email

Le Congo-Brazzaville entre panier de crabes et radeau de la méduse

Les populations du Congo-Brazzaville sont à la fois remontées comme une pendule contre le clan Sassou quant à la kleptomanie et la gabegie financière et face à leur misère, traumatisées par les atrocités de la guerre et tétanisées par la peur à la seule évocation des noms de Ndéngué, Dabira, Adoua, Alakoua, Okemba et Ntsourou. Et pourtant, l’envie d’en découdre avec ce panier de crabes est là, bien là.

Si une éclaircie ne fait pas le beau temps, la réalité le prépare. Mauvaise nouvelle après mauvaise nouvelle, catastrophe après catastrophe, brimade après brimade, humiliation après humiliation, injustice après injustice, la volonté d’en finir définitivement avec cette racaille est grandissante et demeure intacte. Au Congo-Brazzaville, chaque jour apporte son lot de souffrances sociales et de colères populaires, poisons pour les partis gestionnaires autiste et son « chemin d’avenir  », mixture de boules de naphtaline et vieilles ficelles, vitamines pour les formations d’opposition normalement constituées. Au Congo-Brazzaville, malheureusement, les partis d’opposition, insensibles aux souffrances des populations, sont en état de mort clinique.

Le Sganarelle congolais

Quand les membres du clan Sassou, au premier rang desquels figurent ses rejetons et ses neveux, paradent en frac de fric à l’instar de Christel Nguesso qui brasse plus d’un milliard de dollars par mois de surplus pétrolier sans en rendre compte à qui que ce soit (sauf à son géniteur Sassou Nguesso, chef du clan) tandis que les salaires sont en guenilles, le peuple quitte les oripeaux du désespoir pour endosser l’habit de colère. Une colère populaire sournoise et en sourdine qui se manifestera tôt ou tard. Ceux qui ont précipité les populations du Congo-Brazzaville dans la tourmente guerrière de 1997 entre Pascal Lissouba et Denis Sassou Nguesso en sortent plus vite qu’elles et plus forts que jamais : et si la guerre n’était que la plus perverse invention des nouveaux riches congolais pour s’accaparer les richesses du pays et pour essorer un peu plus les pauvres ? Trois mots d’économie suffisent, bien sûr, à démonter l’argument. "Voilà ton raisonnement qui a le nez cassé", dirait Dom Juan à Sganarelle.

Sganarelle n’en pense pas moins, car il croit ce qu’il voit. Et, aujourd’hui, il voit le Congo-Brazzaville comme une pyramide dont la base formée de l’essentiel de la population est souffrance et la pointe, constituée de la famille régnante et ses courtisans, est gabegie. Un peu de paranoïa et de théorie du complot pour achever de le désorienter, et voici que Sganarelle boude les urnes à l’image des dernières élections et envisage de voter avec ses pieds à l’instar de nombreux jeunes qui n’ont qu’un rêve pour une vie meilleure : quitter le pays.

Au bord de la crise de nerfs

Le sentiment général auprès de la majorité des Congolais est que la vie quotidienne est de plus en plus dure. Pour les congolais, la situation sociale se dégrade davantage et c’est un euphémisme de le dire. La chute du pouvoir d’achat face à l’inflation des prix des denrées alimentaires condamne de nombreuses familles à la précarité. Les ménages congolais sont soumis à l’inanition (la diète). On ne mange qu’une fois dans la journée. Alors que la manne pétrolière remplit les caisses de l’Etat, un appel au don aux personnes de bonne volonté pour rassembler 90 millions de francs CFA en vue de réhabiliter l’ascenseur du CHU de Brazzaville est lancé par Washington Ebina (Mwinda.org, 17 Avril 2011). Hallucinant. Révoltant.

Des manifestations de mauvaise humeur couvent à Brazzaville, Pointe-Noire, Makoua, Ouesso, Mbanza-Nganga, Londéla-Kaye, K éllé, Kindamba, Ouesso, Mossedjo, Impfondo, Bétou... Dans les grands centres urbains, et encore davantage dans les agglomérations rurales, la pauvreté est la chose la mieux partagée par les Congolais. Rarement, sans doute, le " système " congolais du chemin d’avenir aura paru aussi opaque. Rarement l’avenir n’aura semblé à la population du Congo-Brazzaville aussi incertain.

Import sans export

Les investissements directs étrangers (IDE) arrivent au compte-gouttes et essentiellement dans les hydrocarbures, qui représentent 80% des exportations.

On se trouve en présence d’une sorte de " croissance sans développement ", parce que l’argent trop facile du pétrole a donné au Congo-Brazzaville la mauvaise habitude d’acheter à l’étranger ce qu’il consomme. Pas assez de valeur ajoutée, pas de développement suffisant du secteur privé créateur d’emplois, pas de diffusion de la richesse dans la population qui survit parfois avec 150 francs CFA par jour. Le système scolaire et le système sanitaire sont en lambeaux. L’augmentation des salaires est reportée sine die, le passage du Smic de 49 à 54 000 francs CFA étalé en plusieurs années. On projette construire partout : autoroutes, immeubles, ponts, barrages, aéroports...

Mais cette politique des grands travaux engagée par Sassou Nguesso, Jean-Jacques Bouya et les agents du chemin d’avenir ne crée pas assez d’emplois pour endiguer le flot de chômeurs qui courent les rues de Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie, Nkayi, Mbomo, , Sibiti, Djambala et Owando. Et une minorité de nouveaux riches côtoie une masse grandissante de pauvres. C’est l’illusion de la croissance économique. Une croissance exogène tirée exclusivement par l’exploitation pétrolière.

La Tunisie et l’Egypte, en proie à des circonvulsions socio-politiques, ont démontré les limites du modèle de l’économie rentière. Le Congo-Brazzaville, qui est une économie rentière, échappera-t-il à cette faillite ? Le « chemin d’avenir »tant vanté par Sassou, ses amis et Télé Congo se présente comme la poule aux œufs d’or. Sauf que cette poule ne pond pas.

Rente

Un régime rentier est un régime où l’Etat exerce un très fort contrôle sur les sources de la richesse, une richesse produite sans création de valeur ajoutée dans le pays et largement dépendante de l’étranger pour sa valorisation. Souvent, lorsqu’on parle de régime rentiers, on pense immédiatement aux régimes pétroliers de l’Arabie saoudite, de la Libye ou de l’Algérie. Mais, en réalité, il existe aussi des états rentiers non pétroliers. L’Egypte, par exemple, vit du tourisme, des revenus des immigrés égyptiens à l’étranger, des revenus du canal de Suez et de l’aide américaine (Le Monde, 05 Février 2011). Au Congo-Brazzaville, les conséquences politiques de cette structure économique et industrielle rentière créent une asymétrie politique entre l’Etat et sa population, en ce que celui-ci accumule des richesses sans se soucier de la mise au travail de celle-là.

L’Etat a même avantage à ce qu’elle ne soit pas économiquement occupée, afin qu’elle ne puisse pas créer de richesse par elle-même, ce qui pourrait éroder le monopole de l’Etat sur la distribution des ressources de la rente. Mieux vaut avoir en face de soi des chômeurs ou des travailleurs précaires dont on achètera le soutien contre un logement, un emploi ou quelques avantages sociaux que de laisser se constituer une classe sociale créant de la richesse par elle-même et capable de s’autonomiser par rapport à l’Etat au point de commencer à lui demander des comptes et de contester son pouvoir. En somme, de quelque manière que ce soit, l’Etat étouffe l’éclosion d’une bourgeoisie nationale capable de procéder au financement des partis d’opposition. Aux yeux de Sassou Nguesso et ses agents du « chemin d’avenir » une bourgeoisie nationale constitue une menace au même titre que les partis d’opposition qu’ils ne cessent de museler et d’affamer. D’où l’asphyxie et l’étouffement dans l’œuf de cette bourgeoisie. Ce qui est, hélas, une vision à court terme. Cet État est à contre-emploi comme un acteur qui ne serait pas fait pour le rôle.

L’immense majorité des régimes d’Afrique fonctionne sur ce modèle et l’aide étrangère participe à sa consolidation comme le montrent par exemple les cas congolais, gabonais, camerounais, tchadien, angolais, nigérian, soudanais, égyptien etc...

Il pleut des pierres

La situation des populations paupérisées du Congo-Brazzaville interpelle au regard des retombées fiscalo-douanières consécutives à la hausse des matières premières. Le problème est simple : si l’on admet, avec tous les grands patrons mondiaux du pétrole et du gaz, que le prix des hydrocarbures ne peut que s’accroître au fil du temps, quelle part de ce surcoût rentrera dans les caisses de l’État congolais ? 5%, 25%, 50%, 75 % plus même ? En bonne logique et sauf si des accords particuliers ont été passés ici ou là, l’essentiel des recettes supplémentaires procurées par l’or noir devrait revenir à la nation congolaise ; ce qui aurait pour résultat de donner un formidable coup de fouet au développement du pays et de lui permettre de résoudre les problèmes sanitaires, sociaux, de formation, d’équipement auxquels il est présentement confronté. En dix ans, c’est un trajet deux ou trois fois plus long que le chemin d’avenir qui pourrait ainsi être parcouru ! (Les dépêches de Brazzaville, 15 Avril 2011). Où passent donc ces énormes ressources financières susceptibles d’améliorer le bien-être des congolais ? Une situation déplorable qui résonne en écho à une expression anglaise, à propos de la classe ouvrière qui n’en finit pas de subir : "Raining stones." Il pleut des pierres. Un jour, peut-être, les populations du Congo-Brazzaville les lanceront sur la gueule de leurs bourreaux. Comment le Congo-Brazzaville envisage-t-il d’organiser son « radeau de la méduse » en vue de se tirer des griffes de Sassou Nguesso et ses agents du « chemin d’avenir  » ?

Benjamin BILOMBOT BITADYS

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.