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La France et les dictatures africaines : le cas du Togo

Le rôle de la France dans l’installation et le maintien de la dictature togolaise. Mesdames, Messieurs, Chers amis. La réponse au sujet que mes amis de la Ligue des Droits de l’homme m’ont demandé de traiter : “ le rôle de la France dans l’installation et le maintien de la dictature togolaise ” est d’une simplicité biblique. La France depuis le 13 janvier 1963 n’a cessé de soutenir militairement, politiquement, économiquement, financièrement par tous les moyens disponibles la dictature togolaise et depuis le 13 janvier 1967, le régime, le clan, la famille Eyadéma.

Aujourd’hui comme hier, les présidents de la République, de droite ou de gauche, les gouvernements de la République de droite comme de gauche ont maintenu à bout de bras le régime togolais. L’ambassadeur Henri Mazoyer a le 12 janvier 1963 fait connaître aux putschistes dirigés alors par le jeune sergent Eyadéma le lieu - l’ambassade américaine - où s’était réfugié Sylvanus Olympio. Ce même ambassadeur qui avait fait pression pour que le commandant Georges Maitrier, chef de la gendarmerie nationale, dont le contrat arrivait à terme en 1962 puisse le prolonger dans le cadre de la coopération militaire franco-togolaise. C’est Georges Maitrier qui conçut et organisa le coup d’Etat de 1963 avec le soutien direct de l’ambassade, des services et de l’Elysée qui détestaient l’indépendance d’esprit de Sylvanus Olympio. Maitrier et Mazoyer n’étaient pas là par hasard. Ils avaient été mis en place par Jacques Foccart, le fondateur des réseaux de la Françafrique. La fin de la guerre d’Algérie et les milliers de soldats démobilisés ayant permis la création d’un vivier permettant à des militaires comme Eyadéma ou Maitrier de se reconvertir. Le néo-colonialisme n’est pas une invention d’intellectuels de gauche. C’est l’héritage direct d’indépendances qui ne furent pas menées à terme. Et quand des responsables politiques comme Lumumba, Sankara, Olympio voulurent conduire leur pays à une véritable indépendance, la réponse fut l’assassinat politique télécommandé depuis Paris. L’objectif des réseaux de la Françafrique a toujours été le même : faire du Togo, un protectorat. Si le Togo n’a pas de pétrole, il a des phosphates et le réseau opaque des sociétés écrans lié à cette exploitation a permis au clan Eyadéma de s’enrichir sur le dos du peuple togolais mais aussi de fournir des subsides à des proches ou à des hommes politiques en France qui ont soutenu, encouragé et cautionné la dictature. De fait Eyadéma a vendu son pays à tous, pour son unique profit, celui de son clan et celui de ses amis français. Mais le Togo ne lui appartient pas, ni à lui, ni à sa famille, ni à l’armée. Le Togo appartient aux citoyens togolais.

Je disais que ce régime corrompu, autoritaire et sans droit a été soutenu par tous les régimes. Le 13 janvier 1983, 20 ans après l’assassinat de Sylvanus Olympio, François Mitterrand accepta l’invitation d’Eyadéma et de fait reconnut la légitimité de la politique conduite depuis le meurtre du président fondateur Olympio. On connaît le rôle de Jean Christophe Mitterrand auprès des amis africains de l’Elysée dont Eyadéma. Mais c’est aussi un homme comme Michel Rocard qui en tant que député européen reconnut la légalité des élections de 2002 pourtant dénoncées comme totalement truquées par la communauté internationale. De même Fodé Sylla, député européen du groupe communiste a défendu ce régime. Il en a été d’ailleurs récompensé par Jacques Chirac qui l’a fait nommer au Conseil économique et social en 2004.

Mais bien évidemment c’est la droite française qui remporte la palme d’or au festival des hypocrites et des soutiens à la dictature. Il y a bien sûr le fameux Charles Debbasch, celui qui écrit les constitutions et les lois à la chaîne. Ce juriste qui en France est poursuivi par la justice pour affaires douteuses travaille au rendement pour légitimer le régime Eyadéma. Il y a son compère l’avocat Jacques Vergès. Il y a Pierre Mazeaud. Il y a bien sûr Charles Pasqua, dont l’association “ Demain la France ” fut financée à hauteur de près de 5 millions de francs. Mais il y a aussi Jacques Chirac, qui au lendemain de la mort du dictateur déclarait que celui-ci était à la fois un ami personnel et un ami de la France. Et de fait, si un quarteron de militaires togolais a mis au pouvoir Faure, le fils du dictateur, le metteur en scène et le scénariste du mauvais feuilleton que vit le Togo depuis le 7 février s’appelle Jacques Chirac. Dans un premier temps on désigne le fils du dictateur comme président élu jusqu’à 2008, puis on accepte d’organiser des élections, puis on présente Faure uniquement comme un simple candidat parmi d’autres, respectueux des institutions et de la légalité démocratique.

A chaque fois le but est le même : endormir la vigilance de la communauté internationale, empêcher l’organisation d’élections libres et transparentes, faire silence sur la continuité du régime, isoler l’opposition démocratique. Dans toutes ces différentes phases, le rôle de la France a été déterminant. Chirac a voulu que l’Union européenne qui avait boycotté le régime en 1993 n’intervienne pas dans le domaine réservé du président de la République. La France avait été le seul pays à l’époque à s’opposer à des sanctions plus lourdes de la part de l’Union européenne. Celui qui organise sur le terrain togolais la mise en scène du scénario conçu à Paris est le lieutenant-colonel Benoît, responsable de la Dgse à l’ambassade de France à Lomé. Il était déjà en poste dans les années 60 au moment de l’assassinat de Sylvanus Olympio. Il y a donc un fil rouge de la politique française au Togo depuis 42 ans. C’est pourquoi les démocrates africains et français doivent faire d’ici le 24 avril une campagne pour dénoncer concrètement les liens qui unissent la dictature togolaise à la France. Car ce n’est pas du Togo dont on parle, mais du Tchad, de Djibouti, des deux Congo, du Gabon, de la République Centrafricaine, de la Mauritanie... Contrairement à ce qui est dit, la France n’hésite pas entre l’indifférence et l’ingérence en Afrique. Elle est indifférente aux aspirations des peuples au développement et à la liberté. Elle s’ingère dans les affaires qui peuvent encore lui rapporter. Le Togo en est un symbole éclatant. Elle y est toujours liée par un accord de défense signé le 10 juillet 1963 et par des accords de coopération technique et militaire signés le 29 mars 1976. Ses militaires forment depuis des décennies ceux qui répriment actuellement les manifestations du peuple togolais. Les armes qui tuent et blessent les manifestants à Lomé sont des armes et des balles françaises tirées par des soldats et des gendarmes formés par l’armée française en vertu de ces accords de coopération.
Les Verts ne s’intéressent pas à la politique africaine et au Togo le temps d’une campagne. Ils s’y intéressent depuis toujours. Le premier candidat écologiste à la présidence de la République, René Dumont a été l’un des premiers à montrer comment l’accumulation des facteurs négatifs en matière de politique économique, démographique, agricole entravait le développement de l’Afrique. Dès 1962, c’est-à-dire dès l’accession du dictateur Eyadéma au pouvoir, il s’écriait “ l’Afrique noire est mal partie ”. Il montrait aussi comment la démocratie et le développement étaient indissociables alors que les dictatures s’épanouissaient sur l’ensem-ble du continent. Il nous appelait chacun à notre poste de nous dépêcher de remplir toutes les conditions qui faciliteraient le décollage de l’Afrique car, ajoutait-il, nous y avons le plus strict intérêt en tant que nations riches. 43 années plus tard, ces pronostics s’avèrent plus que jamais crédibles au Togo comme à Djibouti où 28 ans après la première élection, le dictateur a été réélu hier alors qu’il était le seul candidat en lice.

Ce que nous faisons c’est une lecture politique de la stratégie française en Afrique subsaharienne et nous disons qu’elle continue à être marquée par la domination de l’Elysée et de l’Etat-major qui influencent par l’intermédiaire de réseaux occultes ce qu’il est convenu d’appeler la “ Françafrique ”. Or cette “ Françafrique ” continue à s’employer à saboter tous les efforts de renouveau. Cette “ Françafrique ” a empêché la constitution de la Commission d’enquête du Parlement sur le Rwanda. Cette Françafrique s’agite derrière le soutien de Sassou N’guesso et a entraîné des milliers de morts au Congo Brazzaville ; cette Françafrique permet le soutien aux dictateurs pour permettre à ces entreprises, Total, Bolloré, Cogéma, Bouygues, à son industrie de l’armement de garder ses positions face notamment à ses concurrents américains ou européens. Et nous, écologistes français, nous avons le devoir par rapport à l’Afrique, par rapport aux peuples africains mais aussi par rapport à notre propre peuple d’être les premiers à dénoncer les conséquences de cette politique menée par ces réseaux. Il y a trop de liens entre notre pays et le continent africain, trop de passions, trop d’histoire. L’idée que l’on entend traîner ici ou là que nous devrions nous débarrasser du soi-disant fardeau africain parce qu’il n’est pas rentable, que nous devrions tirer un trait sur les rapports franco-africains, est une idée erronée. Oui, nous ne voulons plus d’ingérence de l’armée et de l’Elysée dans les affaires africaines. Mais nous ne voulons pas non plus que l’ingérence soit remplacée par l’indifférence, la connivence par la banalisation des rapports franco-africains.

Ce lâchage programmé en fin de compte ne servirait qu’à mettre l’Afrique sous la coupe réglée des entreprises multinationales. Nous pensons qu’entre la politique de Foccart et la loi d’airain de l’Omc, il y a place pour des rapports euroafricains qui tiennent compte des peuples et du développement durable des pays du Sud. Ni la France, ni l’Europe ne peuvent envisager de tourner le dos à leur partenaire naturel du Sud. L’Afrique ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui si nous Français comme d’autres Européens : Allemands, Belges, Portugais ou Anglais n’y avions pas pillé impunément les ressources humaines et les matières premières, d’abord avec l’esclavage que l’Assemblée nationale a condamné ici même comme un crime contre l’humanité, ensuite avec le colonialisme, enfin avec le néocolonialisme qui sous l’égide de monsieur Foccart a exercé sa domination durant trois décennies.

Les discours lénifiants sur la coopération entre la France et Afrique n’ont pas de sens si nous ne les remettons pas dans ce contexte historique. Le néo-colonialisme n’est pas une invention, c’est une réalité d’aujourd’hui :

  Non, il n’y a pas de coopération possible sans démantèlement des réseaux de la Françafrique, sans démantèlement des dictatures clefs de la région et notamment de celle du Togo ;

  Non, il n’y a pas de coopération sans contrôle démocratique par le Parlement et la société civile de la diplomatie française ;

  Non, il n’y a pas de coopération sans soutien explicite aux processus démocratiques et coopération avec les partis démocratiques et progressistes ; c’est pourquoi nous demandons le contrôle des scrutins (bulletin unique, contrôle et révision des listes électorales, établissement des cartes électorales, renforcement des media locaux en langues locales et répartition du temps de parole...) ; ce sont toutes ces conditions qui, notons-le, n’existent pas aujourd’hui au Togo où des milliers de personnes ont manifesté encore hier pour simplement obtenir le droit de recevoir leur carte d’électeur ;

  Non, il n’y a pas de coopération sans une redéfinition des bases de la politique de l’immigration : c’est pourquoi nous demandons la régularisation des sans-papiers, la libéralisation de la politique des visas, la liberté de circulation ;

  Non, il n’y a pas de coopération sans contrôle des conséquences de la mondialisation néo-libérale en Afrique : c’est pourquoi nous demandons la levée du secret bancaire ; l’annulation de la dette ; la fin des paradis fiscaux, l’enquête sur les réseaux financiers et leurs implications politiques en France ;

  Non, il n’y a pas de coopération sans mémoire ni droit de réparation. C’est pourquoi nous demandons la création d’une commission d’enquête sur le Rwanda et d’une commission d’enquête sur la responsabilité de la France dans les crimes politiques (Sankara, N’Gouabi, Félix Moumié, Sylvanus Olympio....)

La conclusion politique d’un tel colloque est un exercice difficile surtout dans un contexte marqué par la dégradation de la situation dans l’Afrique subsaharienne, par la montée des tensions ethniques dans de nombreux pays dont la Côte d’Ivoire est le plus grave des exemples, par le dévoiement des processus démocratiques, par le développement des inégalités. C’est ce contexte et les responsabilités que la France y a eues et y tient bien souvent encore qui explique la dégradation du rayonnement de la France en Afrique.

La France, à tort ou à raison, est considérée comme l’héritière de la Déclaration des Droits de l’homme, de la Révolution de 89 et dans le même temps, nous méprisons ceux qui sont attirés par cette République des Lumières. La hache de Saint-Bernard, les expulsions des sans-papiers bâillonnés et enchaînés, les centres de rétention, la caution d’élections truquées, l’envoi de matériel militaire, le manque de transparence, tout cela ne peut pas être mis au compte des profits et pertes. Nous devons nous rappeler le discours inaugural de Sylvanus Olympio : “ L’idée de l’Unité africaine a fait du chemin. Pour des raisons peut-être faciles à comprendre, les puissances administrantes et européennes de l’Afrique occidentale ont peu fait dans le passé pour promouvoir une politique de coopération entre les différents territoires. La responsabilité de cette tâche audacieuse doit désormais incomber aux Africains eux-mêmes. Vive le Togo indépendant ”. Voilà pourquoi Sylvanus a été assassiné. Voilà pourquoi son fils Gilchrist Olympio ne peut pas se présenter aux suffrages. Voilà pourquoi la France de Chirac a installé et maintenu cette dictature pendant 42 ans et fait tout pour qu’une monarchie héréditaire continue à gérer les intérêts de la Françafrique.

Je ne me mettrai pas à la place de l’opposition togolaise pour savoir quelle est la bonne stratégie, le boycott ou la participation au scrutin du 24 avril. Ce qu’elle doit d’abord faire, c’est avant tout conserver son unité. Mon rôle à moi comme celui de mes collègues députés, le rôle des Verts comme de tous les démocrates en France, c’est de mettre fin à ce scandale des rapports entre la France et le Togo qui n’est pas une affaire interne au Togo ou à l’Afrique, mais qui est bien un scandale de la République, une affaire française de plus que nous devons dénoncer ici si nous voulons être dignes de cette maison, l’Assemblée nationale, qui est née de la lutte contre les tyrans. La liberté, l’égalité, la fraternité ce n’est pas seulement valable pour la France ou les Européens, c’est une aspiration de tous les peuples, de tous les Africains, de tous les Togolais.

Nous sommes tous des Togolais

Noël Mamère, député de la Gironde

*Le surtitre est de la rédaction

** Ce texte a été présenté par le député des “ Verts ”, un parti politique représenté à l’Assemblée nationale française, le 9 avril 2005, à l’occasion du Colloque de la Ligue des Droits de l’Homme. Le Messager le publie avec l’aimable autorisation des organisateurs.

Par Christian G. Roko(Syfia)

[ Douala - Cameroun ] ( 27/04/2005) Christian G. Roko(Syfia)

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