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Le cinglé de Laurent Gbagbo

Ca s’appelle débardeur, ça s’appelle aussi Marcel. Mais ça peut s’appeler aussi "Contre-sueur". Chez nous on désigne ce vêtement par le terme équivoque de "cinglé". En Belgique aussi.
Il semble que le mot "cinglé" nous vient de Bruxelles via Kinshasa.

Le cinglé c’est ce que Laurent Gbagbo a porté hier 11 avril à sa chute quand il est extrait de son Bunker. Ce sous-vêtement en cotes de maille prisé des Africains porterait désormais le nom de « Laurent Gbagbo » qu’il n’y aurait là rien d’étonnant. Un homme politique congolais (Kiganga) donna bien son nom à un maillot de bain.

Ceux qui voient des analogies symboliques partout ont dû faire le rapport avec Emery Patrice Lumumba qui, lui aussi, en 1961, portait un cinglé alors que ses tortionnaires le conduisaient vers son lieu d’exécution dans la province du Katanga.

Quel contraste entre l’image de Gagbo en contre-sueur et celle de sa prestation de serment il y a quatre mois lorsqu’il s’autoproclama Président de la Côte d’Ivoire devant le Président de la Cour suprême, Paul Yao Ndré, sur le sort duquel on est, du reste, sans nouvelles en ces temps très violents de purges post-conflictuelles.

Lors de la consécration de Laurent Gbagbo en tant que chef de l’Etat, le décor évoque celui du sacre de l’Empereur Bokassa 1er. Comme les tyrannies se ressemblent dans leur mise en scène !

Coupé-décalé

Au bout du compte, sous ses airs conviviaux, la Côte d’Ivoire est une société des extrêmes. On y est très peu à l’écoute du monde. Un règne de dix ans de présidence unique y a donné lieu à un dédoublement de la fonction présidentielle. En Côte d’Ivoire il ne suffit pas d’être ivoirien, il faut être plus ivoirien qu’ivoirien. Il faut prouver son ivoirité quand bien même on n’a rien à prouver. En fait, perfide, le statut d’ivoirité n’est réservé qu’aux Ivoiriens du Sud, de sorte qu’en l’instaurant ses partisans savaient que eux seuls pouvaient en avoir le monopole. Autrement dit, la nation ivoirienne fonctionne « avec exclusive ». Les Ivoiriens du Nord musulmans font partie du « tiers-exclu ». Quoiqu’ils fassent, seuls ceux du Sud chrétien auront l’exclusivité de l’ivoirité.

En ivoirité, le décalage entre imaginaire et réalité objective est énorme. Alors que les obus tombent sur la résidence présidentielle de Cocody, les occupants terrés dans le Bunker s’adonnent à la prière. S’identifiant à la lettre (au lieu de l’esprit) des Ecritures Saintes, Simone Gbagbo et son groupe de prière sont convaincus que comme dans L’Ancien Testament, l’Eternel enverra son armée céleste pour les délivrer. Quand il n’y a plus d’espoir, c’est là que le miracle commence.

« Dieu a trop attendu avant de nous secourir » a déploré une ivoirienne pro-Gbagbo.

«  Le temps de Dieu n’est pas le nôtre » lui a rappelé une amie en guise d’encouragement.

Si on en croit encore les partisans de Laurent Gbagbo, bien que prisonnier dans le camp de Ouattara, leur chef n’a pas encore dit son dernier mot.

Ce lundi 11 avril, jour de la Saint Stanislas, les occupants du Blockhaus présidentiel ont échappé de justesse à la St-Barthélémy. Simone Gbagbo, appelée "maman" est habillée en "mama" africaine lorsque le clan tombe aux mains de l’ennemi.

En ce jour de fin de règne, le décalage est immense entre le discours arrogant tenu au micro de Vincent Hervouët (LCI) et le personnage vêtu d’un "cinglé " qui joue le rôle de Laurent Gbagbo Koudou en assumant sa défaite. Car c’est une tragédie aimé-césairienne digne du Roi Christophe qui a eu cours dans cette ville d’Abidjan où celui qui se croyait investi d’un pouvoir à vie n’a que fiche des notions d’humiliation et de honte.

L’humanité entière qui pensait avoir tout vu des Africains avec leur "manière exagérée de vivre le monde" a eu son supplément caricatural avec un Laurent Gbagbo quasiment nu, enfilant sa chemise à fleur sur son "marcel" presque fripé avant de se livrer docilement à l’ennemi. L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie, elle est mûre pour la dictature. Elle entre dans l’histoire à reculons. Cette scène d’un soldat de Ouattara injuriant copieusement le cadavre d’un militaire de Gbagbo milite (dirait Guy de Maupassant) pour « l’ancienne barbarie. »

Gbagbo adore la vie, la sienne ..

"Ne me tuez pas" aurait dit Koudou Laurent Gbagbo à ses adversaires quand ils l’ont sorti du ventre blindé de son palais. Normal, Koudou aime la vie. Cela ne l’a pas empêché de sacrifier des vies humaines pour conserver son pouvoir jusqu’à la fin du monde. Il aime la vie, mais la sienne. Celle des autres ne l’intéresse que lorsqu’on est prêt de la sacrifier pour lui. Remarquez que tous les Princes de la terre ont cette conception de la vie. Gbagbo n’a pas l’exclusivité de la banalisation de la mort.

Personne n’est au courant des paroles prononcées par Lumumba entre les mains de ses bourreaux. On est au courant de ses ultimes lettres à sa femme Pauline. Ces missives d’un homme à l’article de la mort sont d’un héroïsme à nul autre pareil.

En tout cas, rien à avoir avec les supplications de Koudou Gbagbo. Les deux héros africains portaient donc un "cinglé". Le parallèle entre les deux hommes s’arrête là. A Cocody on a vu une baudruche se dégonfler. Là-bas, du côté du Katanga (dirait Henri Lopes) on a vu un héros gonflé à bloc. La différence est de taille.

Avis aux néo-panafricanistes de l’école ivoirienne : n’est pas Lumumba qui veut

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