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Gabriel Okoundji décline sa poésie à Aiglun

Gabriel Okoundji Mwéné a déclamé sa poésie dans un petit village des Alpes-Maritimes ce samedi 30 août 2008. Aiglun est un hameau situé à une soixantaine de kilomètres de Nice. La chanson "Connais-tu mon beau village" nous revient à l’esprit quand on chemine dans les Alpes : "Encadré dans un feuillage, on dirait un nid d’oiseau. " D’ailleurs, le dire, n’est pas simple vue d’esprit. Le nom du village, subtil syncrétisme entre le sacré et le profane, n’est pas neutre. Il porte le nom d’un oiseau royal.

Le coup de sabre de la clue d’Aiglun

La hauteur des sommets est impressionnante et somme l’être humain au respect. La rudesse des pentes qui supportent les villages de l’arrière-pays niçois ont quelque chose de nietzschéen. Du reste le philosophe allemand a largement puisé son inspiration dans la région des Alpes. A vrai dire, l’être humain se sent écrasé par ce relief massif aussi vieux que le monde quand se déclencha le big bang magmatique _ dont la défiguration du relief est l’actuel résultat, jusqu’aux prochains bouleversements géographiques. Ce samedi 30 août, c’est dans ce cadre vert et titanesque que le poète, conteur et écrivain congolais, Gabriel Okoundji Mwéné, avec une verve volcanique, a décliné et déclamé des extraits de sa vaste œuvre littéraire dans la petite église baroque du village.

Okoundji décline sa poésie

Aiglun

Aiglun, nid d’aigle

Non, le nom du village n’est pas fortuit. La légende dit qu’à une période de l’année, le reflet de la lune se dessine dans le lac voisin en prenant la forme d’un aigle. Les anciens décidèrent d’appeler ce village Aiglun (d’aigle et de lune). La symbolique de la poésie de Gabriel Okoundji est à la fois physique et métaphysique quand elle prend son envol comme l’aigle sondant les cimes du firmament. Fasciné par la géographie alpine de la région Okoundji identifie la montagne à une force de la nature dans l’énergie de laquelle chacun de nous doit puiser son essence.

En arrière-plan le décor baroque

Ainsi parlait Okoundji

Enfant, la cousine de sa mère initia Okoundji au respect de la nature. Dans le système de parenté africain, il est dans la nature des choses que l’enfant soit rattaché à plusieurs mères. L’enfant tégué bénéficia de cette polyvalence. Adulte le poète entreprit d’initier à son tour son fils au culte de Dame Nature. « Tu dois parler aux arbres » enseigna-t-il à son fils, métis asiatique, devant une foule médusée dans un parc à Bègue, là-bas en Gironde, dans la ville où Noël Mamère est le maire. Le bruit de cet étrange dialogue parvint aux oreilles de l’élu vert qui est aussi un ami. « Gabriel, va mollo avec ta philosophie de la vie » conseilla, cartésien, Noël Mamère. Réponse enflammée et non moins lyrique du poète : « toi, l’écolo, comment peux-tu douter du pouvoir des arbres ? »
L’exercice de son autre métier (il est psy dans les hôpitaux) exerce une influence sur son approche des maux (bien sûr) et des mots.
Parler à la nature peut paraître absurde. Il ne reste pas moins que les choses nous parlent quand on sait les écouter. Un trésor est caché dedans dit le laboureur de La Fontaine à ses enfants. de toute manière, la seule religion œcuménique est l’animisme et, tous les hommes sont unis par cette énergie qui vient de la nature. La forêt n’est pas magique pour rien. Les alexandrins d’Okoundji reviennent sur cette thématique : « Ici, à Aiglun, le souvenir de notre rencontre va se perdre. Pourtant nous avons conscience d’avoir aujourd’hui marqué l’histoire grâce à cette rencontre dont personne ne se souviendra peut-être plus ».

Public subjugué par le verbe

Combien étions-nous ce samedi 30 août à Aiglun ? A peine une vingtaine. « Un ancien m’enseigna que le moindre petit mouvement a une incidence sur l’univers entier » se souvient Okoundji né à Ewo, en République du Congo, en société tégué. De cet enseignement initiatique, il apprit qu’il existe deux morts, la biologique et l’historique. La pire des morts est la mort historique, celle où plus personne ne se souvient de vous. Pour cette raison, analyse Okoundji, les hommes politiques (plus rusés que nous) s’érigent des monuments en leur honneur, donnent leurs noms à des rues et à des lieux-dits afin que la postérité ne les oublie pas.

En somme, Okoundji est un griot qui ne contente pas de conter les légendes mortes et vivantes mais de compter aussi sur l’écriture qu’il manipule avec dextérité. Un griot qui écrit est un renfort prété à la mémoire planétaire du cosmos depuis la création et même avant elle.

La reconnaissance occitane

Je dois une fière chandelle à la poésie occitane, dit Okoundji, les yeux balayant tour à tour le public et le décor rococo de la petite chapelle. Au début, personne ne manifesta de l’’intérêt pour ses écrits. Touché par la profondeur de cette étrange versification, un poète occitan qui le prit au début pour un cousin de l’Algérien Mouloudji, donna une visibilité au poète noir en région girondine après en avoir traduit les œuvres dans sa langue d’Oc.

Patrick Quiller au premier plan à droite

A l’occasion d’un salon de la poésie à Paris, les quatrains de Mwéné Okoundji croisèrent la route de Patrick Quillier, professeur et écologiste vivant à fond sa vision du monde basée sur le respect de la nature et soucieux d’un développement durable de l’environnement. Patrick l’invita à emprunter le chemin hautement pittoresque d’Aiglun, village juché sur les montagnes comme un nid d’aigle. Gabriel Okoundji, muni de ses strophes alimentées par l’imaginaire bantoue a donc honoré l’invitation ce dernier week-end du mois d’août.

L’antre du professeur Quiller parsemé d’ouvrages

Faisant feu de tout bois la soirée poétique d’Aiglun fut agrémentée par le chant kongo d’Albert Kisukidi dont les notes de guitare donneront à l’atmosphère un je ne sais quoi de syncrétique religieux. La statue de St-Raphaël, Patron d’Aiglun, n’avait sans doute jamais entendu des kyries et des gloria sur un registre différent du cantique grégorien. Modelée par les catégories de la psychologie, l’inspiration d’Okoundji a rebondi sur le système métrique d’Albert Kisukidi qui tient à une comptabilité méticuleuse des syllabes et des pieds de ses textes. Kisudi est obsédé par l’alexandrin, Okoundji par le vers libre. L’interaction des deux modes mit en haleine le public intimiste rassemblé dans la petite chapelle.

Une soirée intimiste

L’humanité est une et indivisible rappelle sans cesse Okoundji en s’appuyant sur la présence dans la salle des représentants de la Côte d’Ivoire (les sœurs Dilolo, Paule et Yolanda dont les grands-parents sont métis italiens), Alain (français Corse), Germaine (métisse vietnamienne), Yasmina (Franco-Algérienne), Léon et sa mère (Colombiens), Sergio (Français ayant vécu en ex-Zaïre), Véronique (Française imbue d’Afrique)

La fête dans la poésie

La rencontre multiculturelle s’est prolongée tard la nuit en chansons dans la niche écologique de Patrick et Sergio. Le lendemain, dimanche, la rencontre culturelle dans les ommets d’Aiglun s’est poursuivie autour d’un pique-nique dans une grotte des environs. L’auteur de ce papier, Albert Kisukidi et Yasmina n’étaient plus là. Ils avaient pris la route tard dans la nuit pour retourner "malheureusement" à la civilisation, méditant sur le verbe d’Okoundji, sous un ciel étoilé. Là haut, à Aiglun, la voute céleste demeure pure la nuit, restituant toute la constellation telle que la voyaient nos ancêtres alors qu’elle leur servait de repères pour s’orienter dans le temps et dans l’espace. Gabriel Okoundji a dû y trouver matière à réflexion pour alimenter son imaginaire que "mama" Bernadette, la soeur de sa mère, façonna dès sa tendre enfance, là-bas, dans l’espace tégué, au Congo, société bi-linaire, patri et matriarcat se mêlant intimement. Qu’est-ce que le complexe d’Œdipe freudien quand l’éducation de l’enfant ainsi que la construction de son inconscient ne sont pas assumées uniquement par le père et la mère atomiques ? L’Œdipe africain remet en cause la topique freudienne du triangle familiale père/mère/enfant : Okoundji a eu plusieurs mères, parmi lesquelles, celle qui l’a accouché (poétiquement parlant).

Les soeurs Dilolo

Yolanda Dilolo, étudiante en Théâtre a dû également y trouver matière à inspiration pour la pièce qu’elle va mettre en scène en décembre de cette année à Nice.

Prolongation de la soirée dans le salon de Patrick Quillier
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