email
Offset

La plume de Bongolo Jean Claude a rejoint l’éternité

La République du Congo-Brazzaville pleure depuis le 12 octobre 2023, l’un de ses dignes fils, qui a osé inaugurer dans le domaine de la presse libre et privée dans les années 90.

Penser et vivre autrement

Le temps mondial est rythmé, dans les années 1990, il y a de cela trente trois années, par la Perestroïka, ce vent qui avait soufflé depuis les murailles imprenables du Kremlin en URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques).

A Brazzaville, la presse n’est tenue que par les médias d’Etat (L’Agence Congolaise d’Information : A.C.I.) et l’hebdomadaire catholique (La Semaine Africaine). D’autres journaux d’États tels que Mweti se sont essoufflés en même temps que tombent en ruine des entreprises stratégiques d’État comme l’imprimerie nationale et les Librairies populaires.

Aucun média ne véhicule la voix des sans voix, celle des damnés de la terre congolaise. Les textes de Bernard Bakana Kolélas, pour le changement démocratique, par exemple, ne sont relayés par aucun média. Ils circulent à travers des photocopies. La révolution internet n’existe pas encore.

La Rue Meurt

La venue de la Conférence Nationale Souveraine va faire bouger les lignes en 1991. Plusieurs organes de presse voient le jour, dont le journal «  Le Soleil  », organe de presse du MCDDI (Mouvement Congolais pour la Démocratie et le Développement Intégral). C’est dans ce journal que Mbongolo Jean Claude commence à écrire des papiers en même temps que l’écrivain Sony Labou Tansi.

Il créera son propre journal «  La Rue Meurt  », un journal qui colporte, entre autres, les rumeurs s’ébruitant dans la ville ainsi que dans tout le pays. Avec la Rue Meurt, les Congolais se reconnaissent enfin à travers des écrits qui reflètent leur quotidien et libèrent la parole longtemps confisquée. Ce journal d’informations comporte un personnage satirique qui s’appelle « Petit David  ».

Avec Petit David Mbongolo congolise la diatribe, en l’écrivant directement en Kongo, en Kituba ou en Lingala, et suscite l’espoir et l’engouement de la lecture chez le Congolais lambda.

« Quelle a été la révélation de Petit David dans la dernière publication  » de la Rue Meurt  ? telles furent les conversations brazzavilloises des années 90.

Certains numéros du journal sont imprimés dans la clandestinité, car leur contenu dérange les hommes politiques.

Dans cette fièvre de la liberté médiatique, on notera aussi « Madukutsekélé  », « Le Choc  », « Le Temps  », … des journaux qui avaient des styles éditoriaux différents. En revanche Madukutsékélé se rapprochait un peu de la Rue Meurt…

Ce fut une révolution non seulement dans la publication des journaux mais aussi autour des métiers liés au journalisme. D’un point de vue technique les promoteurs des journaux privés n’étant pas subventionnés, avaient des difficultés pour se faire éditer et imprimer.

Retenons que par sa perspicacité et par sa clairvoyance Mbongolo Jean Claude est un pionnier de la presse écrite congolaise qui a bousculé les limites du non-dit en politique, en se plaçant toujours du côté du peuple, à travers Petit David.

Un Africain dans un Iceberg

C’est en 2005 que Paari éditeur est entré en contact avec l’auteur Zounga Bongolo pour l’édition de son roman. Bien que diminué par la maladie, il tenait à ce témoignage ramené de son séjour à Leningrad pour qu’il puisse paraître. Il s’agit d’une banale histoire d’amour. En effet :

« Natacha, une jeune fille russe quitte sa mère et sa bourgade de Narva pour venir poursuivre ses études à Leningrad où elle rencontre un étudiant africain, Jan, dont elle tombe amoureuse. Dans l’esprit de Natacha, l’amour n’a pas de frontières, et elle veut réellement s’épanouir à côté de son amant. Mais, sans compter toutes les barrières raciales, à commencer par celles érigées par sa propre mère, Valia. Celle-ci s’insurge contre la simple évocation d’une courtoisie avec un homme de couleur.
Dans cette Russie d’avant la Perestroïka, l’hibernation idéologique, ainsi que l’implacable fermeture des opinions sociales entretenues par un communisme parfois mythomane, va placer les deux amants dans une situation très dangereuse. Jan sera l’objet des menaces fréquentes, et Natacha sera expulsée de l’Institut à cause de sa liaison avec un Niègre. C’est au péril de leurs vies que les deux amants vont forcer cet impossible amour à Saint-Petersbourg. Il s’en suivra une ... tragédie. »

Jean Claude Mbongolo avait eu beaucoup d’hésitations à publier ce texte qui datait des années 1974, lorsqu’il fut étudiant en URSS. Il fut conforté à le publier dans les années 2000. La presse commençait à dénombrer des crimes récurrents d’étudiants africains dans l’ex URSS et plus particulièrement à Saint Petersbourg.

Mbongolo Jean Claude est une fierté congolaise

Dans toutes les communautés humaines, les pionniers sont des êtres qui vivent hors du champ temporel de leurs contemporains. Les précurseurs sont très souvent détestés par la classe politique. Mbongolo Jean Claude est un patriote qui a su porter les pulsions congolaises en confiant leur narration à son héros Petit David. Cette parole devenue libre oblige les élites à en tenir compte et à s’en servir pour construire une société plus juste et plus équitable.

Pour la postérité, et pour notre fierté nationale, Mbongolo Jean Claude fait partie des pionniers de la presse privée et écrite congolaise.

Mawawa Mâwa-Kiese
14/10/2023

P.S. : Pour commander le roman : Un africain dans un iceberg - PAARI Éditeur (paari-editeur.com)

Mboka Kiese, « LE BAL DES BOULAFEURS À LÉNINGRAD », une critique du roman Un Africain dans un Iceberg, à paraître dans Kongo Kultur, vol. 5, 2023.

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.