? On trouve de la viande de brousse sur les étals du grand marché, au mépris du risque EBOLA, les contrôles sont donc inopérants.

DLD : Madame Jamart, un bébé chimpanzé a été recueilli à Youbi, ( poste de contrôle des écogardes du PNCD). Comment ce bébé chimpanzé est-il parvenu chez vous ?

AJ : J’ai été appelée dimanche soir par la Direction du WCS et l’interpellation a eu lieu à Youbi, Les conditions météorologiques ne permettant de se déplacer la nuit, j’ai simplement demandé si les braconniers avaient été arrêtés et si un procès verbal a été fait en bonne et due forme. Ce bébé a été récupéré le lundi matin par le véhicule de WCS (World Conservation Society), il est arrivé blessé et complètement déshydraté au sanctuaire HELP. Force est de constater que tous les animaux qui arrivent dans les mains des braconniers sont dans cet état. Je ne sais pas d’où vient cette habitude de ne pas donner de l’eau aux animaux : que ce soit des animaux domestiques ou de la basse cour, l’eau semble vraiment superflue.

DLD : Combien de chimpanzés vous arrivent dans cet état ?

AJ : Nous avons arrêté de prendre des chimpanzés dans ces conditions, mais de temps en temps je craque et j’en prends un, en espérant qu’un jour la loi sera appliquée. Le gros problème à l’heure actuelle c’est que malgré le statut de protection intégrale des gorilles et des chimpanzés, les braconniers ne sont jamais inquiétés. A ce rythme là, les grands singes auront disparus dans les prochaines décennies.

DLD : Maintenant qu’on parle de la protection des grands singes à travers le monde, pensez-vous que le Congo est vraiment impliqué ?

AJ : Je sais que le Congo a signé une convention sur la survie des grands singes, mais malheureusement sur le terrain, j’entends parler des activités de substitution et alternatives. Pour moi ces deux vocables ne concernent que des hommes qui n’ont jamais travaillé, et qui n’ont d’ailleurs pas envie de travailler.
Les braconniers se promènent dans la forêt en posant de nombreux pièges qu’ils lèvent quand ils ont le temps. Ne parlons pas de l’état du gibier qu’ils rapportent, souvent complètement pourri, je dis bien pourri, photos à l’appui. Ce gibier en phase de décomposition est quand même fumé et vendu sur les marchés de la place, alors que la commercialisation de la viande de brousse est interdite et que la viande ne doit pas sortir du village. Vraiment je ne sais pas si un jour on pourra parler de l’application de la loi, il y a du travail à fournir avant d’en arriver là.

DLD : Face à ce constat de désolation êtes-vous inquiète pour la faune congolaise ?

AJ : Oui, je suis très inquiète car malgré la signature des mesures de protection, les grands singes sont en danger.
Maintenant c’est à mon tour de vous poser des questions.
En tant que journaliste congolais bien connu, il serait peut être bon que vous vous rapprochiez des Eaux et Forêts pour leur poser la question de savoir pourquoi il y a ce malaise ? Comment le sanctuaire de Tchipounga compte plus de cent trente chimpanzés captifs ? A quel moment ça a commencé à dérailler et que comptent ils faire pour redresser la machine ?

Daniel Lobé Diboto : Soyez rassurée Madame Jamart, nous avons la matière, nous nous rapprocherons des Eaux et Forêts. Et surtout merci pour ce monitoring d’enquête, nous vous promettons que nous allons faire quelque chose dans ce sens.

AJ : Merci beaucoup et bonne chance.

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