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Pour quelques barils de plus

Presqu’île de Bakassi entre Nigeria et Cameroun, îlot de Mbagné entre Guinée équatoriale et Gabon : le contrôle des zones pétrolifères offshore alimente les contentieux territoriaux. Les États recherchent néanmoins des solutions pacifiques en recourant à l’ONU ou à la justice internationale.

« Le pétrole tue », a-t-on coutume d’entendre en Afrique centrale. Le golfe de Guinée, deuxième réservoir mondial de brut après le golfe Arabo-Persique, n’échappe pas à la « malédiction de l’or noir ». L’Angola, le Congo-Brazzaville, le Nigeria... ont connu rébellions, émeutes ou guerres de sécession, fruits de rivalités pour le contrôle de la rente pétrolière.
Avec l’assèchement des gisements dans certains pays, les conflits débordent du cadre « intraétatique » pour prendre la forme de litige
s « interétatiques ». Même si ceux-ci se limitent, jusqu’ici, à quelques escarmouches n’ayant jamais pris l’envergure d’une guerre.

Le Gabon et la Guinée équatoriale inaugurent la série dès le 12 août 1972, quand le Conseil des ministres gabonais porte à 100 milles marins la limite des eaux territoriales du pays, pour y englober Mbagné, Conga et Cocotiers, trois minuscules îlots faisant face à la baie de la Mondah et situés à portée de pirogue de Cap Estérias et de Pointe Akanda, proches de Libreville.

La Guinée équatoriale réagit, conteste la souveraineté gabonaise. Il s’ensuit des échanges de tirs dans la zone litigieuse. Le Gabon poste un détachement de gendarmes sur Mbagné. La tension retombe suite à la médiation entreprise par Marien Ngouabi et Mobutu Sese Seko (à l’époque présidents du Congo et du Zaïre) qui aboutit à une rencontre à Bata (Guinée équatoriale), en septembre 1974, entre Omar Bongo Ondimba et Francisco Macias Nguema.

Une trentaine d’années plus tard, le conflit rebondit dans un contexte marqué par deux nouveaux éléments : un boom pétrolier en Guinée équatoriale concomitant au début de l’ère post-pétrolière au Gabon ; les soupçons de la présence de pétrole dans les fonds marins qui entourent les 30 hectares de l’île de Mbagné, après la découverte du précieux liquide aux alentours de l’îlot au milieu des années 1990. Autrefois abandonnées aux tortues marines et aux plaisanciers qui y accostaient pour quelques heures, ces eaux deviennent subitement un enjeu stratégique. Surtout pour le Gabon, dont la production d’or noir - qui représente 81 % de ses exportations, 66 % de ses recettes budgétaires et 42 % de son Produit intérieur brut - ne cesse de décliner depuis 1998. L’État gabonais assiste impuissant à la baisse du rendement du site onshore de Rabi-Kounga - qui représentait quelque 60 % de la production nationale - sans parvenir à découvrir de nouveaux gisements significatifs dans le pays. Après avoir culminé à 18,46 millions de tonnes en 1997, la production chute ainsi à 12,3 millions de tonnes en 2003 et ne devrait atteindre que 6,2 millions en 2008.

Délogé en 2002 de la place de troisième producteur africain (derrière le Nigeria et l’Angola) par la Guinée équatoriale, celle-là même qui lui dispute Mbagné, le Gabon ne tarde pas à réagir. Comme dans un réflexe de survie.

Le 26 février 2003, Ali Ben Bongo, ministre gabonais de la Défense, débarque à Mbagné en compagnie des responsables de tous les corps de l’armée, « réaffirme la souveraineté gabonaise » sur l’îlot et promet de renforcer les moyens humains et matériels déployés sur place pour « faire face à toute sorte d’agression ».

Le propos est pris pour un casus belli par le Premier ministre équatoguinéen, Candido Muatetema Rivas, qui exprime aussitôt « sa profonde préoccupation et son indignation face à l’occupation illégale par le Gabon de l’îlot de Mbagné ».

Avec 700 millions de dollars de revenus pétroliers par an, un taux de croissance supérieur à 10 % et un rôle grandissant dans la sous-région, la Guinée équatoriale découvre depuis une dizaine d’années les fastes de l’or noir. Et elle ne demande qu’à en avoir plus. La Cour internationale de justice (CIJ) l’a par exemple autorisée, le 21 octobre 1999, à intervenir dans la procédure de délimitation de la frontière maritime entre le Cameroun et le Nigeria, pour s’assurer qu’aucun de ces deux pays ne lui grignote le moindre millimètre carré de ses eaux territoriales.

Mais les pétrodollars potentiels de Mbagné ne font pas perdre la tête à Omar Bongo Ondimba et Teodoro Obiang Nguema, qui gèrent pacifiquement, jusqu’à présent, leur différend. Ils acceptent la médiation du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui a chargé l’avocat canadien Yves Fortier, ancien membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, de trouver « une résolution équitable pour les deux parties », d’ici à septembre 2004 au plus tard (voir encadré).

Le modèle de règlement pacifique du litige camerouno-nigérian aurait-il fait des émules ? Abuja et Yaoundé se disputent également un bout de terre sur la mer : Bakassi. Cette péninsule de 1 000 km2, couverte de mangroves et de marécages, est peuplée de manière saisonnière par quelque 9 000 personnes. Ses eaux territoriales, sillonnées par des pêcheurs nigérians, sont riches en pétrole. La souveraineté camerounaise y a été confirmée par la CIJ le 10 octobre 2002.

Les deux affaires, Bakassi et Mbagné, ont ceci de commun qu’elles opposent à chaque fois une partie bien pourvue (le Nigeria ou la Guinée équatoriale), qui en veut un peu plus, s’oppose à une autre (le Cameroun ou le Gabon), qui en a de moins en moins et qui craint de se retrouver avec rien.

Premier producteur de brut en Afrique, le géant nigérian est fort des réserves les plus importantes du continent (30 milliards de barils), et va accroître sa production d’au moins 50 % d’ici à 2013. À l’inverse, le Cameroun connaît, depuis 1986, un épuisement progressif de ses gisements. De 9 millions de tonnes en 1985, sa production est passée à moins de 6 millions en 1993, pour se stabiliser aujourd’hui autour de 5 millions de tonnes.

Pourquoi le Nigeria, qui regorge de pétrole, s’est-il engagé, depuis 1981, dans une bataille diplomatique et judiciaire qui a coûté d’importants frais de mission, de procédure et d’honoraires, pour déboucher sur... un arrêt de 151 pages de la CIJ donnant raison au Cameroun ? Pourquoi cette décision a-t-elle aujourd’hui du mal à être appliquée, au grand dam des deux pays qui continuent de financer les interminables réunions d’une commission mixte, et qui doivent de surcroît mobiliser pas moins de 6 millions de dollars pour borner leur frontière terrestre commune ?

C’est qu’en vingt ans de litige Bakassi est devenue, au-delà du pétrole, une question d’orgueil, un point de confrontation des nationalismes camerounais et nigérian. Chacune des deux opinions publiques avait épousé la cause, et exigeait la souveraineté sur la péninsule. Sa Majesté Edidem Nta Elijah Henshaw VI, souverain du royaume traditionnel de Calabar (capitale de l’État nigérian du Cross River), s’était ainsi rendu devant la CIJ en mars 2002 pour expliquer que les Efiks, ces pêcheurs installés de longue date à Bakassi, ne pouvaient pas devenir camerounais.

Bien doté par la nature, le Nigeria a l’impression que l’argent du pétrole lui file entre les doigts. Après avoir engrangé 340 milliards de dollars de revenus pétroliers entre 1973 et 2002, le pays est surendetté et les deux tiers de la population vivent avec moins de 1 dollar par jour. Bien qu’étant beaucoup plus riche en pétrole que le Cameroun, le Nigeria en a davantage besoin que lui. Abuja a une dépendance « vitale » vis-à-vis de l’or noir, qui lui fournit 98 % de ses recettes budgétaires, contre 55 % pour Yaoundé. Deux fois moins étendu et sept fois moins peuplé que le géant nigérian, le Cameroun exporte en effet deux fois plus de produits industriels que lui.

Mais le pétrole ne suscite pas que des litiges dans le golfe de Guinée. Il offre aussi quelques cas de coopération économique, comme la Zone d’exploitation conjointe (ZEC) du Nigeria et de São Tomé, dont les revenus sont partagés à hauteur de 60 % pour le premier, et 40 % pour le second. Une solution exemplaire aux conflits territoriaux, sur fond d’enjeux pétroliers, qui n’ont sans doute pas fini de secouer l’Afrique.

Cheikh Yérim Seck
www.jeuneafrique.com

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