email
Septième art

Les sapeurs congolais : comédiens malgré eux

Sapologie tournage du film « Chaussures magiques »

Il est facile de jouer son propre rôle. A condition de ne pas trop en faire, de ne pas trop (se) la jouer. Le pire d’une performance d’acteur c’est le surjeu. C’est ce qui risque d’arriver aux comédiens-sapeurs recrutés dans le jeu de leur propre rôle et par la même occasion d’entrer dans le septième art, ce qui n’est pas la moindre des reconnaissances. Pour des ressortissants d’un pays dont le Président défraie la chronique par sa boulimie insatiable, l’honneur cinématographique qui leur est fait n’est pas à bouder.

L’ennui c’est que le cinéma est un métier. Ca ne s’improvise pas.

Affinités

Des sapeurs congolais et apparentés ont été conviés dans un casting dans le 13ème arrondissement de Paris. Le sujet de la distribution : reproduire une ambiance festive et bon enfant dans une boite de nuit parisienne. Au nombre des figurants : la faune de la sapologie genre « lwata wa toma » telle qu’elle se montre dans la multitude des vidéos YouTube sur la toile.

Curieusement manquaient à l’appel Norbat et Stany de Paris, Fulluzioni Dalluzionni, trois types emblématiques de l’excentricité costumière et coutumière congolaise.

Freddy Nkouka (« l’homme aux crocos » aurait dit Freud s’il l’avait consulté) (Ahmed Yala aussi un maniaque de l’alligator) Freddy Nkouka chargé de recruter dans le milieu a soigneusement évité certaines têtes, car les crocs-en-jambe sont fréquents entre cracks. Nkouka a juste jeté son dévolu sur des comédiens en fonction des affinités.

Donc exit la représentativité.

Représentation de la représentation

Problème de départ : comment représenter des sujets qui sont d’ordinaire dans la représentation et le théâtre vestimentaire ? Je veux dire : un sapeur peut-il jouer un sapeur en étant naturel ?

Tenez, par exemple : malgré le briefing des réalisateurs, nos comédiens d’un jour avaient du mal à se comporter devant la caméra comme des professionnels.

« Oubliez l’existence de la caméra. » eu beau leur dire le metteur en scène, rien à faire. Le béaba du parfait comédien : ignorer les techniciens. Le risque est de tomber dans la « mise en abyme » (le cinéma dans le cinéma) En d’autres termes la règle est de faire comme si on n’était pas filmé.
Peine perdue : grimaces, mimiques, signe d’intelligence à la caméra sont faits au preneur d’image par les sapeurs-comédiens en herbe. Au grand dam de la crédibilité.

Difficile d’empêcher la surreprésentation à des personnes conscientes qu’elles n’auront plus une occasion de figurer dans un film, un vrai.

Le danger dans la comédie c’est d’en faire trop. La règle d’or c’est d’être soi-même. Mais c’est trop demander à des figurants rompus au théâtre de la vie comme Ben Moukacha, Za (barbe blanche en collier) Freddy Nkouka.

Black Micmac

Voilà pourquoi, afin éviter cet écueil, les réalisateurs font appel à de vrais acteurs, des gens du métier. En fait il faut des faux sapeurs pour jouer les vrais sapeurs. Le vrai cinéma n’est pas pour rien un mensonge, une mise scène. Certes il y a eu au cinéma des scènes cultes jouées par des amateurs dans leur propre rôle. Mais en général le bon comédien c’est celui qui est payé pour mentir.

Dans le film « Black Mic-Mac  » (Black Mic-Mac, Thomas Gilou 1986) , le metteur en scène fit appel à des pro comme Isaac de Bankolé dans la séquence des sapeurs. Quelques figurants comme Docteur Liman s’en tirèrent sans faute. Mais c’est parce que le casting fut rigoureux et les comédiens peu nombreux.
Ce n’est pas le cas dans « Chaussure magiques ». Un ramassis de personnes élégantes sont de sortie. Tous les sapelogues de la place de Paris semblent avoir été invités sur scène.

Pour couronner le tout, les chanteurs de l’orchestre d’ambiance chantent totalement faux. Et pourtant ce ne sont pas les artistes de talents qui manquent dans la rumba-rock parisienne imitant à la perfection Papa Wemba auteur de « Dernier coup de sifflet » chans fétiche de la sape ou Rapha Boundzéki de « L’origine de la sape ».

On ne sait pas quels sont les projets du réalisateur ; je ne pense pas que ceux qui attendent une image conforme à la réalité de la mode congolo-parisienne trouveront dans ce film chaussure à leur pied.

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.