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Misogynie

Livre - « Même les nuits denses ont leur lumière » : Sauve-Gérard Ngoma Malanda

Livre - « Même les nuits denses ont leur lumière  » : Sauve-Gérard Ngoma Malanda

Producteur-journaliste-animateur culturel à la télé, Sauve-Gérard Ngoma-Malanda ne se détourne pas pour autant de l’écriture puisqu’il est l’auteur de deux recueils de poèmes et d’un recueil de « nouvelles », « Même les nuits denses ont leur lumière » (L’harmattan), paru en 2018.

À l’évidence, Sauve-Gérard Ngoma Malanda est un conteur, et un vrai. Je me demande pourquoi son recueil est catalogué «  Nouvelles » alors que tout prête au conte, y compris dans les registres dramatiques et tragiques, et parfois même fantastiques. Et je ne parle même pas de la « règle des trois unités » qui y fait défaut. Je me demande pourquoi la préface, au demeurant sans intérêt – ah mais c’est vrai, tout livre au Congo doit être préfacé –, ne le relève pas, a fortiori quand on sait le nom du préfacier – mais rendons lui grâce pour cette trouvaille résomptive relative à « l’influence de Tchicaya U Tam’si par le réseau d’obsessions (le ventre, le sang, le pus, le sexe, la passion christique) et le ton persifleur ».

Je disais donc que ce recueil de contes aussi profondément pessimiste que chatoyant par ses descriptions, aussi brèves soient-elles, est tout à la fois original et empli d’images, de comparaisons et d’hyperboles.

Rythme, niveaux de langues, décalé même : Sauve-Gérard Ngoma Malanda n’a pas son pareil pour conter des histoires finalement du quotidien, tel un Franco Luambo Makiadi. Sans les quelques lourdeurs et fautes de construction, sans l’usage inapproprié et injustifié de la forme passive, sans cette absurdité – qui submerge nombre d’auteurs congolais intramuros – de toujours inventer des noms de ville alors qu’on emploie des mots des langues congolaises, et avec un peu plus d’inférences, le conte intitulé « Une sorcière à Via Karta  » aurait été une alacrité hautement littéraire. «  Les gens de Via Karta furent sidérés. Ils s’indignèrent non seulement parce qu’ils furent dérangés dans leur sommeil, mais surtout parce qu’ils furent tout yeux et tout oreilles devant le spectacle du sexagénaire réellement vénéré dans Via Karta, bâton à la main, châtiant sa jeune épouse avec une animosité visible. »

ANTIFEMINISME

On l’aura compris, sans le mentionner Sauve-Gérard Ngoma Malanda évoque ici, mezzo voce, les violences faites aux femmes. On eût donc voulu qu’il continuât dans la suggestion, parce qu’il y va aussi de la fondamentale question immensément littéraire, du «  comment interpréter  ». Si en effet la tâche de l’auteur, du conteur ou de l’écrivain est de laisser le lecteur réfléchir sur son « œuvre – l’amplifier peut-être ; pas la réduire à des vocables vulgaires –, alors comme le dit si bien Joyce Carol, « l’écrivain n’est pas censé dire au lecteur comment interpréter. Lire un poème, se tenir devant un tableau – vous devriez permettre à leurs significations de venir à vous, au lieu de demander que le poète ou l’artiste explique ses intentions  ».

Le spectacle qu’offre Raph Barthelot va dans ce sens, et les supputations vont bon train avec des phrases extraordinaires : « Quelqu’un rejoignit la foule des badauds et dit : – Gordini a pété plus haut que son cul. Comme s’il doutait que ses paroles ne fussent entendues de personne, il arrangea sa voix et refit : « Gordini a pété plus haut que son cul. Allez y comprendre gens de Via Karta. Il me l’a dit, voilà l’affaire… »

Je perçois dès lors la finalité, hors de notre portée à l’évidence, que Sauve-Gérard Ngoma Malanda assigne à son écriture, celle de dérouler, en convoquant les niveaux de langue, d’une langue familière à une langue soutenue sans crier gare, en convoquant de courtes phrases sans toutefois se passer de concaténations. S’il y a « dans toutes les zones de la nature humaine des agents créateurs dont la millième partie ne saurait être révélée en une seule vie », alors l’écriture de Sauve-Gérard Ngoma Malanda fait cette tentative, presque folle, de condenser en un recueil une multitude de potentiels livres, cela s’entend, avec des ambiances au fil des pages.

DES MOMENTS ININTERROMPUS D’ATMOSPHERE

Du début à la fin, Sauve-Gérard Ngoma Malanda reste dans la zone, déterminé à ne rien lâcher, surtout en matière d’atmosphères. La fureur des éléments côtoie ou accompagne le cataclysme psychologique qui assiège les personnages ; la moquerie succède au fou-rire ; l’angoisse à la joie… Oui, l’originalité de ce recueil tient en cela, ce déluge d’atmosphères et non aux intrigues – on s’en fout des intrigues. Ambiances : « Comme six ans plus tôt, cela avait commencé par les gémissements d’une femme et les nasillements d’un homme unijambiste. Quoiqu’à cette époque-là cela se produisît un jeudi au lieu de mercredi. Ainsi, tous, armés de tout ce qui pouvait abattre un homme ou une bête prirent la direction de la ferme. Mais on finit par distinguer, avec une fausse peine, la voix sifflotante de l’homme. (…) Il aurait dû nous laisser la nuit douce compère, lâcha une voix dans la foule. – Ouais ! Il ne fait pas un truc bien de frapper sa femme comme ça la nuit, dit une femme. – Pas un mercredi, compère, hein ! Il n’avait qu’à attendre vendredi. Le Christ, c’est vendredi qu’on l’a abattu non ? Allez pète-nous la paix compère Barthelot, grommela une autre voix. – Sor-ciè-re hein !... Sor-ciè-re... reprenait la voix haletante du vieux Raph Barthelot. (…) Est-ce là la considération ? Jasait une femme qui récurait ses marmites au bord d’un cours d’eau. Est-ce vraiment là la considération ? Prendre sa femme pour une chienne ! Prend-on sa femme pour une chienne ? Et ce vieillard de Barthelot est-ce comme ça qu’on traite sa femme ? Accuse-t-on une gamine de sorcellerie comme ça ? Une femme c’est une femme. »

Ou ceci, relevé dans un autre conte : « Au bout de huit heures, vint leur tour. Ils descendirent tous, Abel Cornidus Machacado le premier. Ils défilaient l’un après l’autre devant le barrage où se dressaient trois militaires. Il écumait de rage. Sa bouche formait un cul rond prêt à lâcher un pet anarchique, ce que le militaire ne remarqua pas. »

Ou encore ceci : « Le cri de désolation monta dans la file des suivants, suscitant ainsi l’attention de deux autres militaires. Ils s’approchèrent avec brutalité d’Abel Cornidus Machacado. Le caporal bouillonnait. (…) Certaines d’entre elles aux airs plus joyeux, plus entraînantes, plus enthousiastes étalaient des morceaux de pagnes par terre pour laisser passer Mambou et reprenaient en chœur : « Mambou la fille é é é é » ; « Il criait avec la dernière énergie de ses entrailles. La grande édition de 20h00 venait de prendre fin par un petit reportage culturel qui mit Mpassi Ndzolufua dans tous ses états. Le voilà qui monologuait. Il criait, il criaillait, s’en prenant à la présentatrice qu’il insultait à volonté pendant que celle-ci arborait un ultime sourire sensuel en prononçant les derniers mots qui précédèrent le générique fin du 20h00 » ; « Ni la nuit tombante, ni les éclairs pourfendant le ciel, ni les tonnerres qui s’ensuivaient, rien n’avait pu arrêter sa marche.  » Ngoya oh !

ROMAN D’ATMOSPHERE

D’une manière générale, les éléments descriptifs du texte de Sauve-Gérard Ngoma Malanda, et, surtout, par leur ordre, ont pour fonction comme dans les romans d’atmosphère – « Le bruit et la fureur » ; « Les hirondelles de Kaboul  » ; « Les déferlantes  » ; « Au revoir là-haut  », et j’en passe – jouent bien leur fonction d’anticipation. C’est si rare dans les textes d’auteurs congolais qu’il faut le souligner.

BEDEL BAOUNA

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