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Paris-Brazzaville : Le colonel escamoté

Comment la justice française relâche le chef de la police congolaise... qu’elle poursuit pour crimes contre l’humanité

Coup de fil du président Denis Sassou Nguesso à Jacques Chirac. Intervention de Dominique de Villepin. Au plus haut niveau de l’Etat, aucun effort n’a été ménagé pour « sauver » le colonel Jean-François Ndenguet, directeur général de la police congolaise, soupçonné par la justice française de crimes contre l’humanité.

Il est reproché à Ndenguet d’être impliqué, en 1999, au lendemain de la guerre civile qui sévissait à Brazzaville, dans l’exécution de 350 opposants congolais. Ce qui a suscité une plainte des familles des victimes, en France, instruite au tribunal de Meaux par le juge Jean Gervillié.

Retour sur une affaire rocambolesque, qui en dit long sur les relations franco-africaines. Jeudi 1er avril 2004. Le colonel Ndenguet déjeune tranquillement dans la villa de sa fille, à Meaux - il est environ midi - quand plusieurs gendarmes viennent l’interpeller. Ils veulent agir vite, car ils ont appris par des écoutes téléphoniques que ce policier de haut rang doit quitter l’Hexagone le surlendemain. Jean-François Ndenguet, qui se voit placé immédiatement en garde à vue, proteste : « Je suis couvert par l’immunité diplomatique. » C’est tout le problème... Pour en avoir le cœur net, les gendarmes se rendent au Quai d’Orsay. Réponse : « A priori, non. Mais on vous le confirme par écrit. » Surprise : le soir, à 22 h 27, le directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères fait savoir, dans un fax au procureur de Meaux, que Jean-François Ndenguet bénéficie bien de ladite immunité : « L’ambassadeur du Congo en France a certifié que M. Ndenguet, porteur d’un document signé par le président de la République du Congo, est en mission officielle en France à compter du 19 mars 2004. A ce titre, et en vertu du droit international coutumier, il bénéficie d’immunités de juridiction et d’exécution. »

Dès lors, pour le procureur de Meaux, en relation constante avec le parquet général de Paris, les choses sont claires : Jean-François Ndenguet doit être relâché. Une analyse que conteste le juge d’instruction, qui met en examen le haut fonctionnaire congolais. Et le fait placer en détention à la prison de la Santé.

Cette fois, c’est trop. Déjà le président Denis Sassou Nguesso a appelé Jacques Chirac, menaçant la France de représailles, tandis que Dominique de Villepin, inquiet, suit les événements de son bureau de la place Beauvau. Il faut éviter à tout prix une crise entre Brazzaville et Paris. Du coup, le référé liberté demandé par le procureur de Meaux et l’avocat de Ndenguet, Jean-Marc Florand, est examiné à 2 heures du matin, une procédure sans précédent. Monique Radenne, présidente de la chambre de l’instruction, décide, après examen du dossier, de libérer le colonel. Lequel quitte la Santé à 3 heures, accueilli par l’ambassadeur du Congo. Il s’envole quelques heures plus tard pour Brazzaville. Ainsi se termine, selon Me Patrick Baudouin, l’avocat des parties civiles, « une affaire qui, pour faire plaisir à un ami de la France, a fait jouer à la justice un rôle exceptionnel et stupide ».

© Copyright L’Express (17/05/2004)


Par : Anonyme
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