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Pétrole main basse sur l’Afrique

Arabie Saoudite, Irak, Asie centrale : le grand jeu américain du pétrole se déplace vers l’Afrique, culbutant les intérêts français. Principaux Etats cibles de cette nouvelle zone de coprospérité : l’Angola, le Nigeria et la Libye, parés soudain de vertus démocratiques.

Malabo, improbable capitale de la Guinée équatoriale, elle-même micro-Etat de 500000 habitants, situé entre le Cameroun et le Gabon, est désormais reliée par un vol direct à Houston (Texas), cœur du lobby pétrolier américain. Normal : cette ancienne colonie espagnole produit 400 000 barils par jour et, nouvel Eldorado, va bientôt devenir le troisième producteur de pétrole d’Afrique noire, derrière le Nigeria et l’Angola. Ambassadeur des Etats-Unis au début des années 1990, Chester Edward Morris bombardait son gouvernement de notes indiquant que la Guinée équatoriale « regorgeait de pétrole », sans susciter autre chose qu’une indifférence polie. Le voilà revenu. A la tête, cette fois, d’une compagnie pétrolière, Walter International. En fait, c’est la Guinée équatoriale tout entière qui est passée sous la coupe américaine, avec une position dominante des compagnies ExxonMobil et Triton. Les expatriés y vivent et y travaillent en vase clos : nourriture et boisson viennent des Etats-Unis. « Même les bananes », s’amuse Omar Bongo, président du Gabon voisin.

Avec la guerre en Irak, la déstabilisation de l’Arabie Saoudite, la montée d’un terrorisme ciblé sur les installations pétrolières et la volonté des islamistes de « rendre aux musulmans les richesses qu’Allah leur a confiées », la question de la pérennité des approvisionnements pétroliers éclate en plein jour. La clé ? L’attitude des Etats-Unis. Principaux consommateurs d’or noir, les Américains pourront-ils encore longtemps sacrifier à un modèle de développement énergivorace ? L’explosion actuelle des cours, avec ses conséquences sur la croissance mondiale, laisse entendre que la manœuvre est difficile (voir encadré). De là découle en tout cas la volonté farouche de l’Amérique de diversifier ses sources, en commençant par les pays non membres de l’Opep. Longtemps chasse gardée des pétroliers européens - Elf dans les pays francophones, BP et Shell dans les anglophones -, l’Afrique noire est ainsi devenue l’un des objectifs majeurs des compagnies pétrolières américaines, qui bouleversent la géopolitique des matières premières. « Le pétrole africain représente un intérêt stratégique national pour les Etats-Unis » , rappelle à qui veut l’entendre Walter Kansteiner, sous-secrétaire d’Etat en charge des Affaires africaines. Objectif réaffirmé par tous les dirigeants américains, à commencer par George Bush lui-même : l’Afrique doit fournir le quart du pétrole africain importé aux Etats-Unis, contre 17% aujourd’hui.

Cette stratégie ne date pas de son arrivée à la Maison-Blanche, ni même de la guerre d’Irak. Elle s’affirme dès la fin des années 1990, sous l’administration Clinton. « Contrairement aux idées reçues, Bill Clinton, politique et pragmatique, était plus proche des intérêts des pétroliers américains que ne l’est George Bush, idéologue et dogmatique », affirme un spécialiste, « et ce malgré ses liens et ceux du vice-président Dick Cheney avec les milieux pétroliers texans. » C’est la raison pour laquelle Clinton voulait régler le problème palestinien avant son départ alors que ce casse-tête n’est à l’évidence pas une priorité pour son successeur. S’il est élu, John Kerry poursuivra d’ailleurs la politique engagée par son prédécesseur démocrate. Le sénateur du Massachusetts vient d’affirmer sa volonté de « libérer l’Amérique de sa dangereuse dépendance vis-à-vis du pétrole du Moyen-Orient » et de se « confronter avec l’Arabie Saoudite, qui finance et assure le soutien idéologique d’Al-Qaida ».

L’administration Clinton et les compagnies américaines s’étaient mobilisées à partir d’un rapport que George Tenet, ex-patron de la CIA, avait présenté au Congrès sur la géopolitique du pétrole. L’Agence faisait état des difficultés politiques croissantes entre les Etats-Unis et les pays du Moyen-Orient, notamment en raison du conflit israélo-palestinien, et affirmait la nécessité de diminuer la dépendance vis-à-vis de cette zone. Tenet proposait que les principaux efforts portent désormais sur la mer Caspienne, « l’Arabie Saoudite du futur », mais surtout sur « l’Atlantique », c’est-à-dire l’Amérique latine (Mexique, Venezuela) et l’Afrique (golfe de Guinée, du Nigeria à l’Angola), sans oublier l’Algérie et la Libye. Objectif : trouver de nouvelles sources, faire pression sur les producteurs moyen-orientaux.

Bien vu : en 2001, sur les 8 milliards de barils de réserves nouvelles découvertes dans le monde, 7 venaient du golfe de Guinée ! Pour les spécialistes, le potentiel de croissance y est désormais plus élevé qu’en Russie ou dans la mer Caspienne. Avantage sup-plémentaire : le pétrole africain n’est qu’à sept jours de mer de la côte Est, par une route de haute mer relativement à l’abri des attaques terroristes, ce qui réduit de 8 dollars par baril le coût de transport et d’assurance.

Le rapport de la CIA est immédiatement suivi d’effets.« C’est à ce moment-là que l’on a senti monter brusquement l’agressivité américaine en Afrique, en Angola, en Algérie, au Nigeria, raconte Christophe de Marjorie, patron de l’exploration production chez Total. « Notamment avec la décision d’Exxon-Mobil de mettre en exploitation les gisements découverts au Tchad. » Pour sortir le pétrole de ce pays enclavé, la compagnie américaine décide de construire un oléoduc à travers le Cameroun, jusqu’à la mer. Les Américains au Tchad et pas Elf ? C’est le symbole du déclin français en Afrique. Car la France a, pendant des années, au prix d’un énorme effort militaire, défendu le Tchad contre les visées du colonel Kadhafi. Présidée alors par Philippe Jaffré, c’est Elf, au moment décisif, qui a refusé de s’engager. En raison de sa vision strictement financière du métier et surtout par souci de rupture avec la politique conquérante et les pratiques corruptrices de Loïk Le Floch-Prigent, son prédécesseur honni, Jaffré se détourne délibérément de l’Afrique, qui a fait la fortune d’Elf, mais qu’il connaît mal et n’aime guère : au même moment, Elf cesse pratiquement d’investir au Congo et au Gabon, dont la production décline aussitôt.

Mais c’est en Angola, un pays qui produit 1,5 million de barils de pétrole par jour et deviendra, au milieu de la décennie, le premier producteur africain, que le recul relatif de la France est le plus prononcé. Le plus polémique aussi. Le président Eduardo Dos Santos a récemment décidé de geler le développement de Total. L’ambassadeur de France à Luanda n’a pas reçu ses lettres de créances et celui de l’Angola à Paris n’a pas été nommé. Le bras de fer dure depuis plusieurs années. En juin 2001, venu à Luanda pour y rencontrer le chef de l’Etat, Thierry Desmarest, patron de Total, a dû patienter dans les fauteuils de cuir blanc du palais présidentiel de Futungo jusqu’à ce que le chef de cabinet vienne l’informer d’un contretemps : le président devait prendre connaissance d’un courrier urgent ! Humilié, Desmarest a repris son avion sans avoir vu Dos Santos. Aujourd’hui Total s’efforce en vain de convaincre les Angolais que leur hostilité fait autant de tort à la compagnie et à ses partenaires qu’à eux-mêmes.

La manière dont les Etats-Unis sont parvenus à faire entrer l’Angola dans la zone d’influence anglo-saxonne, au détriment de la France, est un modèle du genre. L’enjeu était considérable. Les découvertes de pétrole augmentent de trimestre en trimestre : 19 gisements géants, soit des réserves supplémentaires de 13 milliards de barils de pétrole et 2100 milliards de m3 de gaz, ont été identifiés en 2000 et 2001. Cela représente la moitié des découvertes mondiales de pétrole et les deux tiers de découvertes de gaz au cours de cette période ! Et porte les réserves à soixante années de production. « L’Angola dominera le marché pétrolier du XXIe siècle comme l’Arabie Saoudite celui du XXe », affirment les meilleurs experts pétroliers.

Face aux rigidités idéologiques françaises, le pragmatisme américain a fait mer-veille. Jusqu’en 1990, hostile au marxiste Eduardo Dos Santos, leader du Mouvement populaire de Libération de l’Angola défendu par l’URSS et les troupes cubaines, les Etats-Unis soutenaient l’Unita de Jonas Savimbi, qui contrôlait l’intérieur du pays. Après l’effondrement de l’URSS, les Etats-Unis renouent sans complexe avec l’ex-marxiste, qui contrôle la bande côtière où se situe l’eldorado pétrolier ! Alors que le gouvernement Balladur continue de soutenir Savimbi, contre les recommandations de l’ONU... Avec l’homme d’affaires Pierre Falcone, la France disposait d’un atout. Chef d’orchestre de la vente d’armes russes à l’Angola, Falcone était parvenu, par surcroît, à réduire à néant la dette de ce pays contractée du temps de l’URSS. A partir de 1995, l’homme d’affaires devient l’homme de confiance de Dos Santos. Mais cet atout va se retourner brutalement contre la France, avec la mise en examen pour « trafic d’armes » et l’incarcération, pendant un an, de Falcone par le juge Philippe Courroye. Dos Santos utilisera tous les moyens à sa disposition pour soutenir Falcone, allant jusqu’à le nommer représentant de son pays auprès de l’Unesco pour le soustraire à son contrôle judiciaire et lui permettre de quitter la France.

Nombreux sont ceux qui pensent, aujourd’hui, à une manipulation de la justice française par les services américains, avec la complicité d’une partie de la DGSE. Dos Santos s’est en effet détourné de la France pour jouer la carte américaine. Peu de temps après avoir éconduit le patron de Total, il était reçu officiellement par George Bush, Dick Cheney et Colin Powell. Avant de reprendre l’avion, Dos Santos affirmait publiquement qu’en tant que pays producteur de pétrole n’appartenant pas à l’Opep l’Angola voulait « travailler avec les Etats-Unis pour contribuer à leur sécurité énergétique ».Cet intérêt pour les Etats-Unis touche même le Gabon, le plus fidèle allié de la France dans la région. Omar Bongo vient d’être reçu par George Bush, qui lui a assuré que l’Amérique ne lui tiendrait pas rigueur de son soutien actif à la France lors de l’invasion de l’Irak. Et les Américains ont levé leur blocage à l’accord de rééchelonnement de la dette du Gabon avec le FMI.

« La France a des complexes. Elle se tire des balles dans le pied quand les autres avancent ; ses représentants ont pratiquement disparu dans les organisations internationales », déplore Omar Bongo. « Comment ne pas être tenté de nous mettre directement sous l’aile américaine ? » Comme beaucoup d’observateurs, le chef de l’Etat gabonais est bluffé par l’impudence des Américains lorsque leurs intérêts sont en jeu : « Notamment lorsqu’ils affirment, au FMI, que l’Ouganda est une démocratie... » Idem pour le Nigeria ou le Congo ex-Zaïre.

Avec la Libye, le pragmatisme confine au cynisme. Le 23 avril, Bush annonce la levée partielle des sanctions unilatérales encore en vigueur contre Tripoli. Oublié, l’attentat contre le Boeing 747 de la PanAm à Lockerbie et la lutte contre le terrorisme. La voie est ouverte pour le retour des compagnies américaines. L’accord sent le pétrole, dans un pays où les réserves prouvées atteignent 36 milliards de barils, soit cinquante-huit ans d’exploitation au rythme actuel. Un quart du territoire seulement est prospecté. « Nos réserves pourraient dépasser 100 milliards de barils », affirmait récemment Fathi Shatwan, ministre libyen de l’Energie. Il y a douze ans, les compagnies américaines avaient été obligées de partir. Elles vont revenir en force. Dur pour les européens Total, Repsol, Wintershall ou ÖMV, qui s’étaient faits une place au soleil !

Pour garantir leurs approvisionnements, les Américains sont même prêts à jouer le rôle de gendarme jusque-là dévolu à la France. Ils négocient ainsi la création d’une base militaire dans l’île de Sao Tomé, au large du Gabon, à partir de laquelle ils pourraient intervenir dans tous les pays du golfe de Guinée, de la Côte-d’Ivoire à l’Angola. Des blocs pétroliers off-shore ont été mis aux enchères, essentiellement auprès de compagnies américaines. Avant même que la première goutte de pétrole exploitable ait été trouvée, les simples permis de recherche rapportent déjà annuellement 210 millions de dollars (l’équivalent de quatre ans de PIB) à cet Etat de 140000 habitants, l’un des plus pauvres et des plus endettés du monde ! Une tentative de coup d’Etat a eu lieu en juillet 2003. Les Etats-Unis l’ont fait échouer. L’ordre américain règne désormais dans le golfe de Guinée.

Airy Routier

www.nouvelobs.com/

NDLR : Cet article ressemble à une fable qu’on pourrait intituler "Quand l’hôpital se moque de l’infirmerie ! "

Si les français perdent une grande part de leur zone d’influence dans le golfe de Guinée au profit des américains, c’est que la politique versatile et arrogante de Paris y est sans doute pour quelque chose. On se souvient du gouvernement Giscard dont les accointances avec les gouvernements et dictatures africaines étaient très largement soutenues par la politique Foccart et les manigances de la bande à Pasqua.

Mitterrand, puis Jospin qui par le jeu de la cohabitation a prolongé son action, se sont progressivement dégagés de leurs ex colonies, les laissant dans un quasi-abandon.

La France paye donc aujourd’hui gravement ce désengagement, mais il n’y a pas de raison de pavoiser. Comment préférer la peste au choléra ?

Dans tous les cas il s’agit de colonialisme économique patent.

Niaou.

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