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Pointe-Noire

Santé/Justice : le schisme

Notre confrère « La Semaine Africaine » a publié dans son N°2613 du 21 juillet, un article signé Joël Nsoni annonçant la suspension de monsieur Charles André Loemba de sa charge de Procureur de la République de Pointe-Noire. C’est pourtant dans son bureau du Tribunal de Grande Instance que, le 28 juillet, Congopage est allé demander à l’intéressé sa version des faits.

Article de Joël Nsoni dans l’édition du 21 juillet de « La Semaine Africaine » :

Tribunal de grande instance de Pointe-Noire

Charles André Loemba suspendu de ses fonctions de procureur de la République

Une mesure disciplinaire vient d’être prise à l’encontre du procureur de la République du Tribunal de grande instance de Pointe-Noire, M. Charles André Loemba. II a été, suspendu de ses fonctions. Ce fait constitue un événement dans le monde de la Justice, à Pointe-Noire, dans la mesure où, malgré de nombreux scandales ju¬diciaires dénoncés par le président de la République et des montagnes de rapports qui croupissent à l’inspec¬tion des juridictions et des services judiciaires, aucune mesure, ne fut-ce conservatoire, n’a été prise contre des magistrats à qui l’on reproche certaines indélicatesses.

Pour le cas présent, le procureur de la Répu¬blique, Charles André Loemba, avait procédé à l’ar¬restation, dans la nuit du 9 au 10 juin 2006, de Mme Mboun¬gou, infirmière de garde et chef de service à l’hôpital A. Sicé de Pointe-Noire, au motif de non assistance à person¬ne en danger. Tout en laissant les aspects juridiques de cet¬te affaire, voici relaté briève¬ment les faits : Une personne victime d’un in¬cendie est emmenée à l’hô¬pital A. Sicé, dans la nuit du 9 au 10 juin 2006. L’infirmière de garde, Mme Mboungou, exa¬mine les brûlures et se reti¬re pour confectionner une or¬donnance médicale, dans son bureau. C’est tout ce qu’elle peut faire, puisque les servi¬ces d’urgence n’ont rien pour pouvoir assurer les premiers soins. Lorsqu’elle réapparaît, les accompagnateurs à qui était destinée l’ordonnance, pour acheter les produits pharmaceutiques devant ser¬vir aux premiers soins du brûlé, avaient disparu. Le brûlé demande alors l’ordonnan¬ce pour aller chercher, lui¬ même, les médicaments. A contrecoeur, l’infirmière la lui remet.

Une personne, accompagnée des agents de l’ordre, fait son entrée, une heure plus tard, à l’hôpital et demande à l’infirmière de le suivre. C’était le procureur de la République, Charles André Loemba. Cet¬te arrestation hors de toute procédure légale, d’un fonc¬tionnaire en plein service, serait passée pour un fait ba¬nal, comme tant d’autres grands scandales dénoncés dans les juridictions et les services judiciaires du pays, et dont Pointe-Noire, la capi¬tale économique, détient le record, si la réaction du corps médical, dans son ensemble, par solidarité à leur collègue, n’a pas été aussi vive, allant jusqu’à secouer l’establishment politico administratif de la capitale économique. Une grève instantanée était, en effet, décrétée, sans préa¬vis, par les hommes et les femmes en blouse, dans tou¬te la ville océane, paralysant ainsi tous les hôpitaux et cen¬tres médicaux publics. Bien sûr, les malades en ont fait les frais, comme on peut aisé¬ment l’imaginer, avec des cas dramatiques que cette grève a pu provoquer.

Autant d’indélicatesses qui ont amené le ministre de la justice, garde des sceaux, à prendre la décision conser¬vatrice de suspendre Charles André Loemba de ses fonc¬tions de procureur de la Ré¬publique, en attendant la ses¬sion du conseil supérieur de la magistrature où son cas sera examiné, parmi d’autres. La déchéance du procureur de la République de Pointe¬-Noire n’est considérée, par le commun des justiciables, comme une sanction acci¬dentelle ou circonstancielle. Au-delà des aspects juridi¬ques, cette affaire soulève un grave problème socio-sani¬taire dans notre pays. Au lieu de s’en prendre aux inno¬cents, médecins et infirmiè¬res, la justice devait indexer les directeurs des hôpitaux et centres médicaux pour leur irresponsabilité. Au Congo, la notion des premiers soins dans nos hôpitaux n’existe plus. Même les accidentés, ayant perdu connaissance, ne trouvent comme premiers soins, dans nos hôpitaux, que des ordonnances médicales. La visite du président de la République au C.H.U., où il était scandalisé par le dénuement du service d’urgence, a-t-elle permis aux responsables des structures sanitaires de remédier à une telle situa¬tion ?

Joël NSONI


Entretien entre monsieur André Charles Loemba, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pointe-Noire et Daniel Lobé Diboto, envoyé spécial de Congopage.

André Charles Loemba, Procureur de le République près le TGI de Pointe-Noire

«  Daniel Lobé Diboto : Monsieur le Procureur, la presse vous a annoncé comme suspendu de vos fonctions, or je vous trouve installé dans vos bureaux, qu’en est-il ?

André Charles Loemba : D’où tenez-vous cette information ?

DLD : D’un article publié dans le numéro 2613 du 22 juillet 2006 de « La Semaine Africaine » que j’ai dans ma serviette.

ACL : Vous, les journalistes, propagez parfois des informations erronées. J’ai toujours dit que vous devez toujours prendre l’information à la source. Je crois que dans cette affaire le journal aurait du recouper son information en se rapprochant du Procureur de la République afin de lui demander la véritable information. J’ai moi aussi lu l’article de ce journal et j’ai pu constater que les faits sont déformés. Ceci les engage, en tout cas vous pouvez constater que je suis en fonction.

DLD : Que s’est-il réellement passé ?

ACL : Je ne me suis jamais défilé devant la presse, ni pour m’exprimer ni pour me justifier. Je suis magistrat et en tant que tel je suis tenu au devoir de réserve, j’y tiens. Il arrive cependant des moments où les circonstances peuvent nous faire sortir de cette réserve.

Je saisis avec bonheur l’occasion que vous me donnez de parler de cette affaire qui défraie la chronique dans le pays, en vous répondant en ces lieux pour relater ma version des faits.

De quoi s’agit-il ? Dans la nuit du 9 au 10 juillet, alors que je m’apprête à me coucher aux environs de 22 heures. Je reçois un appel téléphonique émanant d’une personne de bonne foi qui m’informe de ce qu’un incendie se serait propagé dans un quartier de la zone du lycée. Une fillette de deux ans avait été carbonisée. Je me suis déplacé sur les lieux du sinistre où je trouve sur place les pompiers et des agents de police. J’ai fait appel au commissaire central qui m’a rejoint sur les lieux. Ensemble nous avons fait le constat au cours duquel nous avons pu voir que le père de famille était lui aussi brûlé aux deux bras au second degré. Bien entendu les curieux ne manquaient pas, d’autant plus que dans ce quartier la population est dense. J’ai donc demandé à quelques personnes présentes de conduire le sinistré à l’hôpital.
Je ne le connaissais pas mais j’ai pensé qu’il requerrait des soins d’urgence. Vingt minutes plus tard, alors que nous poursuivions notre constat, le blessé revient sans avoir reçu de soins. Il se confie à moi me disant qu’on lui a dit que tant qu’il ne paierait pas il ne recevrait aucun soin. Ce fait nous a tous fortement dérangés. Je lui ai demandé de se calmer et d’attendre que nous ayons fini le constat. Un corbillard est arrivé, dans lequel j’ai embarqué le corps de son enfant et je lui ai demandé d’entrer dans un taxi sous l’escorte de deux policiers lui promettant de le conduire à l’hôpital pour qu’il puisse y être soigné. Je ne conçois pas qu’on puisse faire passer l’argent avant les soins pour des gens qui sont dans un tel état.

A notre arrivée à l’hôpital A.Sicé, j’ai pu de visu me rendre compte que personne ne s’intéressait le moins du monde à mon malade. J’ai cherché à en connaître les causes. On m’a fait comprendre, que la première fois il avait été reçu par l’infirmière major du service. J’ai cherché à la rencontrer, elle dormait quelque part, on est allé la chercher. JE lui ai demandé les raisons de son comportement vis à vis de ce malade en détresse. Monsieur le journaliste, je vais vous laisser juge de la réponse qui m’a été faite : « Mais vous voulez que je fasse quoi ? ». J’ai mal digéré cette réponse agressive et désobligeante. Vous savez que pour le corps médical, la moindre des choses est de recevoir le malade, de l’installer quelque part et de lui administrer les premiers soins. Ensuite, voir comment on peut trouver des produits pharmaceutiques. J’ai donc demandé aux policiers qui m’accompagnaient d’interpeller l’infirmière. Je l’ai mise à la disposition de la police qui l’a mise en garde à vue au commissariat central sur mes instructions.

Pendant ce temps, j’ai demandé aux autres infirmiers de service de prendre en charge le sinistré, de l’installer et de lui administrer les premiers soins. J’ai alors regagné mon domicile. A ma grande surprise, aux environs de minuit, une heure du matin, on m’appelle pour me dire que le même malade s’est vu refouler de l’hôpital. C’est l’officier de permanence au commissariat central qui m’en informe. Je les instruits de faire le nécessaire pour le conduire à l’hôpital militaire où il a été reçu, hospitalisé et a reçu des soins. Voilà ce qui s’est passé.

Le lendemain matin, j’apprends qu’à l’hôpital, le corps médical refuse de s’occuper des malades tant que l’infirmière n’aura pas été libérée. Je demande alors que l’infirmière soit conduite dans mon bureau, je pensais l’interroger sur ce qui pouvait arriver. Dans le même moment le commissaire central qui se trouvait dans la zone de l’hôpital général ayant constaté l’effervescence qui y régnait, m’a appelé pour m’en faire part, et que pratiquement tout le personnel médical refusait de rejoindre leur service tant que leur collègue ne les avait pas rejoints. J’ai appelé le directeur de l’hôpital qui est arrivé, nous avons discuté, ça n’a pas duré longtemps et je leur ai remis l’infirmière. Je les ai cependant mis en garde du fait que je suis au courant que de nombreuses situations malheureuses surviennent à l’hôpital, et qu’en ma qualité de garant de l’ordre et de protecteur des malades cet état de fait m’interpelle. C’est la raison pour laquelle j’ai appuyé sur la sonnette d’alarme.

Je ne veux plus que de tels faits se reproduisent. »


Bien sûr la santé au Congo est depuis longtemps à l’agonie

en dépit de sa mise sous perfusion par l’aide humanitaire internationale et la promesse de Sassou : « La santé pour tous en 2002 ». Dans ce domaine aussi, la corruption est une règle et l’impunité son corollaire. On le voit encore une fois dans cette affaire dans laquelle un magistrat n’a voulu qu’appliquer une loi basique : l’assistance à personne en danger est tourné en ridicule. Certes on pourra mettre en doute l’opportunité du zèle du procureur, qui par la mise en garde à vue de l’infirmière major (donc cadre responsable) a déclenché l’arrêt de travail du personnel de santé. Un mouvement irresponsable qui a mis en péril les innombrables malades que compte la cité océane. De fait, l’infirmière n’intéressait en rien le personnel gréviste, c’est la remise en question de ses privilèges qui lui a fait craindre l’éventualité d’une décision de justice qui, frappant l’interpellée, aurait pu faire jurisprudence et mettre à mal son fonds de commerce.

Congopage stigmatise les errements d’une certaine catégorie de membres du corps médical et paramédical (malheureusement majoritaire) qui fait du serment d’Hippocrate un serment d’hypocrites.

Mais Joël Nsoni se trompe de cible quand il écrit : « Au-delà des aspects juridi¬ques, cette affaire soulève un grave problème socio-sani¬taire dans notre pays. Au lieu de s’en prendre aux inno¬cents, médecins et infirmiè¬res, la justice devait indexer les directeurs des hôpitaux et centres médicaux pour leur irresponsabilité. ». La justice devrait indexer de laxisme et la démission des pouvoirs publics qui font de l’hôpital une entreprise comme une autre, contrainte à s’autogérer. Qu’a donc fait l’Etat en matière de santé depuis des lustres ?
  L’Hôpital de Loandjili ? Pré financé sur trente ans sans intérêts par la Chine,
  Les travaux de réhabilitation de l’Hôpital Militaire ? Offerte par la coopération militaire française,
  Des améliorations dans l’Hôpital Général ? Pèle mêle : Lion’s Club, Rotary, ONG, initiatives privées...

Sans l’aide de l’Etat, dans une nation où les trois quarts de la population n’ont pour préoccupation que la recherche au jour le jour de leur provende, il est impossible à une quelconque structure sanitaire d’agir selon un code de santé publique. Les directeurs de ces centres ne sont plus que des écrans fusibles derrière lesquels les hauts responsables cachent leur incurie. Nous rappelons que le docteur Kala, directeur de l’Hôpital Général A. Sicé va jusqu’à mendier du carburant auprès des opérateurs économiques à seule fin de faire tourner la centrale thermique de la structure dont il est en charge. Là encore, le gouvernement n’est pas à même d’exiger de la SNE la fourniture permanente et prioritaire en courant électrique des structures hospitalières. Le seul organisme d’Etat efficace au sein des structures hospitalière : le fisc. Il y a installé des bureaux et des fonctionnaires pour comptabiliser la moindre rentrée. Serait-ce pour financer la lutte contre la pauvreté ?

Comment s’étonner que les oligarques et leurs familles préfèrent aller se faire soigner dans des pays étrangers où hôpital ne rime pas avec létal.

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