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Le 1er mai congolais

Le comble de l’absurdité c’est de voir un pays comme le Congo fêter le 1er mai, fête du travail. Par pudeur ou, disons, par honnêteté intellectuelle, le gouvernement congolais n’a pas organisé de défilé du 1er mai cette année. On ne peut que s’en féliciter.

Grâce soit rendue aux autorités congolaises pour avoir épargné cette comédie humaine à leurs compatriotes qui n’ont de la notion du travail qu’une vague idée. C’est le cas de 95 % d’entre eux. Dans un Etat où le chômage bat son plein et où les rues abondent de milliers de sans emplois, célébrer la fête du Travail eut été une insulte à l’intelligence de ce bon vieux Karl Marx, philosophe de la transformation en plus-value de la force de travail. Il s’agirait également d’une injure aux travailleurs américains du 19 è siècle, qui, les premiers, manifestèrent, au péril de leurs vies, pour obtenir la journée de 8 heures.

"Le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à environ 200.000 travailleurs américains d’obtenir la journée de huit heures."

Les Congolais voudraient bien eux aussi, le 1er mai, exprimer le plaisir de défiler pour marquer leur qualité de travailleurs quand bien-même, toujours selon l’auteur du Capital, il s’agisse d’aliénation car l’homme est exploité par un autre homme en masquant cette exploitation par un salaire.

Il ne reste pas moins que, pour reprendre une assertion triviale, le travail c’est la santé (ne pas travailler c’est conserver cette santé). Malheureusement, malgré l’immense masse financière que rapportent le pétrole et le bois congolais, ceux qui sont aux commandes du pays se fichent éperdument de la qualité de vie des Congolais en refusant de mettre en place une infrastructure industrielle susceptible d’accoucher d’une classe ouvrière, d’une classe moyenne, voire même d’une bourgeoisie industrielle ; autant d’indicateurs socio-économiques qui font la puissance d’une nation.

En dépit du bon sens, d’ordinaire les 1er mai ont souvent été illustrés par des parades sur le Bd des Armées. D’ailleurs le symbolisme de cette appellation toponymique n’est pas fortuit puisque, puisque, en raison de sa violence, la société congolaise a pour premier employeur l’armée, appareil répressif et budgétivore sur la virulence duquel compte un régime ayant accédé au pouvoir par les armes : coup d’état.

Dire que le 1er mai 2011 est teinté de morosité n’est pas simple figure de style. On vous parle d’un pays où le niveau d’écart entre ceux qui roulent sur l’or et ceux qui ont moins d’un euro par jour pour vivre est abyssal. Contre mauvaise fortune, le Congolais fait triste mine. La joie a longtemps quitté les moeurs sociales congolaises. Désormais ils ont pris leur distance du jeu politique, laissant champ libre à une clique de voyous de faire ce que bon lui semble. Chat échaudé craignant l’eau froide, le seul fait d’évoquer une discussion politique suscite des cauchemars, le syndrome du Beach (à la grande satisfaction du régime) ayant réussi de dégoûter le peuple de ce que Platon appelait l’art de s’occuper des affaires de la cité.

Au premier 1er mai à Chicago, les ouvriers se battaient pour réduire la journée de 12 h à 8 h. Au Congo le calembour a joué sur les deux unités de sens "7 heures de travail" /"7 heures au travail". En vérité ce jeu de mot visait, sous Yhombi, de tourner en dérision le discours démagogique d’un pouvoir qui parlait d’une notion (le travail) n’ayant aucun lien empirique avec le vécu de la population.

L’Ecole de Chicago

Ce n’est pas hasard si "L’Ecole de Chicago" (une approche de la sociologie urbaine) a coïncidé avec les revendications sociales aux Etats-Unis. Au Congo, la sociologie urbaine initiée par Georges Balandier dans les années 1950 s’inscrit dans le schéma d’intelligibilité de Chicago. Autant "Chicago" a canalisé des mouvements sociaux autant la Sociologie des Brazzavilles Noires, malgré les travaux des Roland Devauges, Côme Manckasa, Hugues Bertrand, Pierre Philippe Rey, Hilaire Babassana, n’a pas enclenché un climat d’insécurité épistémologique capable de déboucher sur des tensions syndicales de même nature que celles qui mirent fin au régime de Fulbert Youlou.

Il manque à Brazzaville un foyer de réflexion intellectuelle, en tant qu’objet de subversion, qui pourrait en faire voir de toutes les couleurs à l’oligarchie pétro-financière de Mpila/Oyo, comme La Sorbonne à l’égard de la IV è République gaulliste, avec à la clef Mai 68.

Le printemps congolais tarde à éclore.

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