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TOGO : LE PREMIER MINISTRE CONTRE LE PRESIDENT

A la dimension du Togo, les événements survenus ces dernières semaines, ont l’importance d’un séisme. Le 27 juin dernier en effet, un communiqué a annoncé la décision du Président Gnassingbé Eyadéma de révoquer son Premier ministre, Agbéyomé Kodjo. Jusqu’ici, rien de spécial ; l’Afrique n’a pas la spécialité de ces changements. Où l’affaire devient une vraie affaire politique, c’est dans les raisons qui ont conduit à ce changement, et dans les suites éventuelles qu’on peut lui prédire.

Premier ministre du Togo depuis le 29 août 2000, Agbéyomé Kodjo est un cadre du Rassemblement du peuple togolais, l’ex-Parti unique fondé par le Président Eyadéma. Ancien séminariste, versé ensuite dans l’enseignement, M. Kodjo a étudié les lettres à l’université du Bénin (au Togo) d’où il est sorti avec la licence. Nommé proviseur au lycée de Kara, le district du Président, il s’y fait remarquer par celui-ci qui l’enrôle dans les rangs de son parti et en fait tout de suite un haut fonctionnaire. Agé à peine de 52 ans aujourd’hui, l’homme a gravi très vite les échelons, allant du Port autonome de Lomé, jusqu’aux Douanes ; du ministère de l’Intérieur au poste convoité et brûlant de Premier ministre.

Les opposants togolais rappellent qu’au plus fort de la crise inter-togolaise, en 1993, Agbéyomé Kodjo fut un partisan du pouvoir très dur, soupçonné alors d’enrichissement illicite, rompu à la rhétorique et au service aveugle du régime… « Ainsi, affirme le document, les recettes fiscales et douanières de l’Etat sont versées dans un compte unique à la BCEAO placé sous le contrôle du Président de la République qui autorise lui-même les dépenses sans consultation du Premier ministre » !

Les Togolais s’accordaient à le voir finissant ses jours avec le régime, ou promu à quelque poste de responsabilité encore plus en vue. Tout cela a sombré brutalement.

UN REQUISITOIRE

Le 27 juin, en effet, le Premier ministre et Chef du gouvernement diffuse à Lomé un document de 14 pages dans lequel il se livre à une attaque en règle contre les méthodes du régime Eyadéma. Le document, intitulé « Il est temps d’espérer », passe en revue le système Eyadéma qui, en 36 ans de pouvoir, a pratiqué « une gestion patrimoniale des finances de l’Etat » ; organisé le syphonage systématique de l’argent public par la famille présidentielle ; conduit à la suspension de la coopération internationale depuis 1992 ; gravement attenté aux droits humains, notamment avec la torture pratiquée sur les opposants par le propre fils du général Eyadéma, Ernest Gnassingbé ; l’allégeance automatique des hauts cadres des société d’Etat au Chef de l’Etat etc… Le document, concluait que le Premier ministre décidait de choisir « entre la fidélité à un homme et la loyauté envers le peuple togolais martyr. Je choisis d’aider cinq millions de Togolais à prendre en main leur destin ».

« IL EST SURMENE »

La réaction du régime n’a pas tardé, comme on s’en doute. Le Président Eyadéma a voulu traiter son ancien Premier ministre par le dédain. « Ce garçon ne représente rien absolument rien politiquement, je vous le dis ! Peut-être est-il surmené. En tout cas il n’a pas démissionné, c’est moi qui l’ai remercié. C’est l’opposition qui le manipule. Je suis habitué à ça ».

Ensuite les gros caciques du RPT ont sorti, comme l’affirme la frondeuse presse de Lomé, la grosse artillerie. D’abord, un « Comité de sages » du RPT a répété qu’Agbéyomé Kodjo sombrait dans un climat qu’il avait lui-même entretenu et que le Président lui avait marqué sa compréhension. Ensuite, c’est le successeur de M. Kodjo à la Primature, M. Koffi Sama qui est aussi Secrétaire national du RPT, d’accuser son prédécesseur de cracher dans la bassine où il s’est nourri. « Pourquoi, disait-il en substance dans un très long communiqué fleurant la langue de bois ; pourquoi n’avait-il pas usage des méthodes qu’il préconise aujourd’hui quand il était aux affaires ? »

Quant à l’opposition togolaise qui se délecte de cet étripage public au sein de la majorité présidentielle, elle en redemande. « Ce que dit le document de M. Agbéyomé Kodjo, n’est qu’une infime partie de ce que nous n’avons cessé de dénoncer depuis 35 ans, affirme Gylchrist Olympio, leader des Forces du Changement ; il aurait fallu y ajouter les disparitions de la Lagune de Bè, et les nombreux assassinats… » Il est vrai que jamais la lumière n’a été faite sur la disparition du propre père de l’opposant, et premier président du Togo, M. Sylvanus Olympio que devait remplacer M. (alors Etienne Eyadéma) lors d’un coup d’Etat.

LA FIN DE REGNE

Ces péripéties annoncent une situation de pourrissement au Togo. Depuis 1992, la coopération internationale est suspendue. Et malgré le lancement il y a trois ans d’un processus de dialogue inter-togolais, n’arrive pas à s’entendre sur les modalités de reprise du processus électoral, après la contestation des dernières présidentielles par l’opposition et les observateurs internationaux.

Signe marquant de cet état de fin de règne, le coup d’éclat de M. Agbéyomé Kodjo est lui-même consécutif à la prise de position tout aussi courageuse d’un autre ancien « jeune loup » du RPT, Maurice Dahuku Péré. Ce député, membre du Comité central du parti et ancien Président de l’Assemblée nationale, avait produit en mars dernier un document interne où il demandait des réformes profondes. Appelé à signer une condamnation de ce document, Agbéyomé Kodjo avait refusé d’apposer sa signature scellant, disent les avertis, son sort aux yeux de Gnassingbé Eyadéma.

Ces remous ont également été accentués par le refus persistant de l’Union Européenne de reprendre sa coopération avec le Togo tant que, a insisté Romano Prodi le 24 juin dernier à Bruxelles, « des élections démocratiques et transparentes » n’auront pas été signées. « Je dis, transparentes parce qu’elles doivent être acceptées par tous. Après cela nous sommes près à reprendre la coopération ».

Gnassingbé Eyadéma était sorti furieux de son entrevue avec Romano Prodi ce 24 juin à Bruxelles. Et dehors, une pluie d’œufs pourris l’attendaient, ainsi les quolibets de l’opposition togolaise en exil…

Benda

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