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Courrier International :

Le fait d’avoir privilégié une solution purement militaire, plutôt qu’une solution politique, risque désormais de fragiliser Sassou

Trois semaines seulement après la victoire électorale de leur président, et alors même que les scrutins se poursuivaient (législatives, puis municipales et régionales), les Congolais ont vécu une nouvelle série de conflits armés, en trois épisodes majeurs.

• La première séquence débute dans la région du Pool pendant l’absence du président Sassou Nguesso. Ce dernier avait quitté Brazzaville, le 25 mars, pour prendre part au sommet économique sur le "Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique" (Nepad), à Abuja (Nigeria). Il ne devait revenir que le 7 avril. Durant son absence, le 2 avril 2002, un train de voyageurs, venant de Pointe-Noire et se dirigeant vers la capitale, a été attaqué dans le district de Mindouli (dans la région du Pool). Le bilan officiel fait état de deux morts et de douze blessés, dont cinq dans un état grave. Des conflits armés redémarrent dans cette région. Les rebelles prennent en otage quelques personnalités, dont un général des Forces Armées Congolaises (FAC) Casimir Bouissa-Matoko, alias Casis, et un spiritain, le père Jean Guth. Casis est un proche du président. À partir du 5 avril, des habitants du Pool commencent un exode vers Brazzaville.

Les gouvernants et les rebelles s’attribuent respectivement la responsabilité de ces attaques. Dès le 3 avril, le Haut commandement des FAC publie une déclaration, dans laquelle il dévoile que, depuis le 29 mars, des miliciens "Ninja" proches de Frédéric Binsangou, alias le révérend Pasteur Ntoumi, attaquent les positions militaires dans la région du Pool. Il tente de rassurer la population en affirmant que l’armée reprend le contrôle de ce territoire en bombardant les positions ennemies à partir des hélicoptères. L’utilisation du terme Ninja, pour désigner ces rebelles, tient à la fois de l’amalgame et de la propagande, car les miliciens mobilisés autour de Ntoumi, se reconnaissent, eux-mêmes, comme les Nsiloulou.

Comme toutes les milices congolaises, celles de l’opposition à Sassou Nguesso sont organisées en plusieurs "écuries" dont chacune représente une unité de combat autonome regroupée autour d’un chef. Le mouvement Nsiloulou était devenu célèbre pendant la résistance aux opérations de nettoyage et de blocages de la région du Pool en 1998-1999. Certains miliciens originaires du Pool rejoignirent alors le pasteur Ntoumi, qui dirigeait une secte néo-pentecôtiste. Celui-ci négocia la fin des affrontements en tant que président du Conseil National de la Résistance (CNR). Des rumeurs le présentaient alors comme une “taupe” de certaines factions au pouvoir.

L’opposition, quant à elle, dénonce une bavure des FAC. Selon cette version, des militaires des FAC se lançaient dans des manœuvres de provocation depuis un certain temps déjà temps. À la fin du mois de mars, l’armée avait renforcé sa présence à Kindamba, ce qui avait attiré l’attention des Nsiloulou. Le 1er avril, voulant s’enquérir de la situation, Ntoumi avait envoyé des émissaires à Kindamba. Les militaires les auraient accueillis par des coups de feu, tuant trois d’entre eux. Pour riposter, le 2 avril, les Nsiloulou attaquent des militaires dans certaines localités et les mettent en fuite. Certains, parmi eux, dans leur repli, cherchent, en tirant en l’air, à arrêter un train pour rentrer à Brazzaville. Or depuis 1999, un contingent militaire convoie le train pour assurer sa sécurité. Ces derniers, croyant à une attaque Ninja, ripostent.

• La seconde séquence commence le 9 avril à Brazzaville et entre en résonance avec la première. Ces événements débutent, quelques jours après le retour du président, à la suite du débordement d’une opération de police destinée à retrouver des miliciens Ninja appartenant à différentes écuries (dissidentes vis-à-vis de Ntoumi), et dispersés dans les quartiers sud de Brazzaville. Leur présence dans la ville entrait dans le cadre des négociations de paix supervisées par deux institutions officielles : le Comité de suivi de la Convention pour la paix et la reconstruction du Congo dirigé par Marius Mouambenga et le Haut-commissariat pour la réinsertion des ex-combattants dirigé par le colonel Michel Ngakala.

Or, avec le retour de la crise armée dans le Pool, les membres de l’élite politique de tous bords, craignant un débordement, voulaient caserner ces miliciens dans différents camps. En même temps, des rumeurs circulaient selon lesquelles les autorités arrêtaient des Ninjas dans les quartiers Sud de la capitale, provoquant ainsi la méfiance et la peur dans ces milieux. À ce moment-là, Willy Matsanga parvint à rassembler, chez lui à Makélékélé, un des quartiers sud, près de sept cents miliciens, en prétendant que “ l’encasernement ” était un piège pour les éliminer.

Willy Matsanga fait partie des miliciens les plus célèbres qui combattent pour le plus offrant. Originaire du Pool, il dirigea d’abord une écurie de Ninja. Dans ce cadre, il était apparu, de 1993 à 1996, comme l’un des hommes de confiance de Bernard Kolélas (alors maire de Brazzaville). Mais il se désolidarisa de ce dernier, lorsque celui-ci fut nommé, en 1997, au poste de premier ministre du président Pascal Lissouba. Dès lors, Willy Matsanga et son écurie de Ninja rejoignirent les milices "Cobra" et combattirent aux côtés de Sassou-Nguesso. La rumeur prétend que le président actuel lui doit sa victoire. À la fin des affrontements, Matsanga se retrouva conseiller du ministre de l’Intérieur. Mais, à la surprise générale, durant la campagne présidentielle de 2002, il rallia le candidat de l’opposition, André Milongo, pour assurer sa sécurité. Les Congolais interprétèrent cette volte-face comme un coup politique de Sassou Nguesso. Cependant, Willy Matsanga tenait des déclarations anti-gouvernementales laissant sous-entendre qu’il pourrait tenter un coup de force contre le pouvoir.

Pour désamorcer toutes les tensions contenues dans la reconstitution de l’alliance entre Willy Matsanga et certains Ninjas, une délégation du Comité de suivi et du Haut-commissariat de la réinsertion des ex-miliciens se rendit, le 9 avril, à son domicile. Les Ninjas imposèrent le Centre sportif de Makélékélé comme étant le lieu où ils souhaitaient être encasernés et promirent de s’y rendre, en fin d’après-midi. Cependant, ils ne respectèrent pas leur parole. Certains s’évanouirent dans la nature et d’autres se dirigèrent, semble-t-il, dans le Pool. Les gouvernants affirment qu’ils y rejoignirent le pasteur Ntoumi. Pour éviter d’être débordés par des ennemis difficilement identifiables, les militaires décident donc de boucler les quartiers Sud de Brazzaville, le 9 juin au soir, et utilisent des armes lourdes et légères. Ces actions provoquent la panique au sein de la population dont une grande partie se déplace vers les quartiers Nord. Certains membres des forces de l’ordre profitent de la situation pour piller. Dans la nuit, les autorités lancent des appels aux habitants pour qu’ils regagnent leurs quartiers.

• La troisième séquence se déroule deux mois plus tard. Tout comme au début du mois d’avril, le président de la République Sassou-Nguesso se trouve alors hors du pays (il participe au sommet de la FAO à Rome). Le jour de son retour, le 14 juin, coïncide avec une attaque “meurtrière” du camp militaire de la Base aérienne de Brazzaville. Selon la version officielle, les assaillants appartiendraient à une écurie Ninja, “Moufoutra”, dirigée par Laskipick (considéré comme l’un des lieutenants les plus efficaces de Ntoumi pendant les conflits de 1998-1999, Laskipick s’était ensuite séparé de lui pour former sa propre écurie). Leur attaque visait la destruction des deux hélicoptères militaires que les FAC utilisaient pour pilonner les positions des Nsiloulou dans le Pool. Cette interprétation officielle semble montrer qu’un lien s’est réinstauré entre Laskipick et ses anciens alliés.

Des explications de divers ordres (social, religieux, économique) peuvent être avancées pour comprendre ces conflits mais, pour commencer, une analyse politique s’impose. Dans ce sens, il convient de revenir sur trois faits : le contexte de leur déroulement, la multiplication des écuries et l’échec des politiques de démobilisation des miliciens.

Le contexte est celui de la préparation des législatives. Dans cette perspective, les enjeux électoraux se transforment. En effet, avec les consultations de janvier et mars, les électeurs avaient plutôt exprimé, par leur choix, à la fois le refus de la guerre et leur sentiment d’impuissance. À la veille de ces consultations une grande partie de Congolais affirmait : “Sassou, qui a gagné la guerre de 1997, est le seul à avoir un crédit à l’extérieur, des armes et, même en cas de défaite, il ne voudra pas quitter la présidence”. Pour une très grande partie de l’électorat, il valait donc mieux lui laisser la gestion du pouvoir politique pendant les cinq années à venir et s’organiser pour la suite. Seule l’usure, les dissensions internes à la classe politique ou la maladie pourrait l’emporter. Ainsi les deux premières consultations électorales, le référendum et les présidentielles, cristallisèrent cet état d’esprit en prenant la forme de plébiscite.

Ayant gagné par les armes, les nouvelles autorités privilégiaient plutôt une solution militaire. Ce qui correspondait à la réalité du pouvoir lui-même, où ceux qui avaient mobilisé le plus de combattants "Cobra", en 1997, contrôlaient à la fois le parti, le PCT, et l’armée, tout en entretenant, parfois, des liens avec les écuries de l’opposition. L’alliance la plus puissante porte le nom des Katangais et revendique une représentation territoriale : la région de la Likouala. Le secrétaire du PCT, Ambroise Noumazalaye, est leur leader. La situation, qui associe les “guerriers” et les “politiques” généra des tensions entre le président et ses alliés.

Sassou-Nguesso apparaissait, aux yeux de ces derniers, comme un usurpateur de leur victoire. Lui voulait, par contre, trouver un moyen pour réduire leur influence et ce, surtout, avec les élections législatives. Celles-ci, en changeant les modalités de gouvernement, menaçaient, précisément, la position des leaders des écuries "Cobra". Ces leaders s’organisèrent pour défendre leurs acquis. Ils s’appuyèrent, pour cela, sur leurs alliés, mêmes ceux de l’opposition. Ainsi certains doutent que Laskipick ait pu préparer une attaque contre la base aérienne avec sa seule écurie et évoquent des complicités dans les milieux militaires des FAC.

Le rappel de ces tensions politico-militaires peut permettre de comprendre un trait structurel des conflits congolais. Ils se produisent pendant l’absence du président et ne se résolvent pas sous la forme d’un coup d’Etat. Ils ont plutôt la fonction de résoudre, dans la violence, des luttes d’influence internes. Ces affrontements montrent aussi qu’il n’y a pas un mouvement homogène "Ninja". En effet, nous avons vu que le pasteur Ntoumi ne contrôle pas toutes les écuries. Des miliciens reconnaissent Laskipick, Willy ou d’autres, comme leaders. En outre, Ntoumi n’apparaît pas comme le plus virulent car il est le plus institutionnalisé dans sa position d’opposant. Certains témoignages révèlent que, peu avant les affrontements du 14 juin, Ntoumi manifestait l’intention de sortir de sa cachette avec les otages. Cette initiative était sur le point d’aboutir. L’échec de ces négociations peut être lié à la stratégie des écuries du pouvoir, qui préfèrent une situation d’affrontement militaire pour pouvoir continuer à renforcer leur position.

Il faut, enfin, noter l’échec de la politique de démobilisation des miliciens. Une écurie peut se reproduire après quelques années d’inactivité ; tel fut le cas de “Moufoutra”. En outre, d’un point de vue plus global, des alliances entre différentes écuries opposées peuvent se renouer. Ces conflits illustrent bien comment Willy Matsanga redevient un réunificateur des Ninjas. Cet échec de la démobilisation risque d’hypothéquer l’avenir du pays : le danger d’une reprise des conflits, à tout moment, reste en effet très probable. Le fait d’avoir privilégié une solution purement militaire, plutôt qu’une solution politique d’ensemble, risque désormais de fragiliser Sassou Nguesso, y compris à l’intérieur de son propre clan.

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