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François Hollande ne doit pas se rendre à Kinshasa

La très probable présence de François Hollande à Kinshasa, en octobre prochain, à l’occasion du sommet de la Francophonie, suscite un vif débat. Il y a ceux qui estiment cette présence nécessaire ; il y a ceux qui la considèrent en contradiction avec son discours de campagne présidentielle.

Paraphrasons Régis Debray dans « Loués soient nos seigneurs  » : on ne gouverne pas les hommes en fonction de la réalité des choses, mais en fonction des images que la société s’en fait. Quelle image les Congolais se font-ils du sommet de la Francophonie qui se tiendra dans leur capitale devenue une décharge publique ? Mauvaise. Cela l’est d’autant plus que la venue de François Hollande cautionnerait l’arnaque démocratique de novembre dernier. Tout comme celle de la majorité des dirigeants africains qui feront le voyage de Kinshasa.

Au contraire, les « âmes torturées », elles, pensent que ce serait l’occasion pour le chef de l’Etat français de marteler son message de campagne présidentielle sur la Françafrique... Pourquoi pas, disent-ils, une réécriture du discours de La Baule du 20 juin 1990, conditionnant l’aide au développement à l’instauration de la démocratie ? Quand on sait que ce discours fut corrigé peu de temps après, à Libreville, par Pierre Bérégovoy afin de ménager les "amis africains" qui risquaient de perdre le pouvoir, on n’a plus besoin d’un deuxième discours de La Baule à Kin.

Non, François Hollande ne doit pas se rendre à Kinshasa. Plusieurs raisons président à cet appel raisonnable. D’abord, la Francophonie ne sert à rien, si ce n’est un fleuve à engloutir les millions des Etats membres ! C’est une institution sans importance, et tant pis pour Soni Labou Tansi, lequel estimait que « le français » est une maison que chaque occupant décore à sa façon (très belle image). Mais le problème est cette décoration n’a pas fait flamboyer la langue de molière, elle l’a plutôt ternie. Sans doute l’écrivain congolais n’imaginait-il pas que le "français" subirait en Afrique des échecs cuisants au 21 ème siècle. Et pour cause : le Rwanda du despote Kagamé a fait défection depuis déjà plusieurs années pour rejoindre le giron des pays anglophones. Dans plusieurs pays africains, le niveau du "français" est terriblement bas. Il vous suffit pour vous en rendre compte de regarder un soir le JT de la primitive Télécongo. La semaine dernière, en effet, en une édition, les fautes de langue ont été massives : "Par contre" ; "Malgré que" ; "Il y a longtemps qu’il s’est rendu..." ; "Après qu’il ait reçu..." ; "Au final", etc.

Le "français" a perdu de sa superbe, désormais il faut parler "anglais" pour décrocher un poste important, même en France. Et, bientôt, le mandarin. En France, les anglicismes ont envahi les écrans. Un seul exemple : on ne dit plus "première partie" mais prime time, pour parler d’une émission qui passe juste après le journal. Et l’on se demande pourquoi François Hollande a crée un ministère de la Francophonie, confiée à une cinéaste maniérée Yamina Benguigui.

L’hôte du prochain sommet de la Francophonie, Kabila, ne parle que moyennement "français". Et son bilan est désertique sur le plan éducatif. Pourquoi avoir choisi Kinshasa ? Question de lobbying, de diamant ou d’or sans doute. Discutez avec un Congolais de la RDC à Paris, il vous parlera plus des inimitiés tenaces entre musiciens que de l’avenir du "français" dans son pays, un sujet à des années lumières. La RDC use du dollar américain comme monnaie, c’est dire son faible pour le pays de l’oncle Sam, qui soutient le régime de Kabila à fond.

Mais Kabila n’en a cure. Il s’active. Ainsi a-t-il dépêché, dernièrement, à Paris, son ministre des Affaires étrangères, faire du lobbying auprès d’Abdou Diouf, le secrétaire général de la Francophonie. Lequel a été reçu par François Hollande. On connaît la suite. Yamina Benguigui a aussitôt annoncé la présence du président de la République à ex-Kin la belle.

Les dirigeants africains francophones, ce syndicat de sorciers, d’ores et déjà, jubilent. Ils rencontreront enfin le nouveau président français. Ce sera l’occasion pour eux de jeter leurs puissants fétiches sur François Hollande afin de s’attirer son sourire. On imagine Compaoré, Biya, Bozizé, Sassou, presser le temps, blâmant l’horloge de ne pas tourner plus vite que d’habitude.

Bedel Baouna

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